Le père Jean-Michel Monconthour, curé de la cathédrale et coordinateur du comité diocésain Mémoire et réconciliation Cap 170, dans une interview accordée en mai à France-Antilles expliquait l’intérêt qu’il y a de faire mémoire et de ne pas tourner la page trop rapidement .( in Dossier : Mémoire et Histoire publié dans Eglise en Martinique. )


Pourquoi est-il si important de continuer à commémorer l’abolition ?
Aujourd’hui, les gens en ont un peu marre qu’on leur parle de l’esclavage, toujours de la même façon. Beaucoup disent qu’il faut en finir avec ça, tourner la page et aller de l’avant. Les gens ne veulent plus être enfermés dans leur passé. Avant tout, je crois qu’il faut changer notre manière de présenter l’esclavage. Tourner la page est nécessaire, c’est une forme de résilience. Il y a maintenant le présent qu’il nous faut assumer et il y a l’avenir. Mais pour accompagner le présent, et cette démarche vers le futur, cet engagement pour construire un pays, nous devons tous ensemble, avec nos différences, nous ancrer dans notre expérience. Sinon nous risquons de ne pas tirer les leçons du passé, de ne pas profiter de la force acquise. Nous sommes les survivants d’une grande épreuve qui a duré plusieurs siècles, et il y a de quoi en tirer des leçons. Nous pouvons puiser des énergies de ce passé dont nous sommes les résistants. Il est nécessaire de restaurer notre mémoire, là où il y a des failles, des trous.

 

« Renforcer les solidarités »

 

Selon vous, on se retrouverait aujourd’hui face à une histoire instrumentalisée ?
Oui. Et si nous proposons aux personnes, non pas un passé instrumentalisé, mais un passé que l’on va chercher vraiment à découvrir, en replaçant les choses dans leur contexte, nous pourrons aujourd’hui avec plus de cohérence, mieux nous engager dans le présent. Il y a eu par exemple des solidarités à l’époque de l’esclavage, aujourd’hui nous devons continuer les solidarités et même les renforcer.

D’où l’intérêt de revisiter notre passé…
Il y a du travail pour que l’être humain se pacifie en lui-même. Lorsque l’on s’apaise avec son passé, on cherche à faire la paix avec les autres.
Si l’on considère l’esclavage comme les ténèbres pour l’humanité, on peut considérer l’abolition de l’esclavage et la liberté comme une lumière pour l’humanité. Les hommes et les femmes doivent grandir dans la liberté avec tout ce que cela comporte, avec la possibilité de s’engager et de faire peuple, de nous unir les uns les autres. La liberté c’est la possibilité pour nous de vivre ensemble, d’un message fort à adresser à l’humanité tout entière. Nous avons connu l’esclavage, et nous sommes là pour dire à tous ceux qui aujourd’hui encore sont victimes de la traite des êtres humains, ou victimes des conséquences de l’esclavage, qu’il ne faut pas perdre de vue cette liberté. Même si c’est compliqué et difficile, il faut demeurer dans l’espérance et nous battre pour la justice, la paix. Il faut nous unir. Cette lumière c’est aussi celle de la solidarité du peuple martiniquais.

 

« Une page de notre histoire mal connue »

 

Vous venez de publier avec l’équipe Cap 170 et la participation d’Annick François Haugrin, historienne généalogiste, un ouvrage intitulé « Histoire de l’antiesclavagisme catholique en Martinique ». De quoi s’agit-il ?
En 2018, le comité diocésain Cap 170 Mémoire et réconciliation avait été chargé de préparer la commémoration des 170 ans de l’abolition de l’esclavage. L’une de ses premières missions a été de faire remonter des évènements de l’histoire occultés et de rappeler tout le combat mené contre l’esclavage par des hommes et des femmes catholiques, au nom de leur foi.
Cet ouvrage a pour but de rappeler ces luttes menées dans le passé, contre l’esclavage, une page de notre histoire mal connue et qui mérite d’être connue. Il y a eu comme avec Épiphane de Moirans, ou encore le prêtre dominicain Montesinos, des voix fortes qui ont dénoncé l’esclavage, des messages décisifs et remplis de gravité par rapport à la situation de l’époque, des personnes qui ont subi le martyre pour leurs prises de position. L’Histoire ne les a pas forcément retenues.
On retient plus facilement les éléments négatifs que l’on va pouvoir décrier aujourd’hui. Est-ce que l’on a attendu la loi du 10 mai pour dire que l’esclavage est un crime contre l’humanité ? Est ce qu’il y a des voix dans l’Église catholique qui se sont élevées pour dire que c’est un crime contre l’humanité avant 1848 ? C’est important pour le chrétien d’aujourd’hui d’avoir des réponses, lorsqu’il entend que l’Église catholique est une église esclavagiste, responsable et coupable de l’esclavage. On oublie que l’esclavage est avant tout une affaire économique, un moyen de production utilisé par des États. On méprise en passant ces combats, ces prises de position de religieux qui font partie de l’Histoire et qui nous ont amenés à l’abolition de l’esclavage.

 

√ Le comité diocésain Mémoire et réconciliation Cap 170 vient de publier « Histoire de l’antiesclavagisme catholique en Martinique », aux éditions ADM, sous la direction d’Annick François-Haugrin. Livre en vente dans les paroisses et à l’archevêché. Tarif : 10 euros.

 

Propos recueillis par Virginie Monlouis-Privat

Source : France-Antilles – Jeudi 21 Mai 2020

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