“…une brique de plus dans l’édifice collectif qu’a toujours voulu construire Pierre Aliker : celui d’une Martinique debout, digne, audacieuse.”

Aujourd’hui, 3 mai 2025, un hommage empreint d’émotion et de solennité a été rendu au Docteur Pierre Aliker, figure tutélaire de la médecine, de l’engagement social et politique en Martinique. En effet, a l’entrée de la résidence qui porte désormais son nom, La Résidence du docteur Pierre Aliker, située à Fort-de-France à proximité du CHUM et de la MFME, a été inauguré un buste monumental en pierre blanche. Cette œuvre de l’artiste Hervé Beuze, fruit d’un long cheminement collectif porté par l’association Murmure d’un Art Caribéen et son président Fabrice Belliard, cristallise une volonté profonde : inscrire durablement dans l’espace public et la conscience collective la mémoire d’un homme d’exception. Retour sur une cérémonie à haute portée symbolique, mais aussi sur une figure martiniquaise majeure dont l’héritage reste, plus que jamais, d’actualité.
Une œuvre née de rencontres et d’engagement
Tout a commencé, comme souvent, par une coïncidence, une rencontre apparemment anodine. Fabrice Belliard, chef d’entreprise, promoteur et président de l’association Murmure d’un Art Caribéen, évoque cette première discussion avec Stéphane Piéjos, qui allait l’amener à découvrir le foncier qui allait accueillir la future résidence du Docteur Pierre Aliker. Ce projet immobilier de 130 logements et 12 locaux d’activités, a été pensé pour accueillir étudiants, professionnels de santé et patients, dans un cadre moderne et écoresponsable.
Mais pour Fabrice Belliard, il ne suffisait pas de construire : il fallait donner du sens. Rapidement, le nom du Dr Pierre Aliker s’est imposé comme une évidence. Pour valider cette démarche, il obtient l’accord de la famille du défunt, notamment celui de son fils Thierry Aliker. Une démarche empreinte de respect et de rigueur, qui s’inscrit dans les valeurs mêmes du docteur.
La résidence, loin d’être un simple programme immobilier, devient un hommage vivant. Les trois bâtiments porteront les noms de figures majeures de la médecine martiniquaise : Garcin, Turiaf et Morestin, tous contemporains et parfois compagnons de route du Dr Aliker. Le buste, commandé à Hervé Beuze, artiste plasticien engagé, achève de faire de cet espace un lieu de mémoire et de transmission.
Un hommage porté par la ville et la Collectivité Territoriale
Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, présent à la cérémonie, a rappelé le rôle fondateur du Dr Aliker dans la transformation de la ville : lutte contre l’insalubrité, construction de crèches, d’écoles, et accès à la santé pour tous.
“Quand Fabrice Belliard est venu me voir avec ce projet, il m’a tout de suite expliqué qu’il voulait que cette résidence porte le nom de Pierre Aliker, et qu’elle soit à la hauteur de cet engagement. Dès l’origine, il a voulu qu’elle soit dédiée à la santé, à l’accueil des étudiants en médecine, aux professionnels de santé, et même aux patients en transit. J’ai dit oui sans hésiter, parce que l’intention était claire, respectueuse et cohérente avec ce que représente le nom de Pierre Aliker.”
Le maire a également salué l’usage innovant des technologies dans le projet. En effet, un QR code apposé sur la plaque du buste permet d’accéder à un site internet dédié, qui présente la vie, les engagements et l’héritage du docteur. Une façon de prolonger la mémoire, non seulement pour les résidents mais pour toute la population martiniquaise et caribéenne.
Une pensée politique structurée, un héritage vivant
Serge Letchimy, président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique, a tenu à replacer l’hommage dans une dimension plus large, presque philosophique. Selon lui, Pierre Aliker n’était pas seulement un homme d’action, mais un penseur rigoureux, un architecte de la société martiniquaise, « un lumineux émancipateur » selon ses mots.
Il a rappelé que le docteur avait développé une pensée politique cohérente et ambitieuse, qu’il avait cofondé le Parti Progressiste Martiniquais, et qu’il avait consacré sa vie à l’émancipation du peuple martiniquais. La résidence et le buste deviennent alors bien plus que des symboles : ils sont, pour Serge Letchimy, des outils de mobilisation collective, des lieux d’ancrage pour une pensée martiniquaise indépendante, inventive, enracinée.
Le président de la CTM a également insisté sur l’importance de bâtir localement, de ne pas attendre des solutions venues de l’Hexagone. « Le docteur Aliker répétait inlassablement : les meilleurs spécialistes des questions martiniquaises sont les Martiniquais eux-mêmes. » Un appel à l’émancipation active, qui résonne particulièrement dans le contexte économique, social et identitaire actuel.

Un buste pour porter la mémoire au cœur du quotidien
L’œuvre d’Hervé Beuze est à l’image du personnage qu’elle incarne : rigoureuse, épurée, porteuse de sens. Sculptée dans de la pierre blanche, elle rappelle la tenue – blanche, qu’il n’a jamais plus quitté- immaculée que portait Aliker en mémoire de son frère André, journaliste assassiné pour ses engagements. Plus qu’un hommage artistique, le buste est un rappel quotidien, à chaque passage devant la résidence, des valeurs d’exigence, de dignité, de travail et de justice.
Hervé Beuze, artiste martiniquais reconnu, a vu dans ce projet une forme de continuité de sa démarche : interroger la mémoire collective, mettre en tension les héritages, et faire de l’art un outil de dialogue et de réflexion. « Je fais un travail d’historien sensible », a-t-il déclaré, en soulignant que cette commande avait une portée citoyenne et mémorielle unique.
L’hommage se prolonge dans le numérique et dans les cœurs
Grâce au site Héritage Aliker – https://www.heritagealiker.com, accessible en scanant un QR code présent sur le socle du buste, chacun pourra explorer la vie de ce grand homme à travers des témoignages, des archives et un travail historique mené notamment par l’historien Gilbert Pagot. Ce site vise à pérenniser l’engagement de Pierre Aliker au-delà des discours, à travers une pédagogie active et ouverte à toutes les générations.
La cérémonie de ce 3 mai, empreinte de chaleur humaine, d’élégance et de conviction, n’est donc pas une simple commémoration. Elle est une brique de plus dans l’édifice collectif qu’a toujours voulu construire Pierre Aliker : celui d’une Martinique debout, digne, audacieuse.
Pierre Aliker : le devoir d’excellence (voir aussi l’article )
Né en 1906 et décédé en 2013 à l’âge de 106 ans, le Docteur Pierre Aliker fut une figure centrale de l’histoire martiniquaise du XXe siècle. Premier afrodescendant martiniquais interne des Hôpitaux de Paris, il obtient son doctorat en médecine en 1938. Il choisit de revenir en Martinique pour y exercer la chirurgie et contribuer à l’amélioration des conditions sanitaires de son peuple.
Aux côtés d’Aimé Césaire, il fonde le Parti Progressiste Martiniquais en 1958, apportant une voix forte, ancrée dans la rigueur et l’exigence morale. Il fut à l’origine de nombreuses initiatives de santé publique, de la construction d’écoles et de crèches, de programmes de vaccination et d’assainissement, à une époque où la Martinique vivait encore les séquelles du système colonial.
D’un engagement sans faille, il porta le deuil de son frère André Aliker jusqu’à la fin de ses jours, toujours vêtu de blanc. Sa vie, ses combats, son éthique font de lui une boussole pour les générations futures. Et comme il le rappelait sans relâche :
« Les Martiniquais doivent viser l’excellence dans tout ce qu’ils entreprennent ».