pour IREF

La justice judiciaire française, c’est-à-dire les tribunaux de l’ordre judiciaire, justice administrative non-comprise, connaît une augmentation importante de son budget : + 27% entre 2011 et 2021. En 2021, la hausse a même atteint 6,5% en loi de finances par rapport à l’année précédente et ce malgré la baisse de la quantité de travail à effectuer, liée à la déjudiciarisation de nombreuses affaires telles que le divorce par consentement mutuel.

Or, les délais de traitement des affaires civiles se détériorent et le stock de dossiers non-traités augmente. En effet, aucun outil de gestion de l’allocation des ressources humaines n’a été mis en œuvre dans les tribunaux et la carte judiciaire, reposant sur des fondamentaux historiques, comporte des incohérences entraînant dispersion des moyens et irrationalités de gestion.

Depuis 2015, de nombreuses réformes ont dû être intégrées par le ministère de la Justice, celle de 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit, celle sur le parquet européen ou encore sur la loi de modernisation de la justice du 21e siècle.

Ce sont principalement ces réformes qui viennent ralentir la marche des affaires judiciaires, ainsi que l’absence d’allocation de moyens liés à l’activité des tribunaux, sur le modèle, par exemple, de la TAA (tarification à l’acte) pour les hôpitaux.

De la nécessité de réformer la carte des cours d’appels

La carte des cours d’appel, fondée sur un découpage géographique dont les fondements remontent à l’Ancien régime, n’a, contrairement aux tribunaux de première instance réorganisés en 2008 et 2020, jamais été modernisée. Isolées dans leur action, de taille souvent insuffisante, les trente-six cours d’appel n’ont pas un ressort qui coïncide avec les treize nouvelles régions administratives métropolitaines (pas plus qu’avec les vingt-quatre anciennes d’ailleurs), ni avec les directions interrégionales de l’administration pénitentiaire ou des directions de protection de la jeunesse.

L’absurdité culmine en ce que le ressort de neuf cours s’étend sur deux régions, celui d’une cour sur trois régions, tandis que neuf régions comprennent plusieurs cours (cinq en Nouvelle-Aquitaine par exemple). Même en termes d’organisation interne, les irrationalités de gestion sont fréquentes : par exemple à la cour d’appel de Nîmes dont le service informatique est à Toulouse, le pôle chorus de facturation à Montpellier et le service immobilier à Aix-en-Provence.

Aux termes de la LOLF, le budget opérationnel de programme (BOP) décline un programme budgétaire sur le terrain et son responsable répartit les crédits entre les différentes unités opérationnelles. Dans le cas de l’ordonnancement des dépenses des cours d’appel, la gestion est éclatée entre 28 tribunaux décisionnaires en la matière, certains responsables BOP n’ayant aucune autorité sur l’ordonnancement des dépenses.

Étant donné le peu de hiérarchisation de la gestion des crédits et leur absence de fongibilité avec les autres services du ministère, ceux-ci sont répartis chaque année par tacite reconduction, sans justification de dépenses ni indicateurs de performance.

Une organisation du temps mal évaluée, des moyens numériques sous-utilisés

En 2020, le Conseil de l’Europe mettait en exergue, dans une étude de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CPEJ), la faible part de PIB (0,2%, soit 69,5 € par an et par habitant) consacrée par la France à la Justice, en particulier lorsqu’on la compare avec la moyenne européenne (0,33% du PIB pour 72 € par habitant). Notre pays compte également 11 juges pour 100 000 habitants contre 21 en Europe.

La croissance budgétaire, associée à l’allègement de la charge du juge et aux réformes de simplification procédurale, n’a pas permis de réduire les délais moyens de traitement des procédures civiles, comprises entre 14 et 19 mois selon les juridictions.

Aucun référentiel d’allocation de moyens fondé sur des critères explicites de pondération des affaires n’a, à ce jour et à l’inverse des juridictions administratives, été mis en œuvre, ce qui a engendré les incohérences que l’on peut imaginer.

Malgré un plan de numérisation de 530 M€ sur cinq ans adoptés en 2020, le ministère de la Justice a accumulé un retard considérable en la matière : équipements informatiques obsolètes, logiciels anciens incapables de communiquer avec l’extérieur, gouvernance informatique désuète et cyber sécurité négligée.

Pendant le confinement, la pratique du télétravail n a d’ailleurs mis les tribunaux complètement à l’arrêt.

Trois projets principaux ont été engagés pour améliorer ce triste état des lieux : les systèmes d’information Portalis (pour le droit civil), Cassiopée (pour le droit pénal) et la procédure pénale numérique, complémentaire de Cassiopée, de dialogue entre les services des ministères de la Justice et de l’Intérieur. Ces projets prennent pourtant du retard : le projet Portalis, dont le coût était estimé à 28,5 M€ en 2013, a été réévalué à 100 M€ en 2020.

Chacun se souvient du tollé provoqué par Rachida Dati lorsqu’elle avait mis en œuvre sa réforme de la carte judiciaire en juillet 2007. Celle-ci est pourtant d’actualité pour les cours d’appel qui doivent être calquées sur les régions administratives pour n’en maintenir que 13, au besoin en délocalisant certaines affaires de manière foraine. Il est également nécessaire de numériser à marche forcée la justice, de stopper les augmentations de crédits et de rationaliser la répartition des ressources entre les tribunaux. Alors seulement l’impact de ces réformes pourra être mesuré à budget constant, à la suite de quoi les nouveaux crédits accordés à la justice pourront permettre une réelle amélioration du traitement des justiciables en France.

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