En septembre dernier le président du PALIMA*, Francis Carole, participait à une table ronde, co-organisée par ses soins, au siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New York. A l’ordre du jour de cette réunion ? Notamment la « réinscription de la Martinique dans la liste des pays à décoloniser* ». De quoi s’agit-il ? Explications.


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A l’ONU

Antilla : Quelle est la genèse de cette « table ronde » à l’ONU ?

Francis Carole : Tout d’abord cette volonté de faire réinscrire les dernières colonies françaises sur la liste des pays à décoloniser n’est pas nouvelle. Dans les années 90 nous nous étions rendus à Sainte-Lucie où nous avions rencontré à ce sujet Jon Odlum, le frère de George Odlum, ancien premier ministre de Sainte-Lucie qui était dans le ‘’Comité de Décolonisation’’ de l’ONU. Alors cette nouvelle initiative part d’une réunion organisée dans le cadre du ‘’Mouvement des pays non alignés’’, à Bakou (Azerbaïdjan, ndr) en Juillet dernier. A cette réunion il y avait des organisations patriotiques de Martinique, de Guyane, de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie et nous avons pris la décision d’agir ensemble au niveau de l’ONU pour poser nos difficultés : les martiniquais et les guyanais posaient la question de la réinscription sur la liste des pays à décoloniser. C’est suite à cette démarche que nous avons pris l’initiative d’organiser cette réunion à l’ONU ; réunion qui s’est tenue dans le cadre de la 78ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 22 Septembre dernier à New York, et dans le cadre de la ‘’résolution 75/123’’ relative à la ‘’quatrième décennie internationale de l’élimination du colonialisme’’, courant de 2021 à 2030. C’est dans ce cadre que nous avons décidé, avec les polynésiens, les kanaks, les guyanais et cette fois les guadeloupéens, de tenir cette table ronde à l’ONU, avec le ‘’Groupe d’initiative’’ de Bakou.

Quel a été, dans les grandes lignes, le contenu des échanges ?

Cette table ronde a consisté en des interventions des différents pays pour décrire leur situation coloniale sur le plan politique, économique et culturel. Et nous avons adopté une résolution qui parle de la nécessité d’inscrire la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane sur la liste des pays à décoloniser, qui apporte un soutien au FLNKS*, pour dénoncer le dernier référendum ‘’bidon’’, et qui demande au gouvernement français d’introduire rapidement des négociations avec la Polynésie, qui elle est inscrite sur la liste des pays à décoloniser mais qui, à ce jour, n’avait pas eu de négociations avec l’État français – Etat rappelé à l’ordre par l’ONU à plusieurs reprises. Et nous avons appris, 15 jours après cette résolution, qu’enfin la France décidait d’entamer des négociations avec la Polynésie sur la marche vers l’indépendance de ce pays.

Avec les délégations à New York

A quelle « entité » revient la décision de réinscrire ces pays dans cette liste ? Cette décision repose-t-elle exclusivement entre les mains d’une entité ?

Nous considérons que nous sommes un peuple et une nation. Et en tant que tels nous avons le droit à l’autodétermination. Alors droit à l’autodétermination ne veut pas dire nécessairement droit à l’indépendance, mais ça veut dire jusqu’à ce droit-là. Le droit à l’autodétermination peut conduire à l’indépendance de notre pays, mais c’est surtout la possibilité pour nos peuples – martiniquais, guadeloupéen, guyanais – de dire ce qu’ils veulent pour l’avenir, y compris la séparation d’avec la France. Cette première démarche consiste à prendre une position, puis il y a une série de procédures à mettre en oeuvre, mais il faut aussi compter sur l’appui d’un certain nombre d’Etats, car les pays non-alignés qui ont connu l’esclavage et qui représentent à peu près 120 Etats – la plus grosse organisation mondiale après l’ONU – peuvent constituer un biais. Il faudra mener aussi une action diplomatique dans notre région, et tout va dépendre de l’évolution de la lutte sur le terrain. Car c’est lorsqu’il y a des mouvements importants sur le sol national que l’impact international se fait ressentir et que, par conséquent, nous avons des chances d’aboutir dans notre démarche de réinscription de notre pays sur la liste des pays à décoloniser.

Au fait pourquoi « réinscription » ? La Martinique a déjà fait partie de cette liste ?

A partir de 1946 la Martinique a été transformée en soi-disant Département. Et bien sûr la France en a profité pour demander que ces pays ne soient plus inscrits sur la liste des pays à décoloniser puisqu’ils seraient des Départements, alors que les réalités économique et politique étaient celles d’une colonie. Nous pourrons compter sur l’aide des camarades kanaks et polynésiens ; des Etats du ‘’Mouvement des pays non-alignés’’ peuvent aussi servir de relais ainsi que des pays de la Caraïbe : c’est ce à quoi il nous faut travailler. Entre-temps, nous travaillerons collectivement sur un mémorandum relatif à notre demande.

Mais est-ce la France qui décide au final ?

Non, c’est l’ONU qui décide au final. Et qui met la France devant l’obligation de respecter cette ‘’résolution 75/123’’ que j’ai évoquée tout à l’heure.

Il n’y a pas de volonté de l’État français de développer une véritable politique de production » 

Et pour atteindre cet objectif il faut le « lobbying », l’unité, le consensus (etc.) de toutes les parties prenantes engagées, c’est ça ?

Oui et la démarche sera plus efficace si elle est menée à la fois par les martiniquais, les guadeloupéens et les guyanais. Il faudra s’assurer aussi du soutien d’un certain nombre d’États et de forces déjà présentes à l’ONU. Les kanaks ont montré qu’ils étaient disposés à s’acheminer vers l’autodétermination ; ce qui aide aussi dans la prise en considération de nos luttes à l’ONU.

Une fois que tel ou tel pays est inscrit ou réinscrit sur cette liste, l’enjeu essentiel est-il alors d’aller vers ce droit à l’autodétermination ?

Il y a des enjeux diplomatiques et politiques importants, mais c’est aussi la possibilité de pousser le pays colonisateur à respecter les résolutions de l’ONU, c’est-à-dire consulter les martiniquais sur l’idée de l’autodétermination. Ce processus est très long ; c’est pourquoi nous avons maintenu une coordination entre nos différents pays car tout cela ne s’acquiert pas en quelques mois : ce sont des années de combat que nous avons voulu ouvrir.

Quels sont les deux ou trois traits majeurs de ce que vous considérez être la colonialité française en Martinique ?

Cette colonialité est politique, dans la mesure où il est empêché à un peuple historiquement constitué de prendre des décisions concernant son propre avenir. Et toutes les lois françaises nous sont imposées, même sur des questions élémentaires que nous aurions pu gérer sur place. Le deuxième niveau est économique : 80% de l’alimentation des martiniquais est de l’importation pure et simple, sans volonté de l’État français de développer une véritable politique de production : la colonie est mise au service des intérêts du colonisateur, et la Martinique est à la fois une base stratégique pour la France et un marché de consommation. Et ce d’autant que la France, grâce à l’ensemble de ce qu’on appelle les outremers, est la deuxième puissance maritime mondiale. Sans ces colonies la France serait située à peu près au centième rang. Il y a aussi la domination culturelle. Par exemple, la France reste dans une vision extrêmement rétrograde de la place des langues dans l’ensemble de ce qu’on appelle la république française, singulièrement au sein des colonies françaises du Pacifique, de l’Océan Indien ou de la Caraïbe.

Quelle est la prochaine étape pour le PALIMA et ses partenaires, dans vos actions quant à cette réinscription de la Martinique sur cette liste ?

Il y a une concertation permanente et nous devrions nous revoir en ce mois de novembre pour préciser les actions que nous envisageons de mener. Un travail est en cours par les dernières colonies – Martinique, Guadeloupe, Guyane, Nouvelle-Calédonie et Polynésie sont en effet présentes dans cette initiative – mais nous devons l’étendre au moins à l’ensemble des organisations patriotiques de Martinique. Le Modémas* figure aux côtés du Palima dans cette initiative mais il y a d’autres organisations patriotiques et il faudra que cette démarche soit élargie déjà dans notre pays. En dépit des divergences que nous pourrions avoir avec x ou y, il y a eu, historiquement, une convergence sur l’urgence d’inscrire notre pays sur la liste des pays à décoloniser.

Ce n’est pas la première fois que des engagements sont pris par l’Etat français et que rien ne bouge » 

 Ce 20 octobre* Emmanuel Macron a annoncé, face à un certain nombre d’élus dits ultramarins, que finalement seule la Nouvelle-Calédonie serait concernée par une révision constitutionnelle en 2024 : en avez-vous été surpris ?

Non car cela fait déjà quelques mois que nous disons que ce qui est prioritaire pour le gouvernement français c’est la question de la Nouvelle-Calédonie. Et le fait que ce gouvernement ait dit clairement, face à Serge Letchimy, qu’il n’est pas question de s’occuper d’autre chose que du dossier kanak est une ‘’gifle’’ à M. Letchimy. L’erreur commise par lui a été de donner plus d’intérêt au CIOM* que de développer un véritable travail à l’intérieur des commissions du Congrès des élu.e.s, en cherchant à unifier le peuple martiniquais. J’avais très tôt posé cette problématique, et finalement M. Letchimy se retrouve ‘’Gros-Jean comme devant’’.

Et quel est votre regard sur ces autres annonces faites le 20 octobre, à savoir la future venue d’« experts » en Martinique, afin de recueillir les propositions de nos élu.e.s sur ces questions ?

(sourire) Je me rappelle être allé, avec d’autres, à l’Elysée, à propos du fameux ‘’Livre bleu des outremers’’ (en 2018, ndr). Une série de propositions avait été faite, il y avait eu des engagements solennels du président de la République française devant un parterre d’élu.e.s, et finalement rien de tout cela n’a connu un début d’application. Ce n’est pas la première fois que des engagements sont pris par l’Etat français et que rien ne bouge. Rien d’essentiel ne bouge, or le président du Conseil exécutif de la CTM se gargarise de petites ‘’conquêtes’’ qui n’en sont pas. Et qui ne changent pas la structure coloniale de notre pays. Car la question fondamentale est celle de la décolonisation de la Martinique, dans ses structures économiques, éducationnelles et politiques. Tant que cette vraie question ne sera pas abordée sérieusement par nous-mêmes, le gouvernement français continuera de se moquer de nous. Nous appelons donc à une intensification du combat décolonial partout où cela est possible. Car sans ce combat il n’y a pas d’issue.

Propos recueillis par Mike Irasque

*PALIMA : Parti pour la Libération de la Martinique. *Ou « liste des territoires non autonomes » selon la terminologie Onusienne. *FLNKS : Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste. *Modémas : Mouvement des Démocrates et Ecologistes pour une Martinique Souveraine. *CIOM : Comité Interministériel des Outre-Mer. *Entretien réalisé le 23-10-2023.

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