INTERVIEW DE MADAME FREDERIQUE FANON-ALEXANDRE. ( Publié le 06/10/2020.)

Pour Martinique la 1ère
I. Que retenez-vous de toutes ces années passées dans l’Administration locale, au cœur du pouvoir martiniquais, aux côtés des élu.es ?
J’ai vu exploser les diverses responsabilités des collectivités territoriales et avec elles, les compétences des élu.e.s et de leurs Administrations dès les années 80.
L’émergence d’un nouveau pouvoir local a propulsé les élu.e.s politiques aux avant-postes de la régulation sociale, du développement de leur territoire voire de l’innovation décentralisée.
J’ai vécu un « Etat » se délestant de ses missions de façon habile, au bénéfice de nos collectivités locales, mais sans compensation financière adaptée.
J’ai donc participé, aux côtés des élu.e.s, aux nouveaux défis des territoires, en saisissant la décentralisation comme une opportunité susceptible d’ériger la Martinique en laboratoire expérimental d’une autonomie rêvée.
Il a fallu renforcer l’encadrement, trouver des moyens financiers, mettre en place des outils de gestion et de management modernes, réorganiser les services, bref assurer une mutation profonde de nos Administrations pour répondre à notre ambition partagée.
Cette période m’a rendue euphorique et productive ; elle a renforcé ma détermination…
II. Parmi ces derniers, quel.le.s sont celles et ceux qui vous ont le plus marqué en terme d’engagement, de pragmatisme et de charisme ?
J’ai eu l’avantage d’être la proche collaboratrice de deux hommes politiques qui sont entrés dans l’histoire de la Martinique : Aimé CESAIRE et Claude LISE.
Pour simplifier, je dirai qu’Aimé CESAIRE a été présenté comme le père de la départementalisation de 1946, mais aussi le fondateur du mouvement de la Négritude de 1936. Il est le promoteur de l’identité martiniquaise, un référent majeur moteur pour aujourd’hui et demain.
Ma rencontre avec Aimé CESAIRE est d’abord littéraire. Elle devient effective quand il merecrute en 1976 à la ville de Fort-de-France.
C’est à cette occasion que je découvre le bâtisseur, l’homme d’ouverture, l’homme proche de sa population, l’aménageur des quartiers, le fondateur des consciences culturelles par la création du SERMAC…
Son empreinte pour notre génération est irréversible. Nos années de complicité, un trésor.
J’ai vécu 16 ans à l’ombre d’un géant.
Claude LISE a marqué l’histoire récente de nos institutions en étant, par le rapport LISE-TAMAYA, l’artisan de la reconnaissance du droit à l’autodétermination, inscrit désormais dans l’article 72.1 de la Constitution. Une revendication de la gauche antillo-guyanaise et réunionnaise qui date de la convention du Morne rouge de … 1971. Un pas décisif dans notre histoire.
C’est le père de l’Agence Départementale de l’Insertion (ADI) et des Offices de l’Eau Outre-Mer.
Son passage à la tête du Conseil Général pendant 19 ans est trop riche pour le développer dans le cadre de cette interview.
Citons tout de même : 2 milliards d’euros d’investissement déclinés en construction de collèges, infrastructures portuaires, l’Atrium, le Centre de Découverte des Sciences de la Terre, le Laboratoire Départemental d’Analyses ; l’usine de Vivé …
Retenons de l’homme aussi qu’il est d’abord un homme d’écoute, de dialogue, de concertation, viscéralement attaché à la Démocratie. Un homme d’action, entrepreneur moderne et avant-gardiste. Attaché à la promotion des femmes, des jeunes, des laissés pour compte de la société, un humaniste, un visionnaire.
J’ai trouvé chez ces deux personnalités suffisamment pour être captivée et nourrir un investissement amenant à des sacrifices personnels.
L’organisation institutionnelle n’a pas facilité un rapprochement avec l’actuel Président du Conseil Exécutif. Mais, je dois reconnaître qu’Alfred MARIE-JEANNE se singularise par une forte présence et un style de management qui lui sont propres et qui ne laissent personne indifférent.
Comment toutefois, ne pas évoquer aussi ces centaines d’élu.e.s avec lesquel.le.s j’ai partagé bien des analyses, des projets, des réalisations, des ambitions, au hasard des conseils municipaux, des plénières, des congrès, des élections municipales, cantonales, législatives ou sénatoriales ?
Je me suis enrichie constamment de ces diversités d’opinions et de style.
III. Avec ce recul de plus de 40 ans, comment analysez-vous aujourd’hui la situation socio-culturelle et politique de l’île en 2020 ?
Je crois en la Martinique.
Je sais que cette aventure collective est rythmée par des moments tragiques, des détresses éruptives mais aussi des résistances répétées et des dépassements glorieux.
Nous sommes un peuple résilient.
Cette période est particulièrement complexe. Elle nous invite à surmonter collectivement une crise sanitaire de la COVID, alors que nos problèmes structurels (chômage, inégalités sociales, pollution des terres, eau, démographie …) demeurent, voire s’amplifient.
L’Etat-providence est révolu.
Il convient donc d’interpeller les différents acteurs politiques, associatifs, économiques et sociaux pour élaborer des réponses pertinentes adaptées à nos particularismes et à des compromis sociaux. Urgence absolue.
Toutefois, je redoute que la confrontation démocratique de 2021 ne retombe dans les travers classiques des adversités politiciennes et ne s’égare dans des débats artificiels et peu féconds.
Je constate également une incapacité de notre système démocratique à faire face à l’impatience populaire et aux accès de colère citoyenne.
Il faut vite revisiter nos pratiques de dialogue et de concertation pour répondre aux effets dévastateurs de la crise économique latente.
IV. Le départ à la retraite est forcément marqué par de bons et mauvais souvenirs mais aussi de regrets car ce parcours professionnel n’a pas été sans embûches pour vous (et en tant que femme de surcroît).
J’ai 3 regrets.
En relisant ma dernière communication aux cadres départementaux, je regrette la négation d’un travail collectif préparatoire dont on mesure les conséquences néfastes aujourd’hui.
Au titre des bons souvenirs, je veux sélectionner 7 grandes satisfactions :
Toutes ces réalisations sont le fruit d’une mise en commun des savoir-faire et des atouts de chacun.
V. S’il fallait recommencer, qu’auriez-vous évité et/ou privilégié ?
Je n’aurais rien changé.
J’ai vécu une formidable épopée !
Des études de Sciences Po qui m’amènent à PrepENA, dont je suis les cours plus par curiosité que par intérêt, sur le conseil d’un professeur de faculté.
Je rentre au pays par choix, car j’y avais laissé mes amours et mon âme, en acceptant d’en subir les contraintes. Sans prétention mais avec convictions.
Concours d’attaché, formation à Angers et à l’INSEAD à Fontainebleau, DEA d’Administration Publique bouclent ma formation théorique.
Les responsabilités qui me sont confiées ajoutent et structurent des performances attendues.
Les tempêtes que j’ai traversées ont révélé ma capacité à résister, à rebondir, à mépriser l’infect, l’infâme et l’insignifiance.
J’ai malheureusement croisé cette catégorie d’hommes et de femmes qui puisaient dans la jalousie, l‘adversité et la malveillance leur raison d’être, mais j’en suis sortie renforcée et sereine.
Je n’ai pas du tout une lecture chagrine de mon passé professionnel.
Je l’assume avec ses moments d’aube, de crépuscule et de soleil répétés.
J’avance.
VI. Et maintenant …. Qu’elle sera la « nouvelle vie » de Frédérique FANON-ALEXANDRE ?
Le don de soi ne s’éteint pas « au bout du petit matin » professionnel.
Le travail est une partie de l’accomplissement de soi. Il n’est pas tout.
Mon départ « précipité » de la Collectivité Territoriale de Martinique ouvre la porte des possibles infinis.
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