A PROPOS DE L’EPANDAGE DES HERBICIDES

L’origine de la querelle surgie entre les maires et le gouvernement à propos de l’épandage des produits phytosanitaires au voisinage des habitations est l’article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime : il réserve aux ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation le pouvoir de réglementer l’usage des produits sanitaires. Or, les maires sont investis de la police générale dont l’objet est justement la conservation de la santé, de la sécurité et de la salubrité de leurs administrés, et ils ont pu soutenir que, au moins dans leur ressort territorial, la réglementation des épandages litigieux relevait de leur compétence.

Ce conflit très moderne n’est que la dernière péripétie d’un combat bicentenaire entre l’autorité locale et les agents du pouvoir exécutif central. Selon une tradition qui remonte au moins à la loi des 16 et 24 août 1790, « les objets de police » sont « confiés à l’autorité des corps municipaux », lesquels peuvent faire des règlements sur ces matières ; leur sanction était assurée par l’article 471, 15° de l’ancien Code pénal selon lequel « « Seront punis d’amende, depuis 1 franc jusqu’à 5 francs… 15° Ceux qui auront contrevenu aux règlements légalement faits par l’autorité administrative, et ceux qui ne se seront pas conformés aux règlements et arrêtés publiés par l’autorité municipale, en vertu des articles 3 et 4, titre 11, de la loi des 16-24 août 1790 et de l’article 46, titre 1er, de la loi des 19-22 juillet 1791″. Or, les préfets et les chefs d’État ou de gouvernement prétendirent exercer les compétences des autorités municipales dans le ressort territorial qui est le leur, soit le département ou le territoire national. Plusieurs auteurs considérables se sont élevés contre cette prétention qu’ils présentaient comme une usurpation ; ainsi, Faustin Hélie, pour refuser la sanction de l’article 471, 15° aux arrêtés préfectoraux, soutenait que seul le maire, inspiré par  » sa sollicitude paternelle et son inquiète prévoyance », pouvait légitimement protéger ses administrés.

Depuis lors, la complexité des règles scientifiques nécessaires à la protection de l’environnement et la faiblesse des moyens techniques et administratifs de la plupart des maires ont évidemment accru le déséquilibre entre l’autorité gouvernementale et le pouvoir local. Imagine-t-on que le maire d’une commune de 200 habitants ose régir l’exploitation d’une centrale électrique, nucléaire ou pas, implantée sur son territoire ?
Mais le fantôme de la sollicitude paternelle des maires hante encore l’esprit des magistrats municipaux, comme le prouva le maire de Langouët lorsqu’il interdit l’épandage d’herbicides à proximité des maisons de sa commune, mais en vain (TA Rennes, ord. réf., 27 août 2019, n° 1904033, Préfète d’Ille-et-Vilaine).

Le législateur et le gouvernement ont voulu rendre à la démocratie ce qu’ils avaient confisqué aux autorités locales. C’est pourquoi les décisions importantes relatives à l’aménagement du territoire et à l’environnement sont précédées d’enquêtes publiques (art. L. 123-1 et s. C. env.). Mais la pratique de ces procédures est si rébarbative qu’elle décourage les citoyens ordinaires d’y participer. Qu’à cela ne tienne ! L’article 7 de la Charte de l’environnement offre à toute personne « le droit …de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». En conséquence non seulement l’administration mais le législateur lui-même doivent prévoir la participation du public avant de rédiger règlements et lois. Le paradoxe est que ce sont les industriels qui, en butte à une interdiction ou à une réglementation trop sévère, font annuler les textes qui n’ont pas été précédés de cette formalité (Cons. const. 18 nov. 2016, n° 2016-595 QPC). Les improvisations comme le référendum sur l’aéroport de Nantes n’ont pas des résultats plus heureux car les écologistes les plus durs ont un autre moyen, peu juridique mais qui peut réussir : la ZAD.
Le gouvernement a publié un décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 et un arrêté du même jour relatif aux distances d’épandage d’herbicides, mais sans rien céder aux maires. Ceux-ci tiennent une faible revanche dans des ordonnances du tribunal administratif de Montreuil qui ont bien voulu leur accorder le droit d’interdire l’usage du glyphosates dans les jardins publics et privés (TA Montreuil, ord. 3 mars 2020).

Par Jacques-Henri Robert, Expert du Club des juristes, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas.

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version