Chronique de la France confinée (10). Déconfinement : vers un accouchement difficile

Xavier Patier | 27 avril 2020
Le confinement nécessaire mais douloureux va devoir laisser la place à un déconfinement non moins nécessaire mais peut-être plus douloureux encore.

En règle générale, la conception est un moment plus agréable que l’accouchement. C’est vrai en biologie. C’est vrai aussi en politique. Concevoir une réforme est un moment souvent jubilatoire, accompli dans le secret d’un cabinet ministériel en pleine excitation de début de mandat ; la mettre au monde est inévitablement un temps de larmes, surtout quand la loi, et donc le Parlement, et parfois la rue, s’en mêlent.

Vers une remise au monde douloureuse
Il en aura été ainsi du confinement. Il y a eu, dans cette mise à l’arrêt de la France décidée en mars, dans cette sidération au coup de sifflet, l’impression rassurante que l’État maîtrisait les choses. Le président de la République décide, le silence se fait. Magique ! Le chef de l’État appuie sur le bouton « off » et la France s’arrête. Pure conception. Mais il va falloir déconfiner. Cette perspective, à la fois inévitable et redoutable, s’annonce douloureuse : c’est le côté irréversible de la conception. Notre société mise en coma artificiel, nos entreprises asphyxiées, nos vies réduites à quelques mètres carrés, nos anciens condamnés à la solitude, nos enfants déscolarisés vont être jetés au monde une seconde fois. Et ce sera dans un monde dur.

Si vous les avez sous la main, relisez les journaux de février dernier, et même ceux de début mars : ils nous parlent d’un pays apparemment éloigné et cependant tout proche. Les grands titres évoquent la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage, la campagne d’un certain Benjamin Griveaux pour les élections municipales de Paris, la renaissance du XV de France de Fabien Galthié ou encore de l’ouverture de la GPA aux couples de femmes promue par un médecin alors inconnu, devenu célèbre depuis parce qu’il préside le comité scientifique Covid-19 : Jean-François Delfraissy. Qui aurait imaginé alors que ce vénérable professeur, apparemment en délicatesse avec le mariage traditionnel, allait déclarer au Sénat un mois plus tard qu’il avait décidé qu’il n’y aurait « pas de mariage en France cet été » ? Jean-François Delfraissy n’est pas un élu de la nation, il n’a sans doute pas vu un malade depuis bien longtemps, lui qui s’obstine à appeler « SSP2 » les masques dont le vrai nom, connu de tous les soignants, est « FFP2 », mais peu importe, il détient la vérité que les politiques ont égarée et il décide pour eux.

Vanités des vanités
Vu d’aujourd’hui, la réforme des retraites, les enjeux bioéthiques, les batailles politiques du moment, tout ce qui faisait notre horizon de février, vanité des vanités, tout était vanité. Une seule réalité éclipse toutes les autres, celle de la puissance médicale, qu’on serait tenté d’appeler l’impuissance médicale, tant notre système de santé semble dérouté face à ce virus sans vaccin, sans immunité de groupe et sans traitement. Comme au temps de la peste de Marseille et du docteur Chirac, le système sanitaire impuissant vire au système policier : on ne sait pas guérir, on confine ! À Marseille, sur les conseils du docteur Chirac, son médecin, le roi Louis XV avait envoyé la troupe.

« La France déconfinée n’aura rien appris et rien oublié. Comme le dégel, le déconfinement fera réapparaître les cadavres. »
Mais ne nous leurrons pas : rien de ce qui faisait les grands titres des journaux de février n’a disparu. La France déconfinée n’aura rien appris et rien oublié. Comme le dégel, le déconfinement fera réapparaître les cadavres. Et la politique, humiliée comme jamais par la prise de pouvoir des experts hospitaliers (car les médecins ordinaires n’ont pas eu voix au chapitre), voudra se venger. Nous verrons cela avant longtemps.

L’ordre de la charité
En quelque semaines, nous sommes passés de l’homme prométhéen à Narcisse confiné. Le confinement a fait naître de nouveaux rites qui sont presque tous des rites narcissiques. Il se passe de belles choses, de beaux élans de solidarité. Mais tout de même, les enthousiasmes fictifs, les compassions télévisées, les généreuses gesticulations sur les balcons ne feront jamais une culture. Ils n’engendreront pas une société. Le retour à l’air libre sera brutal, et d’autant plus qu’il sera plus désordonné. Ce sera le moment de nous rappeler que le coronavirus était un désordre sanitaire avant d’être un désordre politique, et ce sera aussi le moment de songer, selon la belle formule du pape Pie XII, que la politique est la forme supérieure de la charité

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