Éric Mével (Insee)


Conditions de vie en 2018

En 2018, en Martinique, 38 % de la population est en situation de privation matérielle et sociale. Ne pas partir en vacances et ne pas pouvoir faire face à une dépense imprévue de l’ordre de 1 000 € sont les privations les plus fréquentes. La privation touche plus souvent les personnes non diplômées, sans emploi et les familles monoparentales. Elle continue de frapper davantage les jeunes. Les personnes nées dans un DOM sont plus exposées à la privation que les celles nées en France métropolitaine.


INSEE ANALYSES MARTINIQUE
No 43

Paru le : 16/12/2020


Ne pas avoir les moyens de partir en vacances, d’avoir une activité de loisir régulière ou de s’acheter des vêtements neufs… Autant de difficultés auxquelles les ménages peuvent être confrontés. En Martinique, 38 % de la population est en situation de privation, soit près de 123 000 personnes. Ils sont privés d’au moins cinq éléments parmi treize considérés comme nécessaires à une vie décente.

La situation de la Martinique est très proche de celle de la Guadeloupe (41 %) et de La Réunion (40 %). Elle est plus marquée en Guyane où la moitié de la population y est exposée. En France métropolitaine, le taux de privation est trois fois plus faible qu’en Martinique, il s’établit à 13 %. En outre, plus de la moitié (57 %) de la population métropolitaine déclare ne subir aucune privation contre 17 % en Martinique (figure 1).

17 % des Martiniquais ne subissent aucune privation.

 En 2018, 21 % des Martiniquais se trouvent en situation de privation matérielle et sociale sévère.

En 2018, une personne sur cinq est en situation de privation sévère

La privation sévère touche trois fois plus les Martiniquais que les métropolitains (respectivement 21 % contre 7 %). Le constat est similaire pour les autres DOM, hormis la Guyane plus sévèrement impactée, avec 38 % de sa population dans cette situation.

Des privations plus nombreuses qu’en France métropolitaine témoignent de conditions de vie matérielles et sociales plus dégradées pour une certaine frange de la population et s’expliquent par la situation économique du territoire. Le taux de pauvreté est deux fois plus élevé : 29 % en Martinique contre 14 % en France métropolitaine. La structure de marché favorise des situations monopolistiques, ce qui peut avoir des conséquences sur la formation des prix et sur le coût de la vie. Les prix sont en effet plus élevés de 12,3 % en Martinique qu’en France métropolitaine. Autre facteur, le marché du travail est déséquilibré avec un chômage structurel important (17 % des personnes actives de 15 à 64 ans en moyenne entre 2017 et 2019). À cela s’ajoute un nombre important de Martiniquais se situant à la frontière entre le chômage et l’inactivité (10 % des 15 à 64 ans sur la même période). Enfin, le sous-emploi (10 % des personnes en emploi sur la même période) est aussi plus répandu et induit des rémunérations plus faibles.


Sept Martiniquais sur dix ne peuvent pas mobiliser 1 000 euros en cas d’imprévu


Les privations les plus fréquentes (figure 2) sont celles qui nécessitent de mobiliser les sommes d’argent les plus importantes : pouvoir faire face à une dépense imprévue de l’ordre de 1 000 € (70 % des Martiniquais sont concernés), s’offrir des vacances (62 %), remplacer des meubles (60 %). Ces difficultés touchent aussi plus fortement les populations dans les autres DOM et en France métropolitaine. Par exemple, ne pas pouvoir faire face à une dépense imprévue de l’ordre de 1 000 € affecte sept domiens sur dix (71 % en Guadeloupe et Guyane, 72 % à La Réunion) et trois métropolitains sur dix. Des inégalités relatives à la situation financière de la population peuvent expliquer ces écarts. En effet, 55 % des Martiniquais déclarent que leurs revenus ne suffisent pas tous les mois à couvrir toutes les dépenses courantes.

La voiture reste le mode de déplacement privilégié des Martiniquais, ce qui en fait un bien de consommation prioritaire. Ainsi, seulement 8 % d’entre eux déclarent s’en priver.

Une certaine tension budgétaire est ressentie par environ un tiers des Martiniquais qui déclarent être en situation d’arriérés de loyers, de remboursements ou de factures (9 % en France métropolitaine). Sur le plan du confort, la climatisation est diffusée moins massivement en Martinique qu’en Guadeloupe (un logement sur quatre contre un sur deux). Pour autant, les Martiniquais ne disent pas avoir trop de difficultés à réguler la température dans leur logement (20 % contre 24 % en Guadeloupe).

Les privations individuelles les plus fréquentes sont les mêmes dans tous les territoires. Elles recouvrent une dimension tant matérielle que sociale. Il s’agit notamment de ne pas pouvoir disposer d’une petite somme d’argent pour soi (35 % des personnes en sont privées en Martinique) ou des restrictions liées aux loisirs payants, comme une sortie au cinéma ou l’inscription dans une association sportive ou culturelle (28 %). Ne pas pouvoir se retrouver régulièrement avec des amis ou de la famille autour d’un verre ou un repas est également une privation qui concerne de nombreux Martiniquais (19 %). Les plus défavorisés ont également des difficultés à s’habiller avec des vêtements neufs (17 %) et à se chausser convenablement (10 %).

 

Un Martiniquais sur trois ne peut pas s’offrir une activité de loisir régulière

 En 2018, 60 % des Martiniquais déclarent ne pas pouvoir changer de meubles hors d’usage par manque de moyens financiers.


Un accès internet très répandu


En bas de l’échelle des privations, l’accès à une connexion internet pénalise moins de personnes. Le développement des connexions mobiles facilite son accès et sa diffusion auprès de l’ensemble de la population, lui conférant un caractère prioritaire dans les choix de consommation. Ainsi seuls 6 % des Martiniquais en sont privés. C’est une réalité nationale à laquelle seule la Guyane fait exception avec 28 % de personnes privées de connexion à internet, à l’opposé de la France métropolitaine qui en compte moins de 2 %.

Le diplôme et l’emploi protègent mieux de la privation

Les privations matérielles et sociales touchent les mêmes profils de personnes en France métropolitaine et dans les DOM. La structure socio-démographique des régions ultramarines et notamment de la Martinique, amplifie leur fréquence. En effet, les populations les plus fragiles y sont proportionnellement plus nombreuses et cumulent davantage de facteurs de risque.

La possession d’un diplôme est un atout (figure 3) : plus son niveau est élevé, plus le taux de privation est faible. En Martinique, le taux de privation s’élève à 16 % pour les diplômés du supérieur et à 48 % pour les non diplômés. En effet, le risque de privation en Martinique est six fois plus important pour une personne pas ou peu diplômée que pour un titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur (encadré 2). Cette tendance est identique dans les autres régions d’Outre-mer, comme en France métropolitaine. Cependant, le nombre de diplômés du supérieur est plus faible en Martinique qu’en France métropolitaine. L’offre universitaire s’est développée dans les régions d’Outre-mer, mais elle reste souvent limitée aux premiers cycles, conduisant de nombreux jeunes désireux de suivre un second ou un troisième cycle à s’inscrire dans une université en France métropolitaine.

Habituellement en rapport avec le diplôme, les types de professions affichent des taux de privation très hétérogènes. Il est de 3 % pour les cadres qui, proportionnellement, sont moins nombreux en Martinique qu’en France métropolitaine. Huit privations parmi les treize de l’indicateur concernent moins d’un cadre supérieur sur dix. À l’opposé, 41 % des employés et ouvriers insulaires sont affectés par les privations.

Mais l’emploi n’est pas une garantie absolue pour échapper à la privation : 26 % des personnes en emploi, malgré une source de revenu stable, y sont confrontées. Les personnes en emploi sont toutefois moins touchées par la privation que les retraités (35 %) et environ deux fois moins que les autres personnes en inactivité (54 %). Plus exposés, et aussi relativement plus nombreux qu’en France métropolitaine, 59 % des chômeurs sont en situation de privation. Le risque de privation est presque deux fois et demie supérieur pour un chômeur que pour une personne en emploi.

Les femmes plus touchées par les privations  selon les caractéristiques socio-démographiques de la population.
En 2018, 45 % des Martiniquais nés à l’étranger sont une situation de privation matérielle et sociale sévère.

Les familles monoparentales sont plus touchées par les privations

Les familles monoparentales sont plus touchées par la privation (55 %) que les couples (respectivement 25 % et 22 % pour les couples avec ou sans enfant) ou les personnes vivant seules (43 %). Elles sont plus nombreuses en Martinique : un quart des ménages contre un dixième en France métropolitaine.

Ces familles cumulent plus souvent les difficultés, notamment l’absence d’emploi. Leurs charges financières ne sont en général supportées que par un seul revenu lorsqu’il existe. Le risque de privation est 1,4 fois supérieur pour les familles monoparentales que pour les personnes vivant seules, en raison probablement de besoins plus importants.

En revanche, la vie en couple, avec ou sans enfants, offre plus de chances à un ménage de ne pas être en privation (encadré 2), par rapport à une famille monoparentale ou une personne vivant seule.

Les femmes sont plus affectées par les privations que les hommes (respectivement 42 % et 32 %) (figure 3). En effet, elles sont plus souvent dans des situations plus précaires (chômage, sous-emploi). La position majoritaire des femmes à la tête des familles monoparentales (69 %) aggrave leur situation. L’écart des inégalités se resserre quant aux privations sévères qui concernent 22 % des femmes contre 19 % des hommes.

Le diplôme reste une clé pour lutter contre la privationLes déterminants socio-démographiques de la privation en Guadeloupe

 
Variables étudiées Modalité active Référence Odds ratio
Genre Féminin Masculin 1,6
Diplôme Pas ou peu diplômés Bac+2 ou plus 6,0
CAP ou équivalent 3,3
Bac ou équivalent 2,7
Activité Chômeur Personne en emploi 2,4
Retraité ns
Etudiant, autre ns
Autre inactif ns
Statut d’occupation Locataire Propriétaire 1,4
Logé à titre gratuit ns
Type de ménage Famille monoparentale Personne seule 1,4
Couple sans enfant 0,5
Couple avec enfant(s) 0,6
Autres ménages ns
Lieu de naissance France Métro. Dom ns
Étranger ns
  • ns : le risque n’est pas significativement différent entre la modalité active et la modalité de référence.
  • Note de lecture : L’odd ratio représente le multiplicateur de risque d’être concerné par la privation matérielle et sociale que la modalité active représente par rapport à la modalité de référence, toutes choses égales par ailleurs. Par exemple, un locataire a 1,4 fois plus de chance d’être en situation de privation qu’un propriétaire.
  • Champ : 16 ans et plus.
  • Source : Insee, SRCV 2018.

La privation continue de frapper davantage les jeunes. Ainsi, 42 % des personnes âgées de 16 à 29 ans sont en privation contre 38 % pour l’ensemble de la population. Les habitants de 75 ans ou plus ont, au contraire, une perception des besoins différents et sont moins affectés par les privations. Un Martiniquais de plus de 75 ans sur trois est malgré tout concerné.

Enfin, la privation se différencie aussi selon le statut d’occupation du logement : les locataires sont plus souvent concernés (46 %) que les propriétaires (32 %).

La Martinique au niveau de la Hongrie ou de la Grèce

La construction de l’indicateur européen est basé sur les privations. Il permet les comparaisons avec des pays ou des régions dont les contextes économiques, sociaux, voire institutionnels sont différents. En effet, l’approche monétaire définit un taux de pauvreté dont la mesure est basée sur un seuil relatif et divergeant selon les pays. Alors que l’indicateur de privation repose sur un décompte de manques définis dans un ensemble commun, l’Union européenne. Ce qui lui confère un caractère de comparateur « absolu » au sein de l’Union.

Dans ce cadre, la Martinique comme la Guadeloupe, se situent en bas de l’échelle du classement européen proche de la position de la Hongrie ou de la Grèce. Mais au-dessus de la Bulgarie et de la Roumanie, lesquelles présentent un taux de privations matérielles et sociales comparable à la Guyane. Faute d’un indicateur commun, il est difficile en revanche de comparer la Martinique à ses voisins des Caraïbes.

Les déterminants socio-démographiques de la privation en Martinique

La régression logistique est un outil statistique qui permet d’identifier les déterminants d’un événement (la privation matérielle et sociale), en précisant et quantifiant leur influence propre, « à autres caractéristiques équivalentes », c’est-à-dire en comparant des individus en tout point identiques sur les autres variables introduites dans le modèle (genre, diplôme, activité, statut d’occupation du logement, type de ménage et lieu de naissance). L’âge et les catégories professionnelles n’ont pas été retenus dans le modèle étudié, car ils montraient trop de colinéarité avec les autres critères.

Le modèle permet de comparer les déterminants favorables ou défavorables à la situation de privation matérielle et sociale entre les régions d’Outre-mer et la France métropolitaine, qu’ils agissent dans le même sens et que seule l’intensité de l’effet varie d’un territoire à l’autre. Par exemple, lorsque le risque de privation est 6 fois supérieur pour les personnes pas ou peu diplômées que pour un titulaire d’un « bac+2 ou plus » en Martinique, il est 3,7 fois supérieur en France métropolitaine. Ce risque au sein d’une population s’entend comme le rapport entre la probabilité d’être en privation sur la probabilité de ne pas l’être.

Il existe toutefois des différences entre les déterminants de la privation dans les Outre-mer et la France métropolitaine. Ainsi, l’influence du genre est opposée pour la Guyane : le risque d’être en privation est inférieur pour une femme par rapport à un homme. Enfin, le lieu de naissance dont les modalités sont : DOM, France métropolitaine, étranger, ne semble pas influant en France métropolitaine ou en Martinique alors qu’il peut être déterminant en Guadeloupe et qu’il l’est de manière plus marquée en Guyane

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