Conférence prononcée le 04 novembre 2014 par Robert Taylor Secrétaire-général adjoint de la Société des amis de Gaston Monnerville devant un auditoire Martiniquais  


J’interviens, non comme expert mais, en qualité de Secrétaire Général adjoint de la Société des Amis du Président Gaston Monnerville, en charge de la communication et, je suis accompagné par mon Président, Roger LISE, notre Sénateur honoraire, à l’origine de la création de cette association et, qui a été celui qui m’a initié à la découverte de ce grand personnage qu’est Gaston Monnerville.

En avertissement, je voudrais tout de suite préciser que je souhaite donner à mon intervention le contour d’une  conversation, plutôt qu’un exposé, n’étant  ni historien, ni politologue, ni juriste.

Mon souhait, c’est qu’à partir de cet échange avec vous, je puisse susciter chez vous la curiosité de connaître un peu plus ce personnage, proche de nous, qui a été un grand homme d’Etat.

Ma conversation/échange portera donc sur quelques points, nous permettant de toucher la dimension de Gaston Monnerville, et toute « l’exemplarité de ce destin d’exception », pour reprendre le titre d’un ouvrage, paru en août 2013, par J-P. Brunet (1), ainsi que la portée d’une « existence exaltante », suivant l’expression de Gabriel Lisette (2) dans la préface de l’ouvrage « Témoignage ». 

  1.      Professeur d’histoire émérite, membre du CA de notre Association
  2. Ancien Ministre, Conseiller de la Communauté Franco-Africain                      

Lorsqu’il m’a été demandé de participer à cette rencontre , je n’ai pas hésité un instant, car, j’avais mesuré depuis mon adhésion à la Société des Amis du Président Gaston Monnerville, la méconnaissance parmi mes compatriotes et amis antillais, de la réelle dimension de Gaston Monnerville, dans l’histoire de la République Française (ex. peu d’adhérents antillais à l’Association). 

 

Introduction :

Pour rentrer dans le vif de mon propos, en introduction, je citerai avec plaisir une phrase de Robert Badinter dans sa Préface à l’ouvrage « Vingt deux ans de Présidence », réédité en 2003 :

« Au-delà de l’action et de la pensée du Président du Sénat, que retrace cet ouvrage, c’est l’homme, ses convictions, son destin, qui appellent attention et admiration.

J’ai toujours pensé qu’une démocratie, pour être vigoureuse, a besoin de modèles, de destins accomplis qui inspirent la jeunesse.

Quelle vie, à cet égard, peut être plus exemplaire que celle de Gaston Monnerville ? Enfant de la République Française, il se ressentit tel d’autant plus intensément qu’il était né dans ce que l’on appelait « les vieilles colonies », en Guyane, terre plus ignorée que choyée par la métropole. Mais, l’enfant de Guyane avait appris que la République voulait que tous ses enfants soient libres, égaux et fraternels.

L’idéal républicain appris à l’école, même démenti par la réalité coloniale était, pour lui, acte de foi et principe d’action. » (3)

  1. « Gaston Monnerville – 22 ans de Présidence » – Préface de Robert Badinter – Ed. Cherche Midi

 

I L’enfance, l’adolescence et l’étudiant :

  • Enfance :

 Gaston Monnerville est né en Guyane, à Cayenne, le 02 janvier 1897, de Mars Saint Yves MONNERVILLE et de Marie Françoise ORVILLE, tous deux originaires de Case Pilote en Martinique. Il était le sixième enfant du couple.

Dans « Témoignage », il confie que, dès son plus jeune âge, il a été animé d’une envie irrésistible d’apprendre. Ce qui s’est confirmé tout au long de sa scolarité, par l’accumulation des premiers prix et prix d’excellence. Il en était de même de son frère Pierre, le précédant d’une année.

 

Durant cette période, trois évènements sont survenus qui ont marqué Gaston Monnerville :

 

  • Le décès de son frère aîné, à l’âge de 20 ans, d’une crise de paludisme mais, qui lui avait expressément demandé, juste avant sa mort, de réussir à l’école
  • La révocation de son père par l’Administration, pour opposition au Gouverneur (refus du choix d’un candidat soutenu par l’Administration). Cet incident lui aurait fait prendre conscience de l’injustice et expliquerait son choix du métier d’avocat.
  • La rencontre avec Félix Eboué en classe de sixième en 1908. Monnerville dit comment il a été marqué par cet évènement : Félix Eboué, de passage à Cayenne, leur rendant visite avec sa tenue d’officier, qui venait d’être reçu au concours de sortie de l’Ecole Coloniale de Bordeaux, en partance comme Administrateur en Afrique. Cette visite incita les élèves à   redoubler d’efforts.

 

  • Les études : 

En 1912, Gaston Monnerville, boursier, âgé de 15 ans, quitte la Guyane et, entre en classe de seconde, à Toulouse, au Lycée Pierre Fermat.

A l’époque, le départ se faisait par bateau avec une traversée qui durait 20 jours. Son frère Pierre était parti l’année précédente.

C’est un élève particulièrement brillant, et, aussi doué pour les mathématiques et les sciences que pour les lettres.

 

Là encore, il collectionne les premiers prix et, il embrasse brillamment deux cursus en même temps : Lettres et Droit.

Il obtint très aisément en 1917, ses deux licences.

 

A la rentrée 1918, il entreprend de préparer le doctorat en Droit et se lance également dans la préparation de la Conférence de Stage pendant 3 ans, obtenant en 1921, la place de deuxième secrétaire de sa promotion.

 

Parallèlement, il prépare une thèse de doctorat qu’il soutient en 1921 ayant pour titre «  l’enrichissement sans cause ».

Il faut s’arrêter sur cette période, comme étudiant à Toulouse, avec son frère Pierre, étudiant en médecine, pour rappeler que l’on est en période de guerre  1914/1915 et, que les liaisons avec les Antilles/Guyane sont difficiles ; donc les deux frères doivent s’organiser dans un environnement matériel très difficile.

Si, à leur arrivée à Toulouse, ils sont à l’internat, à la fermeture de ce dernier, ils doivent trouver une solution en chambre d’étudiant (épisode de logeurs et restaurateurs acceptant de leur faire crédit pendant deux ans).

De même, pendant cette période, Gaston Monnerville, pour subvenir à ses besoins, s’engage comme ouvrier à la cartoucherie de Toulouse, pour un travail pénible, rapporte-t-il, à savoir tremper des obus dans des bacs d’acide sulfurique.

Pendant ces années, Gaston Monnerville fréquente l’union des étudiants Républicains de Toulouse.

 

  1. c) L’avocat : Toulouse 1918/1921 – Paris 1921/1932:

Gaston Monnerville s’inscrit au Barreau de Toulouse dès 1918 où il exerce en pointillé jusqu’en 1921.

Il quitte Toulouse pour Paris où il s’inscrit en 1921 au Barreau, à la recherche d’un emploi auprès d’un grand patron. A cette occasion, il décide de concourir pour la Conférence de stage à Paris et, en 1923, il est reçu au concours des Secrétaires de la Conférence et des avocats à la Cour d’Appel de Paris où il est reçu au 7è rang.

En 1927, il est élu Président de l’Union des Jeunes Avocats à la   Cour d’Appel de Paris.

Période de début d’installation à Paris et de collaboration avec un ténor montant du Barreau, César CAMPINCHI, qui aura par 

la suite, une influence importante et déterminante dans la carrière et la vie de Gaston Monnerville.

Très rapidement, il est positionné comme le principal collaborateur de Campinchi et devient un ami intime de celui-ci.

Au Barreau, tout le monde s’accordait à dire de Gaston Monnerville et, principalement son patron, qu’il était un travailleur acharné et, que au-delà de l’approche purement juridique d’une affaire, Monnerville savait replacer la plaidoirie qu’il préparait, dans son contexte spécifique (historique ou géographique, philosophique ou littéraire).

Gaston Monnerville plaide plusieurs grands procès et, surtout, il s’illustre à l’âge de 34 ans, en 1931, dans l’affaire Galmot.

Je ne vais pas trop m’étendre sur cet épisode mais, il s’agit certainement d’un fait important dans la vie professionnelle de Monnerville et, encore plus, dans sa vie politique.

 

14 guyanais sont inculpés, suite à une émeute provoquée en 1928 par la fraude électorale et par la mort suspecte de Jean Galmot, et traduits devant la Cour d’Assises de Nantes.

Avec de grands avocats de l’époque (Alexandre FOUNY, Alexandre ZEVAES et Henry TORRES), il assure leur défense.

Sa plaidoirie produit un effet considérable sur les jurés qui se prononcent pour l’acquittement.

 

J’ai dit précédemment, que l’on reconnaissait à Monnerville ce talent d’adapter sa plaidoirie au contexte ; celle-ci est, à ce titre, un modèle du genre. En voici quelques extraits :

 

« C’est de cela qu’il s’agit, Messieurs les jurés. Par votre verdict, vous êtes appelés à dire que les peuples coloniaux ont droit au respect de leur liberté et de leurs droits. Condamner ces hommes et ces femmes, c’est approuver les agissements frauduleux et les procédés ignominieux de la fraude et de la candidature officielle aux colonies, condamner ces malheureux, c’est donner raison à l’Administration Centrale qui prône ces candidatures officielles aux colonies.

Les acquitter au contraire, c’est réprouver ces procédés vils et dangereux qui ont créé le malaise colonial.

Les acquitter, c’est dire que le peuple de France dont vous êtes l’image, n’entend pas se solidariser avec ceux pour qui les colonies ne sont qu’une terre d’exploitation.

 

Les acquitter, c’est faire œuvre d’apaisement, c’est détruire     tout simplement l’agitation à venir en montrant au peuple de Guyane, que vous avez compris ses souffrances, c’est montrer le vrai visage de la France, la France généreuse, la France éprise de paix et de justice. » (4) 

 

On peut noter dans cette plaidoirie toute la force et la ferme volonté de mettre en évidence le contexte social et politique de la Guyane.

 

  1. « Hommage à Gaston Monnerville »

Texte : André Bendjebbar – Paris (décembre 2011)

Réalisé par Arcéma – Paris

 

 

II – Début de l’engagement politique de Gaston Monnerville :

Plusieurs périodes seront abordées en survol :

  • Député de la Guyane (1932 – 1940) :

 

A la suite de l’affaire Galmot et du procès retentissant des émeutiers de Cayenne, ses compatriotes demandent à Gaston Monnerville de se présenter en Guyane contre le député sortant. 

Gaston Monnerville est élu avec une majorité confortable au premier tour de scrutin en 1932 et, sera réélu de la même manière en 1936, sous l’étiquette du Parti Radical, après avoir été élu Maire de Cayenne en 1935. 

 

  • Parti Radical Socialiste :

 

Il est élu sous l’étiquette du Parti Radical auquel il adhère dès 1922, une fois monté à Paris.

En même temps, il adhère à la puissante Fédération des Jeunesses Laïques et Républicaines qui va être associée à toute une série d’opérations de type cartelliste, c’est-à-dire de regroupements entre les mouvances radicales et socialistes. 

Dès cette époque, il côtoie assidûment des hommes comme Edouard Daladier, Pierre Mendès-France, Jean Zay, Pierre Cot. On sait que, dès son adhésion au Parti Radical, il en fréquente assidûment les commissions et devient rapidement Président de la Commission de la France d’Outre Mer.

 

Ses convictions le portent vers l’aile gauche où il côtoie des hommes de sa génération mus par une volonté de rénovation et à qui la presse de l’époque attribuera l’appellation de « jeunes turcs ».

Très soudés et solidaires au Parlement, ces jeunes députés bénéficient de la bienveillance de plusieurs de leurs aînés parmi lesquels Henri Queille (député de la Corrèze depuis 1914).

 

  • Gaston Monnerville et l’avènement du Front Populaire :

 

Gaston Monnerville va être de la cohorte des radicaux qui poussent de toutes leurs forces dans la direction du Front Populaire. Dans « Témoignage », quand il relate la manifestation du 14 juillet 1935, qui en scella la formation, il ne cherche pas à dissimuler l’émotion qui le saisit alors : 

« jeune député, défilant pour la première fois dans ces quartiers populaires qui jalonnent le parcours de la place de la Bastille à la Porte de Vincennes, par la place de la Nation, je sentais monter en ma mémoire des réminiscences historiques propres au faubourg Saint-Antoine, où le nom de chaque rue rappelle un fait ou un moment de l’histoire révolutionnaire de France. »

Plus loin, évoquant les grandes heures du Front Populaire, il reconnaît « le quarante-huitard » qui sommeille en moi ; tout en gardant l’œil très vigilant, a été séduit par cet aspect généreux du mouvement. J’ai vécu avec exaltation cette période créatrice où je voyais le visage du monde ouvrier tendu vers l’espérance, vers le renouveau. L’émotion des grandes heures romantiques aux yeux de certains, vécues au  grand soleil du printemps de 1936, reste une chose inoubliable. » (5)

 

On sent bien là, à la lecture de cette évocation, l’homme de chair, le portrait d’un homme de gauche, idéaliste, romantique presque.

De manière non équivoque, Gaston Monnerville vécut la période du Front Populaire en soutenant de toutes ses forces « l’expérience Blum » et toutes les réformes instituées au cours de l’été 1936.

 

  • L’expérience des fonctions ministérielles : 

 

  • le sous-secrétaire d’Etat aux colonies (22 juin 1937 – 18 janvier 1938 ; 18 janvier – 10 mai 1938) :

 

Gaston Monnerville participera à deux cabinets successifs, l’un et l’autre présidés par Camille Chautemps. Il siège, au titre de ces deux gouvernements, pendant 9 mois, avec comme Ministre des Colonies, Marius Moutet pour le premier et Théodore Steeg pour le second.

Toujours dans « Témoignage », il dit la fierté qu’il éprouva car il était un des plus jeunes ministres (40 ans).

Il dit sa fierté mais, surtout l’émotion et la conscience de la responsabilité qui lui incombait.

 

  1. « Gaston Monnerville, un destin d’exception »

Jean-Paul Brunet

Ibis Rouge Edition – août 2013

 

A ce sujet, il faut mentionner que la presse allemande et italienne n’ont pas manqué de stigmatiser l’attribution du sous-secrétariat à Gaston Monnerville en ces termes :

 

 « La France a adopté une politique indigène qui, outre qu’elle est une folie pour la nation française elle-même, est un danger pour les autres nations de l’Europe, car cette action qui dépasse le cadre purement politique pour rencontrer le cadre biologique, doit être dénoncée à l’opinion publique mondiale, là où existe une race incontestablement supérieure à celle de couleur que la France voudrait implanter au cœur de l’Europe. »

 

  • Les grandes idées et les principales actions de la politique de Gaston Monnerville pour l’Outre Mer :

 

Lors de son passage au Ministère des Colonies, Gaston Monnerville fut étroitement associé au travail du Ministre Marius Moutet.

Plusieurs dossiers importants sont mis en œuvre, dont deux ou trois sur lesquels il convient de faire un zoom :

 

  • Mise en œuvre en Indochine du décret, en décembre 1936, qui constituait un véritable Code du Travail visant à faire appliquer outre-mer les lois sociales de la métropole, avec les adaptations indispensables aux conditions locales. 

 

Beaucoup de mesures progressistes de l’époque portent la marque de Gaston Monnerville ; c’est ainsi qu’il donne une impulsion à l’agriculture en favorisant le développement de fermes modèles, à l’extension de sociétés de prévoyance indigène en Afrique, à la santé publique et à l’éducation, à l’équipement et aux travaux publics…

Autant de domaines qui touchent à la vie quotidienne des populations.

 

Même si l’horizon de Gaston Monnerville est désormais celui de l’Empire, il ne perd pas de vue sa Guyane natale.

 

Il obtient certains succès dans la lutte contre les maladies tropicales où, en Guyane comme en Afrique, il est soutenu par des médecins comme le Dr Jean Martial (un de ces anciens camarades du Collège de Cayenne, étudiant comme lui à Toulouse, devenu membre du corps de Santé Coloniale).

 

Mais, les deux projets qu’il convient de signaler et dans    lesquels Monnerville s’impliqua le plus, sont :

  • « Le Fonds Colonial » dont il avait imaginé le canevas dès le début des années 1930, d’après le modèle du Colonial Development Fund (créé en juillet 1929 aux fins d’améliorer le développement économique des colonies de la Couronne Britannique).

Ce fonds spécial devait faciliter le développement social, sanitaire et économique des colonies des pays sous  protectorat, au moyen d’une dotation budgétaire annuelle, votée par le Parlement dans la loi de Finances.

Ce projet, en faveur duquel Monnerville déploya des efforts incessants, avait été repris sous la forme d’un vœu qu’avait adopté en 1935, la Conférence économique métropolitaine et d’outre mer.

Marius Moutet, le 07 mai 1937, dépose sur le bureau de la Chambre, le projet de loi tant attendu, dont Gaston Monnerville, à la Commission des Colonies, fut désigné comme rapporteur.

A signaler que Monnerville, fidèle à ses convictions et à sa rigueur, n’hésita pas à mettre en évidence certaines faiblesses du projet et, en particulier le faible montant de la dotation financière du Ministère des Finances qui n’accordait que 50 millions pour 1937 (à comparer à la somme de 1 million de livres réservé par le Colonial Fund aux colonies de la Couronne), sans une prévision pour les années suivantes.

Mais, malgré tout, il concluait son rapport de façon positive, en estimant que l’essentiel, en l’état des finances métropolitaines, était d’obtenir le vote de principe de la création du Fonds Colonial.

Le rapport fut adopté à l’unanimité le 15 juin par la Commission des colonies. Malgré ses réserves, la Commission des finances adopta le projet.

Devenu sous-secrétaire d’Etat, Monnerville en hâta la discussion en séance publique et, le 02 juillet, la Chambre le vota à l’unanimité.

Il restait à obtenir l’aval du Conseil de la République (le Sénat) et du puissant Président de sa Commission des Finances, Joseph Caillaux.

Mais, prétextant la guerre éventuelle à venir, Caillaux estima que les moyens devaient être alloués à la préparation de la défense de la France.

Evidemment, pour Moutet et Monnerville, cet argument était irrecevable, au motif que les colonies seraient également impliquées et, à ce titre, il apparaissait indispensable d’aider à leur développement.

 

C’était un échec mais, relatif car, l’idée va réapparaître quelques années plus tard avec la création du FIDES, ancêtre du FIDOM et, actuellement de l’AFD.

Là encore, l’histoire est importante car, combien de gens, même parmi les économistes, savent que Monnerville est un des pères du FIDOM.

 

  • Gaston Monnerville et la suppression du bagne : cette action est celle à laquelle Gaston Monnerville tient le plus, parce qu’elle est le préalable des autres et qu’il s’agit pour lui d’une simple question d’humanité.

En effet, depuis plusieurs années, il se bat pour l’obtenir.

Le contexte favorable du Front Populaire, puis son accession au sous-secrétariat d’Etat aux Colonies ont emporté la décision, même si elle n’est adoptée que quelques mois après qu’il eut quitté ses fonctions.

Au soir de sa vie, on peut dire que c’est la mesure qui lui tenait le plus à cœur.

                                                                                                                        

De mon point de vue, cette mesure est encore plus importante que la suppression de la peine de mort prise en 1981 par Mitterrand, sous l’impulsion de Robert Badinter et, dont on parle encore.

 

Il me semble utile, pour bien ancrer les choses dans les esprits, d’en rappeler rapidement la genèse. 

 

Replongeons-nous dans la position et les articles du grand journaliste de l’époque, Albert Londres, qui, dès 1923, avait attiré l’attention du grand public sur la déplorable situation du bagne de Guyane : près de 28 articles dans le « Petit Parisien » entre le 08 août et le 05 septembre ainsi qu’un ouvrage sous le titre « Au Bagne » chez Albin Michel en 1924.

Son reportage provoqua un immense intérêt dans l’opinion.

Albert Londres, le 06 septembre 1923, publie également une lettre ouverte au Ministre des colonies, Albert Sarrault, dans laquelle il propose l’adoption de plusieurs mesures immédiates.

Mais, malgré l’institution d’une commission interministérielle en janvier 1924, les réformes entreprises sont peu significatives (voir les réactions d’opposition d’une partie du monde judiciaire et des possédants guyanais).

Plus tard, c’est l’action de l’Armée du Salut qui, au début des années 1930, débloque en partie la situation.

Le rapport établi par cette institution, après enquête en Guyane, sous le titre « Terre de bagne », décrit l’horreur des pénitenciers, comme Albert Londres, mais il insiste sur la condition des libérés « tombés au plus bas degré de la misère » et « qui n’espèrent plus quoi que ce soit » et, sont véritablement « des morts-vivants ».

A la suite du rapport Péan, l’Armée du Salut sollicite du Ministère des colonies l’autorisation d’installer une œuvre en Guyane.

L’accord obtenu en 1933, et dès le mois d’août de la même année Péan et deux compagnons s’installent en Guyane.

Plusieurs réalisations à l’actif de l’Armée du Salut (ferme, pêcherie, plantation de bananes, un foyer, un restaurant…).

Mais, bien au-delà de cette action d’humanisation, Charles Péan et l’Armée du Salut visaient la suppression du bagne.

Pendant ce temps, le travail parlementaire sur ce thème disposait d’une cheville ouvrière en la personne de Gaston Monnerville qui avait été nommé rapporteur de la commission de la législation devant laquelle il présenta son rapport le 20 juin 1937.

Court mais très dense, ce rapport établit que le régime de transportation et de la relégation s’est soldé par une triple faillite, du point de vue pénal, du point de vue colonial et du point de vue de la politique internationale.

 

Sur le plan de la faillite coloniale, Gaston Monnerville souligne « qu’on ne colonise pas avec des déchets sociaux »  et il reprend le mot de Marius Moutet : « les colonies ont surtout besoin d’hommes d’énergie et d’hommes d’une valeur certaine au point de vue physique et moral. »

Il qualifie le bagne de « chancre hideux sur le visage déformé de la France équinoxiale  car, il faisait fuir l’immigration saine et féconde comme les capitaux métropolitains et sclérosait la vie économique. »

Dans le domaine des relations internationales enfin, le bagne portait un préjudice considérable au renom de la France.

Monnerville présente son projet le 20 juin.

Dans la nuit du 21, Léon Blum, mis en minorité au Sénat, démissionne. Camille Chautemps forme immédiatement son Cabinet, en y faisant entrer Gaston Monnerville.

Mais, quand Monnerville quitte le gouvernement le 10 mars 1938, le projet n’a toujours pas été discuté.

Mais, il ne baisse pas pour autant les bras et fait le siège de Georges Mandel, nouveau Ministre des colonies, et du nouveau Président du Conseil, Edouard Daladier qui, dès le lendemain de son investiture le 13 avril, obtient l’autorisation d’utiliser la procédure des décrets-lois dans le domaine économique.

Il lui fait précisément valoir que la suppression du bagne est la condition de l’essor économique de la Guyane.

C’est ainsi que le 17 juin, le gouvernement adopte un décret-loi qui supprime le bagne par extinction.

Gaston Monnerville reçoit de nombreux messages de félicitations et de reconnaissance (Conseil Général de la Guyane, parlementaires mais aussi de simples guyanais).

Il est indéniable que, sans la volonté politique, la ténacité et la conviction de Gaston Monnerville, ce succès n’aurait pas été obtenu.

 

III – Gaston Monnerville et la Guerre 1939 – 1945 :

  1. La Mobilisation :

Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Gaston Monnerville est parlementaire, âgé de plus de 40 ans.

Aux termes de la loi sur l’organisation de la Nation en temps de guerre, il n’est pas mobilisable. Mais, il entend bien participer au combat eu égard à sa conviction profonde de républicain et de patriote.

Avec plusieurs de ses collègues, il obtient d’Edouard Daladier, un décret-loi qui les autorise à s’engager. Ce qu’il fait aussitôt, le 07 septembre 1939.

Il servira comme « officier de justice » sur le cuirassé Provence. Ce bâtiment participera à une croisière de guerre qui se terminera tragiquement à Mers-el-Kebir, le 03 juillet 1940.

Gaston Monnerville sera alors démobilisé le 16 juillet 1940, après la formation du régime de Pétain.

Durant toute cette croisière (23 janvier – 25 juin 1940), il tient un important journal de bord (manuscrit de 70 pages), au style très varié : des impressions personnelles, des descriptions de comportements (par ex. effet sur les hommes de la Marseillaise).

Quand Monnerville apprend la signature de l’armistice, voici ce qu’il écrit dans son journal : « Armistice signé avec l’Allemagne et l’Italie. Fin de la guerre pour la France. Mais, début de redressement qui s’impose. Peut-être les Français comprendront-ils que l’heure est définitivement venue du travail, du sérieux, du développement de l’Empire » et, il termine : « l’Empire seul peut sauver la France » en ajoutant «  qu’elle se mette à l’œuvre pour aboutir à la formation réelle, économique et douanière de l’Empire. »

On peut noter dans ces propos, le constat de la volonté, de la force de Monnerville, de ne pas laisser place au découragement, bien au contraire, complètement tourné dans l’esprit de résistance énergique à Hitler et au régime de Vichy.

 

  1. La démobilisation :

Cette période de démobilisation et de retour en France est particulièrement intense en évènements très éprouvants pour Monnerville.

Parmi ces évènements, il faut citer :

  • la mort de son ami César Campinchi ; Campinchi qui était frappé par la mesure administrative arbitraire de Vichy de cantonnement à Marseille
  • menace sur sa liberté et réclamation par certains collaborationnistes de son arrestation (cf in journal « Le Réveil du Peuple » d’un éditorial d’une extrême virulence contre lui : « Le nègre Franc-Maçon, Monnerville, le gangster » qui se voyait reprocher d’avoir été à l’origine du décret du 21 avril 1939 contre le racisme).
  • Emprisonnement de son ami Jean Zay à Riom, condamné pour désertion par un tribunal militaire aux ordres.
  • De même, le gouvernement de Vichy ne s’occupant pratiquement pas des prisonniers coloniaux dont les autorités allemandes refusaient de donner les noms, Gaston Monnerville et sa femme, réussissent à repérer des noms et adresses par la Croix-Rouge. Et, ainsi, ils purent organiser un service de correspondance et de colis pour les prisonniers originaires des colonies. Devant l’augmentation des demandes, l’œuvre fut prise en charge complètement par la Croix-Rouge de Marseille.

 

  1. La Résistance :

Le rôle de Monnerville dans la Résistance ainsi que sa perception de cette période ne sont pas suffisamment mentionnés.

Dans « Témoignage », il précise « le tunnel s’annonçait long et sombre ; il faudrait le franchir, animé de l’espoir de revoir l’aube, un jour. »

A la fin de l’année 1940, il donne son adhésion au mouvement Vérité, puis fin 1941 à Combat ; c’est ainsi que Gaston Monnerville fut en relation avec plusieurs animateurs du mouvement à Marseille dont Gaston Deferre.

Il fut la cheville ouvrière du passage en zone sud de deux enfants de Félix Eboué, gouverneur du Tchad, rallié dès les premières heures à la France Libre et que, Vichy avait déchu de la nationalité française et condamné à mort par contumace.

 

Mais, l’essentiel de l’action de Gaston Monnerville fut juridique : il fut amené à plaider pour des juifs poursuivis pour n’avoir pas souscrit de déclarations, en vertu de la loi du 02 juin 1941 portant statut des juifs. Aux termes de cette loi, la race était définie par la religion et son article 2 disposait : « la non-appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l’adhésion à l’une des autres confessions reconnues par l’Etat avant la loi du 09 décembre 1905 (c’est-à-dire la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat).

Il plaida pour une jeune femme qui reconnaissait être née de parents juifs mais, niait être de religion juive et qui, de ce fait, avait refusé d’effectuer la déclaration, ce qui lui valait les poursuites du Parquet.

Plaidant que l’intéressée n’avait pas à prouver qu’elle appartenait à une autre religion, Monnerville fit acquitter sa cliente par le Tribunal Correctionnel de Marseille, puis  par la Cour d’Appel d’Aix en Provence, le 12 mai 1942, qui confirma le jugement.

Cette décision était une première, les magistrats ayant fait preuve d’indépendance. 

On l’appela « la jurisprudence Monnerville » et, plusieurs personnes poursuivies pour le même motif, en bénéficièrent explicitement (c’est le cas de Jean-Pierre Bloch).

Après son activité de résistant et d’opposant au régime de Vichy, à  Marseille, par son activité d’avocat, Gaston Monnerville constate que sa situation devient de plus en plus risquée car, faisant l’objet d’une surveillance renforcée de la police.

 

La zone libre, envahie le 11 novembre 1942, Gaston Monnerville rejoint les maquis d’Auvergne en décembre de la même année. Il entre dans le groupe du Commandant CHEVAL. Capitaine, puis Commandant FFI, il y prend le pseudonyme de Saint Just.

Il s’établit avec son épouse à Cheylade, dans le Cantal, du 07 décembre 1942 au 05 août 1944.

 

Saint Just sera un agent de liaison actif entre les réseaux de Lozère, de l’Aveyron, de l’Ardèche et du Gard.

Durant cette période, l’hospice civil de Cheylade sera réquisitionné par les FFI pour servir d’hôpital militaire. Sa gestion et son administration en sont confiés au couple Monnerville mais, le rôle central est tenu par Madame.

 

En-dehors du combat, Monnerville était plus utile ailleurs.

Dès avant la Libération, le Commissaire de la République Henry Ingrand, soucieux d’éviter les règlements de comptes, lui avait demandé de mettre au point un statut des conseils de guerre et des tribunaux militaires.

Pendant cette période, les qualités de Gaston Monnerville sont unanimement reconnues.

Thérèse Monnerville, dans ses notes personnelles à propos de son mari, relève :

« Tout aujourd’hui, les personnes du groupe n’ont cessé de me faire les éloges sur lui. Sur son intelligence, sa clarté, sa netteté, son caractère, son autorité, sa gentillesse et sa gaîté. Ils comprennent que ses lumières seront utiles à la France qui va se réorganiser totalement. »

Certes, c’est sa femme qui parle mais, compte tenu de la personnalité de Thérèse Monnerville, il semble bien que ces compliments soient fondés.

D’une manière générale, concernant cette période de la Résistance, ce qui l’a guidé et qu’il a mentionné dans « Témoignage » : « ce ne fut pas la recherche d’actions d’éclat mais, la satisfaction d’un idéal que j’ai toujours porté en moi, idéal fondé sur le refus de la servitude et la défense active de la liberté. » (6)

C’est la fin d’une étape de la vie de Gaston Monnerville qui fut démobilisé fin septembre 1944.

C’était, rappelons-le, un homme de 47 ans qui venait durant plusieurs années de traîner dans les monts d’Auvergne et d’y faire le coup de feu.

Les divers services rendus au pays lui avaient déjà valu la Croix de Guerre 1939 – 1940. 

 

  1. « Témoignage : de la France Equinoxiale, au Palais du Luxembourg »

Editions Rive Droite 1997 

Il reçoit la Médaille de la Résistance par décret du Général de Gaulle du 22 septembre 1945, puis la Rosette de la Résistance en 1946 et, en 1947, le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur au titre du Ministère de la Marine.

Durant la guerre et, pendant la Résistance, Gaston Monnerville donne la pleine mesure de ses qualités :

  • Courage
  • Patriotisme
  • Volonté
  • Persévérance
  • Lucidité
  • Honnêteté
  • Humanisme

Le pays était à reconstruire matériellement et moralement. Gaston Monnerville était un des plus qualifiés pour y contribuer.

De retour à Paris, tout naturellement, il reprend son cabinet d’avocat.

Du point de vue politique, il participe aux institutions balbutiantes de la République, que sont l’Assemblée Consultative provisoire (07 novembre 1944 – 03 août 1945) et les deux constituantes (06 novembre 1945 – 10 juin 1946 ; 11 juin 1946 – 27 novembre 1946).

Le Comité Français de Libération Nationale se transforme en Gouvernement Provisoire de la République Française sous la Présidence du Général de Gaulle.

L’Assemblée Consultative provisoire instituée par l’ordonnance du 17 novembre 1943, siège au Palais du Luxembourg à partir du 07 novembre 1944.

Gaston Monnerville y est désigné par la Résistance. En tant que Président de la Commission de la France d’outre mer, il contribue à préparer, en concertation avec le Général de Gaulle, le futur statut et le cadre constitutionnel de l’Union Française.

En 1945, c’est le premier référendum pour l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante qui se réunit le 08 novembre 1945 au Palais Bourbon ; assemblée qui aura des pouvoirs constituants mais limités.

En 1946, entre le 10 et le 19 janvier, on retrouve déjà Monnerville sur le terrain de l’action, comme participant au titre de la délégation française à la première Assemblée Générale de l’ONU, sous la conduite de Vincent Auriol (Vice-Président du Conseil dans le gouvernement du Général de Gaulle).

La délégation française comprend en outre, Georges Bidault, Auguste-Paul Baucour, les professeurs René Cassin et Basolevant.

Au cours de cette même année 1946, le 19 mars, intervient le vote de la loi sur la départementalisation des 4 colonies Française. Gaston Monnerville a pris une part déterminante dans ce changement de statut en sa qualité de Président de la commission qui vote à l’unanimité.

Toujours en 1946, Gaston Monnerville reprend son ancien projet de création d’un fonds colonial et, dépose en ce sens, une proposition de loi portant fondation d’un Fonds d’Investissement pour le développement économique et social des pays d’Outre Mer (FIDES).

Désigné comme rapporteur des deux propositions de loi (dont celle de Soustelle), le 12 avril, au nom de la Commission des territoires d’Outre Mer, la loi fut adoptée le 30 avril 1946.

Le 02 juin 1946, Gaston Monnerville est élu à la deuxième Assemblée Nationale Constituante.

13 octobre 1946 : troisième référendum. Cette fois, le projet de Constitution est adopté.

La Constitution institue une seconde chambre : le Conseil de la République avec des prérogatives réduites à un simple pouvoir d’avis.

10 novembre 1946 : Elections législatives à la première Assemblée Nationale, en application de la nouvelle Constitution. Gaston Monnerville qui se présente en Guyane, est battu par René Jadfard. Il en conçut une vive amertume, d’autant que, pendant près de 14 ans, il n’avait pas cessé d’être le défenseur des intérêts de la Guyane auprès de la métropole.

Il repartit de la Guyane avec la ferme intention de reprendre à plein temps son activité d’avocat. Mais, un coup du destin allait le replonger, que dis-je, le propulser, dans une situation à laquelle personne n’aurait pensé.

A peine était-il revenu en métropole qu’un télégramme du Président du Conseil Général de la Guyane lui apprenait que, le Conseil Général, convoqué par le Gouverneur en tant que collège électoral pour procéder à l’élection du Conseiller de la République de Guyane, venait le 15 décembre, de lui confier ce mandat à l’unanimité.

Gaston Monnerville prit aussitôt le chemin du Palais du Luxembourg pour siéger au Conseil de la République (315 membres), conformément à la loi du 27 octobre 1946.

Je ne vais pas rentrer dans le détail des prérogatives et missions d’alors de ce Conseil de la République (il ne s’agissait pas encore d’une Assemblée représentant les collectivités locales mais composées d’élus désignés en fait, par les états-majors des grands partis).

Gaston Monnerville fut alors élu à l’une des trois vice-présidences.

Suite à la maladie et au décès du Président du Conseil en mars 1947, Monnerville fut désigné par son groupe politique pour lui succéder à la Présidence. Le 18 mars, il est élu à la Présidence au deuxième tour par 141 voix contre 131 au candidat du Parti Communiste.

Dès sa première allocution de remerciements le 21 mars, Gaston Monnerville dresse les grands principes à partir desquels il envisage son rôle et le fonctionnement de l’Assemblée. Il proclame « sa volonté d’être et de demeurer, non un homme de parti mais, un arbitre impartial entre les partis » et, il ajoute « Votre Président pense ne blesser personne en rappelant que la vérité n’est l’apanage d’aucun d’entre nous et, que notre pauvre vérité humaine est faite de l’alliance partielle des contraires puisque, selon la forte image de Jean Cassou, il entre de l’ombre même dans la composition des cathédrales. »

IV – Le candidat de la métropole :

Face à une situation politique difficile en Guyane où les opposants à Monnerville (Jadfard puis Léon-Gontran Damas) étaient en position de force, il décide de ne pas se représenter et d’abandonner la vie politique.

Mais, Edouard Herriot et Henri Queille l’en dissuadent en proposant son élection dans une circonscription de métropole, dans le Lot.

Son implantation est marquée par le succès : conseiller général de Sousceyrac, Président du Conseil Général du Lot, Maire de Saint Ceré.

Il faut noter le côté atypique de cette carrière politique.

Vous aurez également noté, je l’espère, toute la richesse et l’intensité de cette année 1946, dans ce que j’ai appelé la période de reconstruction (cf loi du 19 mars sur la départementalisation et loi créant le FIDES, le 30 avril).


V – La reconstruction du Parti Radical Socialiste :

Gaston Monnerville fit partie d’un petit groupe de 7 dirigeants à Paris qui entreprend de reconstituer le Parti Radical, dès septembre 1944.

Lors d’un congrès de décembre 1944, il est désigné comme Vice- Président du Parti. Ce positionnement est le fait de son passé de parlementaire, de ministre et de résistant.

Mais, cette entreprise ne fut guère couronnée de succès (cf le résultat des élections du 21 octobre 1945).

Par contre, à l’issue du congrès radical des 12 et 13 janvier 1946, apparurent des tentatives pour une reconstitution d’un Rassemblement des Gauches républicaines (RGR).

Gaston Monnerville a été un élément actif de cette initiative qui permit au Parti Radical de retrouver une certaine audience (de jeunes radicaux comme Jacques Chaban-Delmas et Félix Gaillard devant leur élection à cette nouvelle étiquette).

(Faire rappel de ce renouveau du Parti Radical dès janvier 1947 avec la nouvelle élection de HERRIOT comme Président de l’Assemblée Nationale, puis l’acquisition de portefeuilles ministériels  puis en 1948 avec André Marie et Henri Queille, à la Présidence du Conseil).

Il faut insister sur le fait que Gaston Monnerville était apprécié de ses collègues parlementaires, tant à l’Assemblée Consultative provisoire qu’aux deux Constituantes successives.

VI – Le Sage du Palais du Luxembourg et le renforcement du rôle du Sénat :

Lorsque Gaston Monnerville avait accédé à la Présidence, l’Assemblée du Luxembourg était une rescapée, plutôt mal en point.

La Constitution votée par la seconde Constituante ne lui donnait qu’un rôle consultatif et la privait même du droit d’initiative en matière législative.

La première tâche de Monnerville consista donc à affirmer, à consolider l’existence de son Assemblée et à orienter le régime vers un véritable et solide bicamérisme.

L’action qu’il entreprend et mène avec ténacité et détermination s’appuie sur des convictions profondément ancrées en lui, qu’il ne cessa d’exprimer à la moindre occasion.

Pour lui, le régime républicain et, a fortiori le régime parlementaire ne peuvent être viables avec une assemblée unique.

Le Conseil de la République décide rapidement de modifier le titre de ses membres et de leur donner celui de « sénateurs, membres du Conseil de la République ».

Dès cet instant, le rôle du Président fut très en pointe sur toute une série de réformes (entraînant quelquefois de rudes conflits avec l’Assemblée Nationale) : c’est ainsi que fut créé le principe de la navette instituée entre les deux chambres pour l’examen des textes législatifs et, donc la participation pleine de la deuxième Assemblée à l’élaboration de la Loi.

De même, les rapports du Conseil de la République avec le pouvoir exécutif suivirent la même évolution (audition des Ministres par les commissions du Conseil, les questions écrites et orales…).

 

VII – Gaston Monnerville et la Franc-Maçonnerie :

Homme d’action, soucieux avant tout de travailler dans la cité au progrès matériel et moral des hommes, Gaston Monnerville trouve tout naturellement sa voie dans la Franc-Maçonnerie.

Il est initié le 16 octobre 1918 à la Loge « la Vérité » de Toulouse, enregistrée sous le n° 280 à la Grande Loge de France. Il a donc à peine 21 ans quand il rentre en Loge et, il donne la signification de cette démarche précoce en 1985, à l’occasion de la cérémonie destinée à célébrer le centenaire de cette Loge : « Ma démarche était, malgré mon jeune âge, l’aboutissement d’une longue préparation à l’idéal maçonnique ; j’avais eu l’occasion de me pénétrer… »

Monté à Paris, il fréquente un autre atelier « La Prévoyance » ; il y reste fidèle jusqu’à la fin.

Il en sera Vénérable Maître de 1935 à 1937. Au cours de cette période, il est mentionné que les travaux qu’il y présente tournent autour de questions relatives à la justice et à la démocratie…

Gaston Monnerville fut membre durant toute sa vie de la Grande Loge de France ; une longévité maçonnique 

exceptionnelle, soit 73 ans car, n’oublions pas qu’il a été initié à l’âge de 21 ans.

Il occupe à diverses reprises des fonctions importantes au sein de l’Ordre : Vénérable Maître, Membre du Conseil Fédéral de la GLDF, Membre du Suprême Conseil.

Pour certains spécialistes, il ne fait aucun doute que toute son action politique s’inspire des idées maçonniques.

Lui-même précise qu’il s’inspirait de l’exemple de deux Francs-Maçons qui avaient lutté pour l’abolition de l’esclavage : 

  • L’Abbé Grégoire pendant la Révolution Française
  • Victor Schoelcher en 1848

Cette inspiration maçonnique apparaît de manière évidente dans au moins trois domaines :

  • Son attachement à la laïcité
  • Sa définition de la politique coloniale et de l’antiracisme
  • Son attachement à la démocratie libérale

 

VIII – Gaston Monnerville et le levier politique :

Jean-Paul Brunet révèle qu’en 1921, au lendemain du célèbre Congrès de Tours, qu’il n’est pas impossible que Monnerville ait brièvement adhéré au nouveau Parti Communiste.

Mais, le levier politique c’est au Parti Radical Socialiste qu’il le trouve, car la philosophie de ce Parti s’inspire des principes de la Révolution Française et, aussi parce que les Franc-Maçons y sont nombreux.

Pour Gaston Monnerville comme pour beaucoup de Français, le radicalisme s’identifie à la République.

Dans « Témoignage », il écrit : « le radicalisme m’est toujours apparu comme le civisme sur le plan national, le patriotisme sans chauvinisme obtus, la recherche de l’entente avec les autres peuples, dans une volonté permanente de compréhension mutuelle, au-dessus de tout nationalisme étroit. »

Il ne s’inscrit au Parti qu’en 1922, une fois monté à Paris.

IX – Gaston Monnerville, l’humaniste : 

Très tôt dans sa carrière d’avocat, Gaston Monnerville a mis son talent au service des droits de l’Homme et des minorités opprimées.

Il milite activement à la Ligue des Droits de l’Homme et à la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme.

Il est de notoriété qu’il prend part à un grand nombre de réunions publiques pour dénoncer les massacres, injustices ou discriminations dont sont victimes les Arméniens, les Noirs Américains, les Nord Africains.

Dans « Témoignage », il a cette phrase révélatrice : « j’ai toujours pensé que nous ne sommes dignes de la liberté que si  nous savons la procurer aux autres ».

Les combats de Gaston Monnerville pour la dignité de l’homme sont présents dans son action et ses interventions au sein de la GLF.

Il est de ceux qui portent une ferme condamnation à l’égard du régime hitlérien.

Lors d’un meeting tenu au Trocadéro le 21 juin 1933, en faveur des juifs allemands, Gaston Monnerville dénonce l’attitude du gouvernement de Hitler « qui renie ce qui fait la beauté d’une nation civilisée, je veux dire, le souci d’être jsute, la volonté d’être bon envers tous les membres de la famille humaine, quelles qu’en soient la religion, la couleur ou la race ».

Apportant son fraternel salut « aux persécutés d’Allemagne », il leur dit : « Nous, les fils de la Race Noire, nous ressentons profondément votre détresse. Nous sommes avec vous dans vos souffrances et dans vos tristesses. Elles provoquent en nous des résonnances que ne peuvent pas saisir pleinement ceux à qui n’a jamais été ravie la liberté. »

 

De mon point de vue, ce discours est un modèle de lucidité, quant à la dénonciation du vrai visage du régime hitlérien à venir.

 

Gaston Monnerville trouve naturellement sa place de militant à la Ligue Internationale contre l’Antisémitisme fondée en 1928 et à laquelle il adhère dès l’origine, très visionnaire sur les dangers du national socialisme.

 

X – Gaston Monnerville et son ancrage dans la société Antillaise :

Je veux affirmer très fortement ce propos après une lecture récente d’une préface de Gaston Monnerville, à l’ouvrage de Ernest Léardée, « la Biguine de l’oncle Ben’s ».

Comme chacun le sait, Léardée est une de nos grandes figures de la musique antillaise.

Monnerville, dans cette préface, montre sa réelle connaissance de cette musique antillaise de l’époque de Saint Pierre et des acteurs principaux ainsi que de leurs efforts et des combats menés pour atteindre l’excellence.

Il fait montre d’une approche de proximité, lui, qui est quelquefois présenté comme un homme froid, très éloigné des préoccupations du monde de l’outre mer.

Il met en avant le caractère de cette musique antillaise qui, selon lui, constitue l’expression forte d’une culture.

Comme le précise un de mes amis : « lui qu’on peut être tenté de prendre pour un homme « froid » est, parce qu’il aime la musique, également, un homme de cœur ».

D’ailleurs, il faut bien comprendre la signification de cette préface du livre de Léardée ; l’on y apprend que Monnerville connaît personnellement les musiciens et a suivi leur carrière pendant une longue période. Ainsi, le fait que Léardée le choisisse pour rédiger la préface de son livre n’est pas seulement affaire de circonstance mais l’expression de liens très forts qui unissent les deux hommes.

Il est aussi très frappant de noter que, dans cet entretien/préface, il existe une ode appuyée à la femme antillaise, en appui d’une thèse défendue par Léardée dans son livre. Je le cite : « il a dit qu’il tient les mamans antillaises pour les meilleures mamans du monde. C’est ce que je répète depuis soixante ans et je ne suis pas le seul ! Vous ne pouvez pas savoir le mal qu’elles se donnent. Toutes les mamans aiment leurs enfants et elles font tout ce qu’elles peuvent pour eux. Mais, là-bas, c’est particulier. Il se passe quelque chose de tout à fait spécial chez l’Antillaise. Il y a une tendresse… mais il y a aussi la sévérité ! Car, elles ont une autorité personnelle telle, qu’on est obligé d’obéir au moindre froncement de sourcil. Elles vous suivent jusqu’au détail près. »

 

En guise de Conclusion,

J’espère vous avoir démontré, en retraçant la vie et l’œuvre de Gaston Monnerville, avec la constance de certaines des qualités qui ont fait sa force, qu’il a eu un destin exceptionnel, au carrefour de la construction de l’histoire de la République Française, avec la marque toujours présente de ses origines ;

Il n’a cessé de rappeler pendant toute sa vie qu’il est un descendant d’esclaves, entièrement enraciné dans sa terre natale, la Guyane.

Dans « 22 ans de Présidence », il mettra en exergue cette citation de Bernanos, tirée d’un paragraphe des « Enfants humiliés » : « Ma fidélité à mon pays est celle des bêtes et des arbres. Rien ne fera jamais de moi un déraciné… Tant que je vivrai, je tiendrai au pays, comme à l’enfance » (page 207).

Pour reprendre Philippe Martial, toujours il restera jacobin, plaidant pour l’intégration à la République, de tous ses enfants, rejetant avec force toute espèce de communautarisme et, soulignant que, si chacun a des droits, il a aussi des devoirs.

Au travers de ce survol, Gaston Monnerville est bien un modèle de vie, avec des qualités humaines hors pair.

Pétri d’humanisme, il est l’intégrité même en politique ; c’est un homme accompli.

C’est le sentiment qui ressort du bilan de l’action politique de Monnerville largement abordée dans les deux livres de mémoires déjà cités, qu’il avait publié chez Plon en 1975 et en 1980 sous les titres respectifs de :

  1.  « Témoignage : de la France Equinoxiale au Palais du Luxembourg » : réédité aux Editions Rive Droite en 1997
  2. « Vingt-deux ans de Présidence » : réédité aux Editions du Cherche Midi en 2003 ;

 

Ces deux ouvrages constituent des guides incontournables pour tout néophyte souhaitant appréhender l’homme dans toutes ses dimensions et sa complexité.

 

Gaston Monnerville a laissé d’abondantes archives (cf fonds à la Fondation Nationale des Sciences Politiques) et il existe un champ toujours sous exploité pour des travaux d’historiens, de juristes, de politologues, au sein de l’UAG ; c’est un de mes premiers souhaits comme adhérent actif de la Société des Amis du Président Gaston Monnerville, cette interpellation de l’Université qui a consacré peu de travaux sur Monnerville.

 

Or, nous savons tous, que la transmission est la clé du progrès. Par conséquent, il est plus que nécessaire de prendre en compte l’apport des générations antérieures.

 

Pour reprendre sur Gaston Monnerville, à ce stade de notre conversation, le mot de Michel LEIRIS, in « Contacts de Civilisation » en Martinique et en Guadeloupe, « il serait donc urgent, non pas de célébrer des figures mythiques comme de possibles ancêtres mais, plutôt de consolider, au  sens comptable du terme, les héritages divers, contradictoires et dérangeants parfois, complexes toujours, de tous ceux, 

flamboyants ou modestes, qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à ces « contacts de civilisations ».

 

Monnerville, pour ce qui le concerne, a œuvré dans ce sens, pour certains compatriotes exemplaires.

Il a été l’initiateur du maintien de la mémoire au travers de plusieurs comités :

  • Comité Victor Schoelcher
  • Comité Félix Eboué
  • Comité Mortenol

Chaque année, ces comités rendent un hommage toujours perpétrés à ces grands hommes, avec dépôt de gerbes au Panthéon (Victor Schoelcher, Félix Eboué, l’Abbé Grégoire) et au cimetière Vaugirard (Héliodore, Camille Mortenol).

Chaque année, sous l’impulsion de Roger Lise, Sénateur Honoraire de la Martinique et Président de la Société des Amis du Président Gaston Monnerville, une manifestation d’hommage lui est rendue.

 

Mon deuxième questionnement consiste dans le titre même de cette conférence : « Gaston Monnerville, un grand Homme d’Etat trop méconnu ».

Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un grand homme d’Etat mais, pourquoi est-il méconnu en Martinique ?

Commençons par un début, pourquoi n’y a-t-il pas de rue Gaston Monnerville à Fort de France ?

Vous admettrez que la réponse vous appartient, avec vos élus…

 

De même, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une salle de cours Monnerville à l’université Antilles-Guyane, ni de salle Monnerville au Palais de Justice, lui le grand juriste !

Fixons-nous ces objectifs facilement réalisables pour cette année 2014 !

 

Merci de votre attention !

 

 

  

 

  • 39 – 

Quelques éléments de bibliographie :

  1. « Témoignage : de la France Equinoxiale au Palais du Luxembourg » 

Réédité Editions Rive Droite 1997

 

  1. « Gaston Monnerville : 22 ans de Présidence »

Préface Robert Badinter

Editions du Cherche Midi 2003

 

  1. « Gaston Monnerville, un destin d’exception »

Jean-Paul Brunet

Réédité Editions Ibis Rouge août 2013

 

  1. « Gaston Monnerville et le Gaullisme : l’affrontement de deux conceptions de la République »

Vanessa Dautet

Institut d’Etudes Politiques 1993

 

  1. « Gaston Monnerville et la Guyane »

Rodolphe Alexandre

Editions Ibis Rouge 1999

 

  1. « Le Prophète de Guyane : la vie aventureuse de Jean Galmot »

André Bendjebbar

Editions du Cherche Midi 2010

 

  1. « La Biguine de l’oncle Ben’s »

Ernest Léardée

  • 40 –

Editions Caraïbéennes

Préface de Gaston Monnerville – 1989

 

 

 

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