Par ÈVE BEAUVALLET 

Repéré sur Libération

CASSE-NOISETTES Marine Le Pen et tous les petits cousins de la droite identitaire sont assis devant le sapin au pied duquel rutile un gros paquet. Ils trépignent avant de pouvoir l’ouvrir pour vérifier qu’il s’agit bien de leur jouet préféré. Il concerne l’Opéra national de Paris. Depuis l’été dernier, en effet, est menée une «mission de réflexion et de propositions» sur le sujet de la diversité et de la discrimination raciale au sein de l’institution parisienne.

Confiée à la secrétaire générale du Défenseur des droits, Constance Rivière, et à l’historien Pap Ndiaye, elle vise à recenser, d’une part, les problèmes systémiques de la maison pluriséculaire sur le sujet (accès aux rôles emblématiques du répertoire pour les danseurs «racisés», mise à disposition de produits de maquillage adaptés aux différentes couleurs de peaux, coiffage des cheveux crépus etc.), mais elle entend également réfléchir aux «conditions de représentation» des œuvres du répertoire comprenant des rôles stéréotypés, notamment dans cet archétype du ballet classique qu’est le «ballet blanc». On attend donc impatiemment les conclusions, prévues pour la mi-janvier, afin de savoir s’il suffit par exemple de retirer les blackfaces de la Bayadère, ce ballet de Noureev chorégraphié en 1992 sur un livret de Marius Petipa, pour en nettoyer l’arrière-plan idéologique. Ou si, pour désamorcer les polémiques, il faudrait juste le danser avec plus d’interprètes «racisés». Ou si, encore, il vaudrait mieux en commander une version réajustée. Mais peut-être est-il simplement temps de sortir le sifflet et de «canceller» (effacer, censurer) ce ballet et sa «danse des négrillons» (renommée «danse des enfants» par Benjamin Millepied)? C’est cette dernière option évidemment qui, devant le sapin, fait frétiller les droitiers, pressés d’agiter l’épouvantail de la censure.

Commandée par le nouveau patron de la maison, venu de Toronto, Alexander Neef, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la mission est encore en cours. Mais voilà que quelques lignes d’un article publié dans le magazine M le Monde la semaine dernière sont venues dévoiler certaines des conclusions et donner le coup d’envoi anticipé du déballage de cadeaux. Evoquant les ballets Casse-Noisette ou le Lac des cygnes, l’article cite Alexandre Neef: «Certaines œuvres vont sans doute disparaître du repertoire.» Et Valeurs Actuelles de bondir: «Certains classiques du ballet feront-ils les frais de Black Lives Matter?» poussé du coude par Marine Le Pen qui, déchiquetant le papier, incriminait sur Twitter un «antiracisme devenu fou» qui aurait «tout à voir avec l’obscurantisme». En voilà un joli cadeau! Un super costume de monstre qu’on appelle «cancel culture» avec lequel on peut jouer à effrayer le voisinage sur la censure des œuvres du patrimoine français! Seulement, depuis, l’Opéra de Paris a signalé que la patronne du RN se serait planté de paquet et qu’il n’y aurait rien d’autre à déballer pour elle, sur le sujet de la censure, qu’une simple «boîte à meuh». L’institution, en effet, a tenu à «clarifier» l’article du Monde, en évoquant une «juxtaposition»malencontreuse: «Il n’a jamais été question de supprimer les œuvres de Noureev du répertoire.» En tout cas, poursuit l’institution dans sa communication, ce «n’est pas une fin en soi s’il n’y a pas de réflexion parallèle sur la présence de la diversité sur scène.»

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version