Un émouvant film-documentaire sur la trajectoire exceptionnelle de cet auteur et artiste multiforme, signé par son arrière petite-fille

Inès Sabatier, fait parler le sang dans ce film en forme d’hommage et signe avec ses co-réalisateurs, Inès Blasco et Fabrice Gardel un documentaire intime et lumineux. Sur les traces de son bisaïeul, Joseph Zobel, auteur, figure majeure de la littérature antillaise, et artiste, la réalisatrice nous livre son histoire à travers ses propres souvenirs d’enfance, sa quête de transmission, et son regard d’arrière-petite-fille devenue cinéaste. Elle redonne vie à un homme dont l’œuvre, l’héritage artistique et la détermination à réaliser ses rêves devraient nous inspirer et inspirer les générations futures. Inès Sabatier, termine en fait, le récit commencé dans le roman autobiographique de Joseph Zobel, La Rue Cases Nègres, dans lequel « il relate son enfance dans une Martinique coloniale et post-esclavagiste, une réalité qui n’avait encore jusque-là jamais été racontée. Ce roman, véritable révolution, a, plus tard été adapté au cinéma, un film primé plusieurs fois de la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy. » Ayant grandi dans la misère et la violence raciale, Joseph Zobel, artiste multiforme a tracé une voie hors du commun, c’est dans cette voie que nous guide la réalisatrice. Entre mémoire familiale et récit universel, ce film est un hommage vibrant à un créateur humaniste, trop souvent méconnu, dont la voix singulière mérite plus que jamais d’être entendue, particulièrement ici en Martinique, terre de son enfance et terreau de son œuvre magnifique.
Dans votre film, le récit passe beaucoup par les femmes de la famille, les témoignages fréquemment très émouvants des descendantes de Joseph Zobel, ses petites-filles, sa belle-fille, vous, son arrière-petite-fille, racontent l’intime de l’artiste, qui, lui-même a été porté dans sa trajectoire par sa grand-mère Man Tine, magnifiquement jouée dans le film d’Euzhan Palcy, La Rue Case-Nègre, pourquoi ce choix ?
C’est vrai qu’en général, on a l’habitude de voir plutôt des experts dans les documentaires, mais vu l’accès que j’avais à sa vie, j’ai fait le choix de la famille, j’ai fait le choix de raconter l’homme par l’anecdote. Les petites histoires disent souvent plus que des explications d’expert. Dans notre famille, le récit passe beaucoup par les femmes, ma grand-tante, ma mère, mes tantes sont dans la fierté de ce que Joseph Zobel a apporté à notre lignée et elles transmettent cette mémoire activement depuis que je suis toute petite. Comme Émilie qui a consacré une grande partie de sa carrière à étudier l’œuvre de son grand-père. Cela me semblait normal de mettre en avant ces femmes qui sont tellement dans le partage et la fierté de cet aïeul.

Le parcours de cet auguste bisaïeul a-t-il influencé votre choix de carrière ?
J’ai toujours aimé lire des histoires, la littérature et les histoires ont tracé ma voie. Mon goût des histoires vient sûrement de Joseph, puisque dans ma famille les livres sont très importants, on se passe les livres, dès qu’on est en âge, on lit La rue Case Nègre. Le goût de l’image est venu ensuite. J’ai grandi en Amérique latine et j’avais pris l’habitude de regarder la télé française pour voir ce qu’il se passait, c’est en regardant les directs que j’ai pris ce goût de voir les gens qui racontaient des histoires. L’image est venue comme un choc, elle m’attirait beaucoup. Je me suis mise à filmer moi-même et je me suis aperçue que le côté technique me plaisait beaucoup.
Votre famille est éparpillée géographiquement, quel lien garde-t-elle avec la Martinique ?
Pour moi, c’est un lien tout naturel puisque je suis née en Martinique ! Dans la famille, nous avons ce goût du voyage, ce goût de l’exil, une attirance vers des cultures différentes, mais ce qui nous rassemble tous ensemble, c’est la Martinique. C’est là que nous nous retrouvons depuis que je suis toute petite. J’ai été habituée à m’ancrer culturellement en Martinique même si j’ai vécu plein d’autres choses. Et quand on a grandi dans différents endroits, comme moi, et qu’on se sent un peu de nulle part, la seule constance qu’il reste pour moi, c’est la Martinique et le sud de la France. Pour ma famille, cela reste le grand point de ralliement, le lien. Quand je rentre en Martinique, je ne parle pas créole, il y a beaucoup de choses que je ne connais pas, mais je m’y sens étrangement bien et ancrée.
Votre tante Emilie Zobel dit dans le film que, dans la rue case nègre où Joseph Zobel a grandi, les gens s’occupaient les uns des autres, « il y avait des gens qui l’aimaient », elle dit que c’est la base du bonheur.
Elle a tout à fait raison, c’est ce que dit Joseph, il dit, j’ai grandi dans le dénuement le plus complet, mais je n’ai pas été malheureux. Et c’est à cela que ça tient, au fait d’avoir été si bien entouré, d’abord l’amour de sa grand-mère qui a sacrifié sa vie pour qu’il puisse construire la sienne en toute liberté, ensuite, il y a ce côté communauté de la rue case nègre. Tout y est une aventure pour les enfants, aller cueillir des fruits, était un bonheur malgré leur dénuement. Je crois que Joseph a tiré de là son goût des gens, cette envie de raconter les gens de la Martinique, le bonheur, c’était cela pour lui, vivre en communauté entouré de gens bienveillants. Il y a aussi l’instituteur qui joue un rôle clé, même s’il est dur, il est plein d’amour pour Joseph.
D’où viennent les images d’archives que l’on voit dans le film ?
Une partie vient des fonds de l’INA, j’ai été surprise de trouver autant d’images, et ma famille aussi, de grands entretiens dans des émissions télé, un documentaire fait en 1998…Et il y a le fond privé de la famille, notamment chez ma grand-tante qui conserve tout. J’ai fait un travail d’archiviste. Mais les archives publiques ne sont pas faciles à trouver.
Vers la fin du documentaire, on découvre qu’il a été déçu par le manque de reconnaissance, Emilie dit, « Il n’a pas eu sa place autour de la table des grands auteurs des Antilles comme il devrait l’avoir. Ce qu’il a offert au monde est spécial…Et je ne sais pas pourquoi il n’est pas connu comme il devrait l’être » . Est-ce que vous avez fait ce film pour cette raison ?
Je l’ai fait pour cela en partie. Parce que je pense que sa trajectoire d’homme, au-delà de son œuvre magnifique, est incroyable. Il est un homme parti de rien et il démontre que l’on peut se construire avec acharnement, vivre son rêve malgré les obstacles. Son rêve au départ était d’être un peintre, un artiste, il est d’abord devenu écrivain, puis professeur, il s’est rapproché des intellectuels, jusqu’à la fin de sa vie où il devient cet artiste plasticien qu’il rêvait d’être. Je trouve cela très touchant et assez inspirant pour la jeunesse de la Martinique. Aujourd’hui, il est très important pour les jeunes d’avoir des figures sur lesquelles se projeter.
Avez-vous un message à faire passer à la Martinique ?
Je pense que Joseph Zobel devrait prendre plus de place dans la culture populaire martiniquaise car il est tellement accessible dans son œuvre, contrairement à d’autres auteurs mis en avant, elle est tellement pleine de poésie, cela mérite le détour. C’est un être complexe qui a refusé qu’on l’assigne à une seule identité, je pense que pas mal de personne devrait s’inspirer de cela partout dans le monde, pas seulement en Martinique.
Propos recueillis par Nathalie Laulé
Joseph Zobel, l’enfant de la Rue Cases-Nègres
Documentaire inédit, réalisé par Inès Sabatier, Inès Blasco et Fabrice Gardel
Une production AUXYMA et France TV
Diffusion sur France 3, le 12 mai 2025, dans le cadre de l’opération Cœur Outre-Mer, puis visible en replay.