Actualité oblige, vous trouverez ici un rappel de “l’Affaire de l’OJAM” extrait du site https://blogs.mediapart.fr. Antilla, nous l’espérons, lors d’un prochain article vous fournir peut-être “une autre vision” ou un autre témoignage.

En 1963, 18 jeunes Martiniquais sont arrêtés pour avoir diffusé un manifeste anticolonialiste. Ils seront incarcérés et inculpés pour atteinte à la sûreté de l’État. L’affaire de l’OJAM marque un tournant dans les luttes politiques antillaises. Récit par l’historien Armand Nicolas d’une page essentielle de l’histoire contemporaine martiniquaise, puis texte intégral du Manifeste de l’OJAM.

Trois ans avant le retour d’Édouard Glissant en Martinique en 1965 et cinq ans avant la création de l’IME (Institut martiniquais d’études) en 1967 (nous évoquions récemment ce contexte avec Juliette Éloi-Blézès lors du colloque « Édouard Glissant et Le Discours antillais : la source et le delta », en avril 2019 à Paris), éclate la retentissante affaire de l’OJAM (Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique). Ces 18 jeunes Martiniquais inculpés puis incarcérés pour avoir simplement placardé un manifeste de revendications politiques, ont alors en grande partie pour modèle la toute récente expérience du Front antillo-guyanais qu’Édouard Glissant avait fondé en 1961 avec Albert Bévfille, Cosnay Marie-Joseph et l’avocat Marcel Manville – qui défendra d’ailleurs les membres de l’OJAM lors de leurs procès. Récit par Armand Nicolas (extrait de sa monumentale Histoire de la Martinique), images d’archives et texte intégral du manifeste de 1962.

Illustration 1
ARMAND NICOLAS, Histoire de la Martinique, tome 3 (1939-1971), Paris, L’Harmattan, 1998, p. 213-232 (extraits) : 

L’affaire de l’OJAM (1963) – Un des temps forts de cet affrontement [entre le camp assimilationniste et la camp de l’autonomie] fut  à partir de 1963, « l’Affaire de l’OJAM », qui restera, durant plus de 2 années, au centre de la vie martiniquaise. Les événements de décembre 59 avaient été le révélateur du rôle que la jeunesse pouvait jouer en vue de faire avancer la société. Elle avait alors spontanément exprimé sa colère devant le racisme, son mécontentement pour la situation qui lui était faite par la politique gouvernementale. Elle voulait le changement pour améliorer ses conditions de vie et pour son épanouissement intellectuel. Mais quelle solution ? Quels moyens ? Tout cela n’était pas encore très clair pour elle. Il faut dire qu’en dehors des associations sportives et de loisirs, la jeunesse n’avait guère de moyens d’expression. […]

En 1963, parait le  « Cri des Jeunes », journal des jeunes communistes (Directeur Ed. Delépine) qui sera fréquemment saisi et poursuivi devant les tribunaux par le Préfet. Le Préfet Grollemund écrit à son Ministre en 1963: « l’effort déployé (par le PCM) auprès des jeunes des lycées et des autres établissements scolaires est considérable ». Il importe de souligner l’importance des Associations d’Etudiants Martiniquais en France, qui rassemblent des jeunes d’opinions diverses, mais qui se sont toujours préoccupé des problèmes de leur pays et associé aux luttes anticolonialistes ou démocratiques (défense des libertés etc …). En 1945, c’est l’Association des Etudiants Martiniquais, surtout constituée de  « parisiens », puis sera créée l’Association Générale des Etudiants (AGEM) qui s’efforce de regrouper les étudiants de toutes les Universités et aura même une « antenne » en Martinique. […]

Naissance de l’OJAM : un Manifeste
L’affrontement entre la jeunesse anticolonialiste et le pouvoir gouvernemental va connaître son point culminant avec “l’Affaire de l’OJAM”. Dès 1961, de nombreux étudiants martiniquais viennent en vacances au pays. Ils sont choqués par la misère des masses, par la répression et les atteintes aux libertés, par le sort pénible des jeunes sans débouchés. Il y a une prise de conscience : le système départemental, qui masque le maintien du système colonial, en est responsable. Aux vacances de 1962, ils vont encore sur le terrain, dans les mornes et les bourgs où ils tiennent des réunions avec des jeunes. Ils décident alors de s’associer aux jeunes anticolonialistes locaux pour s’organiser. Ils créent, fin 1962, l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique (OJAM). L’Assemblée Générale préparatoire a eu lieu publiquement à la Maison des Syndicats de Fort-de-France le 10 octobre 62. Il est mis au point un Manifeste de la Jeunesse Martiniquaise “contre le colonialisme, pour la libération de la Martinique”. Dans ce document, “discuté et adopté par tous” on déclare “qu’il ne peut s’agir ni d’un groupe clandestin, ni d’un comité ultra secret chargé d’on ne saurait qu’elle tâche”. Elle entend donc agir publiquement, à visage découvert. Le Manifeste souligne qu’elle n’est “affiliée à aucun parti politique ou famille spirituelle”. Elle comprend de jeunes communistes et une majorité de jeunes sans parti. Il affirme : “Le moment est venu de libérer notre pays du carcan colonial afin d’être et de n’être que nous-mêmes”. Pour “Une Martinique martiniquaise”. Ce Manifeste est publiquement vendu, puis reproduit sur une grande affiche placardée dans toute l’île et qui proclame “le droit des Martiniquais de diriger leurs propres affaires”. La discussion du budget des DOM à l’Assemblée Nationale a apporté de l’eau au moulin des adversaires de la départementalisation, dont l’OJAM. C’est M. Pierre Bas, député UNR, rapporteur spécial de la Commission des Finances, qui jette le pavé dans la mare. Il est sans complaisance pour la politique du gouvernement UNR (dont il est un des soutiens). Cela se passe le 22 janvier 1963, avant l’éclatement de l’Affaire. M. Pierre Bas : “Les années d’imprévoyance ont laissé s’accumuler une masse de jeunes sans emploi. Le problème n’a pas été vu à temps et lorsqu’il a été vu on n’a pas eu le courage de prendre les mesures qu’il fallait … Mais depuis 70 ans, rien n’a été pratiquement fait. Pendant ce temps, tout progressait en France et dans le monde. La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion se sont enlisées et sont maintenant – j’en rougis – des pays sous développés”. Au même moment l’Assemblée Générale de l’ONU, dans sa 17ème session du 21 décembre 62, décidait d’accélérer l’octroi de l’indépendance aux dernières colonies.

Premières arrestations
Le 11 février 1963, des gendarmes procèdent à l’arrestation d’Henri Armongon, jeune contrôleur des douanes. Elle est suivie de perquisitions et d’une cascade d’arrestations. Hervé Florent, avocat, (Secrétaire Général de l’OJAM). Manfred Lamotte, étudiant, Rodolphe Désiré, médecin, Guy Dufond, enseignant, Victor Lesort, bijoutier, Roger Riam, Léon Sainte-Rose, Roland Lordinot, Gesner Mencé instituteurs sont jetés en prison. Pour alimenter le “complot”, la police poursuit les arrestations : Joseph René Corail, artiste, Pierre Davidas (ouvrier). Bientôt ils seront 12 emprisonnés. Le Docteur Henri Pied et Marlène Hospice (dirigeants de l’AGEM) arrivés d’un navire bananier sont aussitôt arrêtés puis relâchés. Marlène Hospice (Présidente de l’AGEM) est refoulée en France par avion.

Les départementalistes se déchaînent
Une atmosphère surchauffée s’installe dans le pays. Du côté “départementaliste” c’est un déchaînement de haine contre les “auteurs du complot”. Les rumeurs vont bon train : on parle de l’arrivée “d’un navire cubain chargé d’armes, d’un projet de débarquement de Fidel Castro, de bombes qui seraient posées durant le Carnaval” etc … La presse départementaliste hurle. Le “Sportif’ lance un appel “pour faire front à la poignée d’exaltés qui catéchise et sape le moral de notre jeunesse”. Radio-Martinique répercute les déclarations de politiciens, les motions de Conseils Municipaux ou d’Associations créées pour la circonstance (par exemple, un “Comité de Défense de la Martinique Française” écrit : “Ce sont de jeunes criminels qui ne trompent personne, et “bien qu’ils prétendent le contraire, nous disons qu’il y a complot contre l’Etat Français, complot contre la grande majorité des Martiniquais. Il y a complot parce qu’il y a salaire reçu de l’étranger pour entretenir la subversion … Nous déclarons la guerre à ces sectaires bornés, tributaires de la subversion mondiale et nous leur disons carrément non”. Le Conseil Général vote une motion (21 voix contre 5 (4 communistes, 1 PPM)). Le but de l’OJAM, dit-il, était de : “fomenter des troubles dans l’île, à la faveur desquels ils se seraient emparés du pouvoir par la violence et auraient proclamé l’indépendance de la Martinique … Un ensemble de présomptions graves d’intelligence avec les agents de l’étranger dont la mission est, de notoriété publique, de substituer à l’administration française l’autorité d’une nation qui ne serait qu’un relais stratégique dans la lutte pour la domination mondiale du communisme international”. Alors le Conseil Général “flétrit l’attitude de ces jeunes qui… se sont prêtés à cette entreprise criminelle qui n’aurait pour toute conséquence que de livrer la Martinique à la jacquerie et de la précipiter dans un abîme de misère, au milieu des pires convulsions sociales”. Il demande au gouvernement de frapper fort : “de prononcer la dissolution de toutes les associations qui, de l’aveu de leurs dirigeants et contre la volonté de la population, se sont donné pour objectif, avec le concours d’organisations subversives et sous le prétexte fallacieux de l’anticolonialisme, de faire sortir la Martinique du cadre de la République française pour y établir un gouvernement national local à la solde d’un impérialisme étranger … Insiste pour que le gouvernement mette tout en oeuvre afin que soient recherchés et retenus tant à la Martinique qu’en Métropole les vrais chefs responsables de ce mouvement anarchique”. Le Dr Robert Rose Rosette (radical), Maire des Trois Îlets, ajoute son grain de sel : “Dans ce cas il a fallu prévoir des dépôts d’armes, des attaques, des meurtres, la neutralisation de la police et la gendarmerie … Dans la conjoncture actuelle, il faut attendre le juste châtiment des traîtres du complot”. Mais la palme revient sans doute au député socialiste Emmanuel Véry qui s’est précipité à la radio et dont l’intervention du 2 avril a été reprise par le journal “l’Information” : “Il n’est en effet question de rien moins que de prendre d’assaut les immeubles administratifs, de s’installer en lieu et place des autorités officielles, d’assassiner même tous ceux qui pourraient être gênants … Les projets de coup de force à main armée et d’assassinats politiques doivent être stoppés rapidement et avec énergie”. Les promoteurs, dit-il, “de ce complot criminel” “relèvent des lois qui régissent la Sûreté de l’Etat”. Des Conseils Municipaux (Anses d’Arlet, Diamant, Sainte-Marie, Sainte-Anne, Rivière Salée etc …) la “Chambre d’Agriculture” (dominée par les Békés) flétrissent les partisans de “l’indépendance et réaffirment leur attachement à la France”. Au début la population est abasourdie par ce matraquage médiatique et autre.

De l’autre côté, la solidarité s’amplifie
Le Parti Communiste Martiniquais fut le premier à réagir et à se mettre du côté des jeunes. Il appelle à un meeting le 23 février : le Préfet l’interdit et “Justice” est saisi 2 fois en 8 jours. Le journal du 28 février écrivait : “Tous les démocrates Martiniquais doivent se trouver unis pour exiger qu’il soit mis un terme à la répression, pour que les jeunes soient libérés”. Début mars, le PCM lance une souscription pour venir en aide aux familles des emprisonnés. Puis le 2 avril c’est la création d’un “Comité d’Aide au emprisonnés” présidé par Thélus Léro, professeur au Lycée Technique, qui comprend des personnalités (les Docteurs de Thoré, Pierre Petit, P. Blanchard, J. Beaucelin, Michel Yoyo, G. Vaton, Gérard Désirée, le notaire R. Guatel, Louis Erimée, industriel (ancien maire de Sainte-Marie), des ouvriers comme Rig. Laurence et Clotaire Thomassine, Andrée Pierre Rose (avocate), G. Mauvois (dentiste), des enseignants (R. Ledron, Andrée Gottin, Léonide Marie-Joseph), André Constant (opticien), des commerçants, Roland Vilo et R. Suvelor, des ingénieurs A. Moulanier et Lucien Cidalise-Montaise etc … des partis politiques (PCM, PSU), la CGT, l’UFM, l’UJCM en font partie : Les meetings et réunions de solidarité et de dénonciation de la répression se tiennent dans toute l’île sous l’égide du Front de Défense des Libertés Publiques (FDLP). Celui-ci publie une lettre ouverte au Président de la République contre les atteintes aux libertés. De plus en plus l’opinion tourne sa sympathie vers les jeunes. Même en haut lieu on s’interroge, car le doute s’installe. Le mars, le Secrétaire Général du Ministère de l’Intérieur écrit à son collègue du Ministère des DOM : “Je pense que cet état de faits découle d’une situation que vous connaissez parfaitement bien, mais je me permets de vous demander à titre confidentiel, si la matérialité des faits existe bien, et dans la mesure où vous pourriez me les faire connaître, les motifs qui ont présidé à cette décision”.

Les 12 jeunes expédiés en France
Coup de théâtre : le 9 mars, à 4 heures du matin, les 12 jeunes sont expédiés en France par avion, menottés sous la surveillance de gardes mobiles, alors que l’aéroport du Lamentin est bouclé par un formidable déploiement de forces de gendarmerie. Ni familles, ni épouses, ni avocats n’ont été avertis. Ces méthodes font grandir l’émotion et la réprobation dans l’opinion publique qui parle de “déportation”, de pression morale sur les jeunes pour les isoler de la sympathie populaire. Les avocats du Barreau de Fort-de-France unanimes protestent contre les conditions du transfert et le député Césaire pose une question écrite au Ministre. Le Procureur Général est obligé de monter au créneau pour se justifier. Dans un communiqué, il déclare que “… les inculpés groupés au sein d’une organisation clandestine et qu’ils ont dénommée OJAM se proposaient non seulement par des moyens de propagande, mais également par une action subversive de détacher le département de la Martinique de tous liens constitutionnels d’avec la France”.

En France : protestations et solidarité
Les jeunes sont incarcérés à Fresnes où il obtiennent aussitôt le régime de prisonniers politiques, moins rigoureux. Un arrêt de la Cour de Cassation dessaisit le juge d’instruction de Fort-de-France au profit de celui de la Seine, M. Bonnefous. L’opinion publique française, déjà informée des évènements (articles dans “Le Monde”, “Combat”, “L’Humanité”, notamment), est désormais alertée. Les associations d’étudiants guadeloupéens, guyanais, martiniquais, réunionnais, l’Association générale des travailleurs antillais et guyanais en France publient un communiqué de protestation. Une lettre des étudiants en médecine de la Faculté de Paris et de jeunes médecins martiniquais, avec une trentaine de signatures, demande la mise en liberté des emprisonnés. Des personnalités françaises (JP. Sartre, écrivain, Jean Geoffroy, avocat, Sénateur du Vaucluse, JM. Domenach, directeur de la revue “Esprit”, Me Joe Nordman, Secrétaire Général de l’Association internationale des juristes démocrates, Me A. Borcker, avocat du Secours Populaire Français), tiennent une conférence de presse à Paris qui reçoit des messages de solidarité. Me Odet-Denis, avocat guadeloupéen, ancien Président du Tribunal de Fort-de-France, dresse dans “Le Monde” (24 mars), le dramatique tableau de la situation des peuples des îles. Il dénonce certaines méthodes électorales des Préfets en ces termes : “Des Préfets en sont venus à proclamer envers et contre tous des candidats non élus”. Et il sait de quoi il parle. Le poète martiniquais Gilbert Gratiant publie son émouvant poème pour les jeunes : “Toute prison a sa fenêtre”. Le 13 mai les étudiants martiniquais des diverses facultés de France ont déclenché une grève de 24 heures. “La Ligue des Droits de l’Homme” de France, la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique, l’Union Nationale des Etudiants de France dénoncent la répression et protestent. D’autant plus que celle-ci se poursuit : 2 jeunes médecins Raymond et Christiane Voustad se voient refuser par le Préfet leur prise de fonction au Centre Hospitalier de Fort-de-France, parce qu’ils ont signé une lettre de solidarité. En France même, fin juin, des perquisitions et interrogatoires sont effectués par la police chez une vingtaine d’étudiants martiniquais. Le Directeur de la DST (3/7) avoue que “les résultats … sont de faible importance” : 3 nouveaux jeunes, Léo Ursulet (à Toulouse), Renaud de Grandmaison (Bordeaux), Guy Anglionin (Caen) sont inculpés dans l’affaire de l’OJAM. Le Ministre de l’Intérieur interdit une soirée de solidarité au profit des Familles organisée par le Secours Populaire Français, ce qui provoque la protestation du groupe parlementaire communiste. Plus de 100 personnalités françaises (écrivains, professeurs d’Université, médecins, politiques, artistes, dirigeants d’organisations de masse, religieux, officiers retraités), lancent un appel demandant la libération des jeunes.

Premier succès : 4 jeunes libérés
La protestation populaire marque des points : le 11 juillet le juge Bonnefous met en liberté provisoire 4 des emprisonnés : J. René Corail, R. Lordinot, G. Mencé, Sainte-Rose. Le Parquet, mécontent, fait appel. La Chambre d’accusation décide de libérer les 4. C’est un premier succès. Une réception en leur honneur est organisée au Comité Central du PCF et au Secours Populaire Français. De retour en Martinique le 31 août par le paquebot “Flandre”, les 4 sont l’objet d’un chaleureux accueil populaire. Les gens applaudissent partout. Les barrages de police sont emportés. La station de Radio Caraïbes, qui avait donné un compte rendu objectif de l’accueil, passe dans le collimateur du Préfet qui écrit, dans son rapport au Ministre du 4 septembre : “Cette station vit essentiellement de la publicité payée en majeure partie par les commerçants et négociants de Martinique et Guadeloupe. J’ai pris contact avec les principaux d’entre eux pour connaître leurs intentions et rechercher les moyens juridiques les plus sûrs pour faire pression sur Radio-Caraïbes afin d’éviter le retour de pareil incident”. Le Préfet ira jusqu’à interdire aux Maires de recevoir les 4 jeunes dans leur Mairie. Le 18 juillet, les jeunes emprisonnés lancent une Déclaration qui est communiquée à la presse. importance” : 3 nouveaux jeunes, Léo Ursulet (à Toulouse), Renaud de Grandmaison (Bordeaux), Guy Anglionin (Caen) sont inculpés dans l’affaire de l’OJAM. Le Ministre de l’Intérieur interdit une soirée de solidarité au profit des Familles organisée par le Secours Populaire Français, ce qui provoque la protestation du groupe parlementaire communiste. Plus de 100 personnalités françaises (écrivains, professeurs d’Université, médecins, politiques, artistes, dirigeants d’organisations de masse, religieux, officiers retraités), lancent un appel demandant la libération des jeunes. La Ligue Française de l’Enseignement, au nom de ses 3 millions de membres, prend une motion à son Congrès du 19 juillet. Elle constate que “l’assimilation ne correspond plus à la situation mondiale de 1963 ni aux aspirations des populations antillaises, guyanaises et réunionnaises … s’indigne de la politique de répression”. Condamne le colonialisme et “exige l’application immédiate de la Charte de la Décolonisation adoptée par l’ONU en décembre 1961”. Elle appelle ses militants à lutter “pour que soit reconnu sans délai aux peuples de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de la Réunion le droit de gérer leurs propres affaires et de décider librement de leur avenir politique et de leur destin”. Les étudiants socialistes français demandent “une évolution du statut de ces départements qui satisfasse le vœu des populations et leur désir légitime de gérer leurs propres affaires”.

Le Procès : un dossier vide
Le Procès est fixé au 25 novembre. L’action de solidarité s’intensifie en France et en Martinique. Le 7 novembre, l’Evêque de la Martinique, Mgr Varin de la I trunelière, accompagné du R.P. Delawarde, rend visite à la prison de Fresnes aux 8 jeunes encore incarcérés. La rencontre dure 1 heure. Voilà qui ne plait guère aux ultras de la répression. Le 12 novembre, les 8 commencent la grève de la faim pour protester contre les conditions prévues du déroulement de 1eur procès. On les a laissé croupir en prison, alors qu’on les a interrogés une seule fois en six mois. Il est prévu de faire durer le procès plus d’l mois, à raison de 2 séances par semaine. Cela n’arrange pas les avocats et nombreux témoins venus spécialement de Martinique. Les autorités judiciaires s’inclinent et donnent des assurances : le procès aura lieu sans discontinuer. La grève de la faim est suspendue. Le 25 novembre, le Président Batigne, connu pour sa rigueur et sa sévérité, ouvre le procès. Il y a 18 inculpés (13 en Martinique, 5 en France), 17 avocats, une vingtaine de témoins de moralité favorables aux jeunes, il n’y a aucun témoin à charge. De nombreux journalistes français et étrangers sont dans la salle. Le procès débute par une déclaration commune des jeunes qui exprime leur position sur les problèmes de leur pays. […]

Manifestement, les choses tournent mal pour l’accusation. Le Ministère des DOM vient à la rescousse. Des pressions sont exercées sur le Président Batigne. L’émissaire du Ministre en donne le compte-rendu : “A titre confidentiel il nous a dit qu’il a été tenu au courant dans les moindres détails de la démarche des DOM qui a été répercutée par M. Foyer sur lui et le Procureur Général … Le dossier est faible, pour lui … nous allons vers des peines minimum et peut être même un acquittement”. Par ailleurs, le Ministre des DOM Jacquinot demanda au Ministre de la Justice, M. Foyer, de faire intervenir des témoins à charge. Il écrit, le 28 novembre : “Il serait donc opportun pour le Tribunal de faire citer à sa barre un certain nombre de personnalités susceptibles de rétablir la vérité. Je me permets de vous suggérer de faire appel au Préfet Grollemund (Préfet d’avril 61 à octobre 63), au Docteur Camille Petit et à M. Max Elysée qui se trouvent tous trois présentement à Paris”. C’est ainsi qu’une lettre de M. Grollemund arriva au tribunal et fut l’objet d’un incident. Le 4 décembre, la presse parisienne publia une importante déclaration du bureau national du parti socialiste : “il se déclare ému par le procès en cours … Il constate que les accusés n’allaient pas au delà de l’exposition d’intentions. Il demande en conséquence que soit garantie la liberté d’opinion inscrite dans la Constitution et rappelle que la solution des problèmes posés à la Martinique dépend essentiellement de l’expression démocratique des aspirations de la population”. C’était évidemment un cinglant désaveu de l’attitude des socialistes martiniquais. La défense fit son ouvrage avec sérieux et brio, sous la conduite de Me Georges Gratiant, le talentueux avocat, qui fut de tous les procès politiques de cette période et pour lequel les Martiniquais de toutes opinions ont éprouvé, durant toute sa vie, respect et admiration.

5 condamnations pour sauver la face
Le verdict tomba : 13 acquittements. 5 condamnations : Armongon (3 ans de prison), H. Florent (3 ans), M. Lamotte (1 an), R. Désiré (2 ans), V. Lesort (18 mois). La satisfaction du “camp des jeunes” fut mitigée. De l’autre côté on fit la grimace. La baudruche s’était dégonflée. Le PCF éleva une énergique protestation contre le verdict “colonialiste” et Waldeck Rochet, son secrétaire général, reçut les jeunes libérés au Comité Central. Les 5 retenus firent appel. L’action de solidarité ne s’atténua pas en Martinique et en France. Le Procès en appel eut lieu le 17 avril 1964. Toutes les peines prononcées accordaient le sursis. Le 21 mai, les 5 retrouvèrent leur pays, leurs familles au milieu de la joie de tous ceux qui les avaient soutenus. On leur réclama 3 millions de francs de “frais de justice”, à payer dans un délai de 8 jours, pour couvrir les frais de voyage des gardes mobiles qui les avaient escortés dans l’avion Fort-de-France-Paris !
Un jugement d’une grande portée
Cette affaire a laissé beaucoup de traces dans la mémoire martiniquaise. Mais aussi elle a laissé un jugement d’une extrême importance, qui a fait jurisprudence. En voici des extraits : “Le tribunal considère qu’il n’y a en l’espèce ni attentat, ni complot, ni même simple proposition de commettre un complot…” “Attendu que les inculpés font valoir que les idées préconisées par le document dit plate-forme de base ne contiennent rien qui soit en contradiction avec les principes posés par la Constitution, laquelle prévoit la possibilité d’aménagements au statut actuel des DOM, mais qu’il apparaît, aux précédents motifs du présent jugement, que les inculpés retenus dans les liens de la prévention ne le sont pas pour avoir fait de la propagande en faveur d’un aménagement du statut actuel de la Martinique, mais seulement pour avoir commis des actes tombant sous le coup de la loi pénale …” Résultat politique d’une grande portée : il était reconnu que revendiquer l’autonomie ou même l’indépendance n’était pas un délit. Les tenants du changement de statut le considèrent comme une grande victoire.

Les séquelles de l’affaire de l’OJAM
Dans cette affaire, le gouvernement avait été plutôt tenu en échec. Aussi, fallait-il rapidement colmater les brèches. D’autant plus que la pression internationale sur la France ne faisait que s’accentuer. Ainsi les juristes de 53 pays, au Congrès de “l’Association Internationale des Juristes Démocrates” le 23 avril, condamnait les atteintes aux libertés et la répression dans les DOM et demandait au gouvernement français d’accorder l’autonomie. En France, début mars, 150 personnalités françaises (artistes, universitaires, écrivains, dirigeants politiques, syndicaux, associatifs etc …), formèrent un Comité pour la Décolonisation des DOM qui protesta contre la répression, demanda la libération des 5 emprisonnés et exprima sa solidarité avec les revendications politiques des peuples antillais, guyanais, réunionnais.

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Extraits de La Martinique aux Martiniquais. L’affaire de l’OJAM, film de Camille Mauduech (2012)

Martinique/ Camille Mauduech/ L’affaire de L’OJAM © sefraus

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Illustration 3
Extrait du film de Camille Mauduech. Au centre sous la banderole, Marc Pulvar et Renaud de Grandmaison

MANIFESTE DE L’OJAM (ORGANISATION DE LA JEUNESSE ANTICOLONIALISTE DE LA MARTINIQUE) placardé en Martinique les 23 et 24 décembre 1962

En décembre 1959, 3 fils de la Martinique, BETZI, MARAJO, ROSILE, tombaient victimes des coups du colonialisme français. Ce sacrifice montra à la jeunesse de notre pays la voie de l’émancipation, de la fierté, de la dignité.

Depuis, notre peuple, si longtemps plongé dans les ténèbres de l’histoire, offre une résistance de plus en plus grande à l’oppression coloniale. Mais le colonialisme français, suivant ses intérêts, accentue chaque jour son potentiel répressif, voulant ainsi maintenir notre peuple sous le joug colonial.

Aujourd’hui l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique déclare :

Que la Martinique est une colonie, sous le masque hypocrite de département français, comme l’était l’Algérie, parce que dominée par la France, sur le plan économique, social, culturel et politique. Ce qui se traduit par :

1) Une économie uniquement agricole, à caractère féodal.

2) La prépondérance d’une minorité béké, liée au colonialisme français, monopolisant la terre, les usines, le commerce et les banques.

3) Un déficit permanent de la balance commerciale.

4) Un revenu individuel moyen les plus bas du monde.

5) Le chômage et la misère.

6) L’insuffisance d’écoles, de bibliothèques, de stades, d’installations sportives.

7) La déformation de l’histoire martiniquaise à des fins assimilationnistes.

8) L’étouffement de tout effort pour développer une culture martiniquaise populaire et authentique. L’aggravation de la répression (Décembre 59, Mars 61), l’augmentation des forces policières, le renforcement constant de l’appareil administratif français, et l’immigration de plus en plus considérable de civils et militaires français.

9) La révocation de fonctionnaires martiniquais ayant résisté aux arbitraires tentatives d’exil.

10) Les condamnations de patriotes martiniquais.

Condamne définitivement le statut de département français comme contraire aux intérêts du peuple et de la jeunesse de la Martinique, et rendant impossible tout développement.

Proclame la nécessité de la collectivisation des terres et des usines.

  • Le droit de notre peuple d’exploiter ses richesses et ses ressources et d’industrialiser le pays.
  • Le droit de tous au travail et à un salaire décent.
  • La nécessité inéluctable de l’entrée de la Martinique dans le vaste mouvement de décolonisation totale.

En conséquence l’O.J.A.M. (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) affirme que le malaise économique et social qui sévit à la Martinique ne pourra disparaître que grâce à un programme martiniquais au profit des martiniquais.

Proclame le droit des martiniquais de diriger leurs propres affaires.

Demande aux Guadeloupéens, aux Guyanais de conjuguer plus que jamais leurs efforts dans la libération de leur pays pour un avenir commun. Soutien que la Martinique fait partie du monde antillais.

Appelle les jeunes de la Martinique, quelles que soient leurs croyances et leurs convictions, à s’unir pour l’écrasement définitif du colonialisme dans la lutte de libération de la Martinique.

LA MARTINIQUE AUX MARTINIQUAIS !

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À lire : GILBERT PAGO, « 50 ans après, l’O.J.A.M en débat : histoire, enjeux … et quelles continuations ? »


ARTICLE Loïc Céry

Directeur du CIEEG (Centre international d’études Édouard Glissant) et du pôle numérique à l’Institut du Tout-Monde, Directeur des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ».
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