Rodolphe Alexandre :

« Gaston Monnerville a été avant tout un serviteur de la République, il a été un homme d’Etat »

Jusqu’au 11 juillet prochain, la Fondation Clément propose l’exposition « Gaston Monnerville, une dignité républicaine », première exposition à caractère historique produite par ladite fondation. S’appuyant sur des archives conservées au Sénat et à la « Fondation Nationale des Sciences Politiques », ainsi que sur des documents sonores et archives télévisuelles de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), cette exposition retrace ainsi le « parcours exceptionnel d’un grand oublié de la République ». Lors du récent point-presse relatif à cette première, nous avons échangé avec l’ancien président du Conseil régional et de l’Assemblée de Guyane, Rodolphe Alexandre, auteur, par ailleurs, d’une thèse de doctorat sur Gaston Monnerville.

Antilla : Que vous inspire, spontanément, Gaston Monnerville ?

Rodolphe Alexandre : Gaston Monnerville identifie les valeurs de la République et, au-delà, les responsabilités d’un homme politique dans les moments les plus difficiles et les plus tragiques. Il faut rappeler qu’il est celui qui a fait condamner la justice coloniale, la corruption et la fraude à l’occasion du procès de Nantes*, où il obtient, avec d’autres avocats, l’acquittement général. Il est aussi l’homme qui s’est engagé durant la seconde guerre mondiale alors que son âge ne le lui permettait pas ; il est d’ailleurs l’un des premiers hommes politiques à avoir dénoncé Adolh Hitler et le livre Mein Kampf : en effet ayant lu et traduit Mein Kampf, il avait un tour de France pour expliquer les dangers du totalitarisme hitlérien, notamment la discrimination et le racisme visant les noirs. Et enfin c’est l’homme qui, par son entregent au niveau du Parti Radical, va véritablement défendre la Constitution. Gaston Monnerville a été avant tout un serviteur de la République, il a été un homme d’Etat. Donc il appartient aujourd’hui à la France, au-delà des querelles et divergences entre Gaston Monnerville et Charles de Gaulle*, de redonner à Monnerville la stature d’exemplarité, en termes de méritocratie et de reconnaissance du travail qu’il a apporté au niveau de la France. C’est pour cela que depuis des années nous défendons la volonté que Gaston Monnerville entre au Panthéon, comme ce fut le cas pour Félix Eboué, Aimé Césaire, etc. Et qu’il soit donc reconnu par l’Histoire de France. Il est inadmissible aujourd’hui que dans les manuels d’Histoire, de l’école primaire au lycée, il n’y ait pas une page consacrée à l’action de l’homme qui a été, durant 22 ans, président du Sénat. Et je me suis permis, à l’occasion du dernier colloque qui a eu lieu au Sénat, de qualifier Gaston Monnerville de ‘’Barack Obama de la République française’’.

« Je pense qu’aujourd’hui ‘’on’’ est en train d’oublier ce grand homme… » 

Est-ce cette discorde avec Charles de Gaulle qui explique ce que vous dénoncez, à savoir cette absence ou cet « oubli entretenu » de Gaston Monnerville des manuels français d’Histoire ?

C’est ça. Mais Monnerville a fait partie de ceux qui ont fait de Gaulle revenir au pouvoir, car après 1946 et un certain nombre de discours – les discours de Bayeux, d’Epinal – Charles de Gaulle était dans un ‘’désert politique’’, il n’existait pas politiquement. Et c’est en 1958, à la demande du président de la République René Coty, que Monnerville va chercher de Gaulle, auquel il restera très attaché jusqu’à 1959-60. C’est à partir de 1961-62 que l’on sent la discorde et la fracture entre les deux hommes ; époque où Monnerville va s’opposer, dans le fameux discours prononcé au Congrès du Parti Radical en septembre 1962, avec ce mot cinglant de ‘’forfaiture’’. Ceci explique que les gaullistes en ont voulu à Monnerville, qui a connu une ‘’quarantaine’’, une décrédibilisation, une campagne acharnée contre sa fonction, mais qui, chaque année, était réélu à la présidence du Sénat, jusqu’à sa volonté de démissionner en 1968.

Où en est cette démarche de « panthéonisation » de Gaston Monnerville ? Les choses avancent-elles comme vous le souhaitez ?

Nous avons préparé le dossier, avons défini les caractéristiques – les valeurs républicaines, le parcours historique, etc. -, maintenant il appartient au président de la République et à son staff de choisir. En tout cas le travail est fait.

Vous pensez que cela se fera sous la mandature présidentielle actuelle ?

C’est l’espoir que nous avons. Il était déjà prévu, sous la présidence de François Hollande, que la ligne de métro ‘’Palais du Luxembourg’’ soit appelée ‘’Palais du Luxembourg-Gaston Monnerville’’, et ça n’a pas été fait ; il était aussi prévu que dans les manuels d’Histoire on fasse davantage entrer le parcours de Monnerville, et ça n’a pas été fait. Seul un buste a été placé dans le jardin du Palais du Luxembourg, donc c’est très long et très compliqué. Je pense qu’aujourd’hui ‘’on’’ est en train d’oublier ce grand homme… .

« Si vous ne tenez pas compte de cela, vous aurez nécessairement une ‘’dérive intellectuelle’’ quant à l’historique de Gaston Monnerville » 

Dans votre communication durant ce point-presse, vous avez dit qu’il ne fallait pas regarder Gaston Monnerville et son parcours « avec les lunettes d’aujourd’hui », notamment quant à la période coloniale : que vouliez-vous dire plus précisément ?

Certains jugeront Gaston Monnerville comme un homme de l’obscurantisme, de l’assimilation, etc. Mais à l’époque, cette génération de nos grands-parents était fondamentalement engoncée dans l’esprit de l’assimilation. Donc ne pas tenir compte de cela c’est faire une erreur. Durant toute sa vie intellectuelle, Gaston Monnerville a appris ‘’nos ancêtres les gaulois’’. Et fort de cette culture française, vous ne trouverez pas chez lui de riposte, de marronnage, de grandes révolutions marronnes, etc. Donc si vous ne tenez pas compte de cela, vous aurez nécessairement une ‘’dérive intellectuelle’’ quant à l’historique de Gaston Monnerville, qui n’est pas Frantz Fanon ou Aimé Césaire. D’ailleurs c’est Monnerville qui a choisi Aimé Césaire pour être le rapporteur de la loi dite de départementalisation, mais toute la ‘’logistique’’ relative aux rencontres ministérielles, aux écrits et aux textes quant à cette loi c’est Gaston Monnerville, et on peut le démontrer historiquement. Mais, et si on peut le dire ainsi, l’erreur ou la ‘’déconnexion’’ de Gaston Monnerville, c’est qu’il n’a pas compris que les pays d’Afrique aspiraient à leur indépendance.

Propos recueillis par Mike Irasque

*En 1931, ce « procès des insurgés de Cayenne » vit quatorze guyanais jugés (et acquittés) devant la Cour d’assises de Nantes suite à l’émeute de 1928, consécutive à la fraude électorale et la mort « suspecte » de Jean Galmot. *Une discorde née notamment de l’opposition de Gaston Monnerville à la décision de Charles de Gaulle d’un référendum pour l’élection du Président au suffrage universel ; ce qui n’était pas prévu dans la Constitution initiale de la Vème République. (MI)

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