Un écriteau QAnon devant le Capitole américain, peu avant les événements du 6 novembre.
PHOTO : GETTY IMAGES / WIN MCNAMEE

Repéré sur ici-radiocanada.

L’invasion du Capitole américain mercredi après-midi, qualifiée d’insurrection par le président désigné, Joe Biden, a choqué la planète entière. Elle porte l’empreinte indélébile de la conspiration QAnon, pour qui un coup d’État violent est un objectif central.Il est impossible de véritablement expliquer ce qui s’est passé, mercredi, au Capitole américain sans passer par la conspiration QAnon.


Certes, toutes les personnes ayant assailli le bâtiment avec pour objet d’arrêter la confirmation de l’élection de Joe Biden comme président américain ne se réclament pas toutes nécessairement du mouvement. Le président sortant, Donald Trump, a certainement encouragé ses partisans à marcher vers le Capitole dans un discours où il affirmait qu’il n’allait jamais concéder la victoire et qu’il entendait continuer à se battre. QAnon n’est pas le seul élément en jeu. La présence de personnes arborant un drapeau sécessionniste ou encore un t-shirt néonazi(Nouvelle fenêtre) n’est pas anodine.

Toutefois, pour ceux qui, comme moi, observent ce mouvement depuis maintenant un peu plus de trois ans, il y a un sentiment qu’il s’agit de l’aboutissement inévitable de la galère QAnon. D’une suite logique. Tôt ou tard, on allait en arriver là.

Il est facile de s’arrêter au spectacle QAnon et de s’en moquer sans vraiment chercher à bien le comprendre et à saisir le risque qu’il comporte. Vu de l’extérieur, le mouvement est un cirque.

Certains partisans croient que John F. Kennedy, Jr., le fils du président assassiné du même nom, est toujours en vie et qu’il travaille secrètement pour Trump. D’autres croient que la Corée du Nord est en fait contrôlée par la CIA, grâce aux interventions de Trump. La croyance de base de QAnon – qu’un agent secret américain empruntant le sobriquet Q publierait des messages cryptiques sur un forum obscur autrefois dédié à la pornographie et les dessins animés japonais pour communiquer des informations d’importance capitale – est d’un ridicule absurde pour quiconque dispose de la moindre connaissance de la culture du web.

Depuis l’élection du 3 novembre dernier, des fanatiques de QAnon affirment que les Forces spéciales américaines ont effectué un raid en Allemagne pour obtenir des machines qui ont supposément servi à truquer le vote en faveur de Joe Biden.

Cette semaine, l’histoire avait changé : les ordinateurs en Allemagne avaient simplement servi de point de transit entre des machines comptabilisant des votes dans certains États clés et ceux qui cherchaient à modifier l’issue du scrutin. Il s’agissait, bien sûr, des services secrets britanniques, qui avaient obtenu ces données à l’aide de satellites militaires italiens.

Et ainsi de suite.

Un mouvement autoritaire

L'homme a un t-shirt avec un logo en forme de Q.

Un homme arborant un t-shirt QAnon était un des premiers à avoir pénétré au Capitole.

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QAnon est un puits sans fond. Le mouvement est en mutation constante et il est à peu près impossible d’être au courant de tout ce qu’affirment ses partisans, qui se dénombrent désormais par millions. En contrepartie, il n’est pas nécessaire de suivre en direct les derniers développements de ce sordide soap pour comprendre que ce qui s’est passé mercredi fait partie prenante de QAnon. Ses partisans ne sont pas subtils et ils ne se cachent pas. Il suffit de les écouter pour savoir exactement ce qu’ils souhaitent.

Si QAnon avait une constitution, le premier article serait que Donald Trump doit régner aux États-Unis – et ailleurs – et remettre de force tout à sa place. Cela doit passer par une purge d’éléments indésirables – politiciens, fonctionnaires, journalistes; au diable la démocratie, l’État de droit, les normes politiques ou toute forme de compassion pour tous ceux qui ne sont pas sympathiques à son pouvoir. Ce que QAnon veut, c’est un coup d’État violent. C’est tout. Le reste, c’est de la fioriture.

Ce n’est pas mon opinion ou une extrapolation de ma part. Ce fondement central du mouvement figure au cœur même de la littérature sainte de QAnon. Le tout premier message de Q, publié le 28 octobre 2017, promettait que l’ancienne opposante à Donald Trump, Hillary Clinton, serait arrêtée sous peu. Son deuxième message – où il affirme que Trump avait déjà commencé à faire le ménage – ne pourrait pas être plus explicite : celui qui contrôle la présidence contrôle ce magnifique pays, écrivait-il. La Constitution américaine nous dirait le contraire, mais bon. QAnon est, depuis sa fondation, un mouvement explicitement autoritaire et implicitement fasciste.

À mesure que s’est construite la mythologie QAnon, avec ses bifurcations vers le cannibalisme satanique et les interprétations horoscopiques des fautes d’orthographes dans les Tweets de Trump, ce point central n’a jamais été perdu de vue. Pire, il a été exacerbé par le résultat de l’élection, preuve, selon ses adeptes, que l’État profond doit être encore plus farouchement opposé.

Un des innombrables pièges de QAnon est de considérer le mouvement comme une bête du web, un passe-temps sordide pour les âmes perdues des réseaux sociaux. C’était jadis peut-être le cas. Ce ne l’est plus. L’assaut de mercredi porte l’empreinte indélébile de ce mouvement.

Parmi les tout premiers à avoir pénétré dans le Capitole se trouvaient des personnes arborant des t-shirts à l’effigie de Q. La femme abattue hier alors qu’elle participait à la prise d’assaut du bâtiment avait clairement affiché son appartenance au mouvement(Nouvelle fenêtre) sur Twitter. Un des personnages les plus en vue des événements d’hier, un homme maquillé et torse nu coiffé d’un casque aux cornes viking était en fait Jake Angeli, alias Q Shaman, un prédicateur bien connu de QAnon.

C'est un homme torse nu portant un casque avec des cornes viking.

Jake Angeli , alias « Q Shaman », prédicateur bien connu de QAnon, alors qu’il se retrouvait dans le Capitole.

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Impossible de séparer l’assaut et QAnon

Certains politiciens et partisans républicains ont bien beau répudier ces agitateurs et les qualifier, sans fondement, d’activistes anti-Trump déguisés, reste que le parti est lui-même gangréné par cette conspiration. Une politicienne républicaine ouvertement QAnon, Marjorie Taylor Green, siège désormais à la Chambre des représentants. L’instance du parti au Texas avait emprunté, en août, un slogan(Nouvelle fenêtre) – we are the storm, nous sommes la tempête – tout droit calqué des messages de Q. Depuis l’élection, on ne peut plus compter les politiciens de ce parti qui ont brandi des preuves de fraude électorale sorties des bas-fonds du web où sévissent les fidèles de QAnon.

Soufflées par les réseaux sociaux, les idées de ce mouvement voyagent. Il n’est désormais plus nécessaire de faire partie de QAnon pour propager les messages qui en émanent. Le président lui-même, dans un appel à Brad Raffensperger, secrétaire d’État de la Georgie, où il demandait à ce dernier de lui trouver des votes pour renverser l’issue de l’élection, répétait des conspirations qui circulent dans Internet et qui ont été créées de toutes pièces(Nouvelle fenêtre) par des adeptes. L’avocat pro-Trump, Lin Wood, publiait sur son compte Twitter des histoires associées à QAnon jusqu’à ce que le réseau social le suspende, tard mercredi soir.

Il est loin d’être le seul. QAnon est désormais un vecteur principal de désinformation politique de toute sorte. Ses idées circulent sur les ondes de médias pro-Trump et dans les comptes de politiciens sur les réseaux sociaux.

Le prophète au centre du mouvement, Q, n’a pas publié de message depuis le 8 décembre. Mais Ron Watkins, ancien administrateur du forum où ces messages étaient diffusés et fils de son propriétaire, Jim Watkins, s’est désormais imposé comme une figure centrale du mouvement. Certains observateurs croient que M. Watkins et son père contrôlent depuis un certain moment le compte de Q, ce qu’ils nient. Peu importe, Ron Watkins a en effet pris sa place. Il est cité comme expert informatique par des médias pro-Trump et publie sur Twitter des messages qui ressemblent curieusement aux déclarations de Q.

Dans un tweet publié quelques heures avant l’assaut, M. Watkins promettait de dévoiler une bombe qui allait choquer la planète. Il s’agissait en fait d’un article de Neon Revolt, un populaire influenceur de la sphère QAnon, qui affirmait entre autres que le vice-président, Mike Pence, faisait partie d’un complot visant un coup d’État contre le président Trump.

L’article se concluait ainsi : j’appelle à l’arrestation immédiate pour trahison de Michael Richard Pence, 48e vice-président des États-Unis. Patriotes, vous êtes tous à Washington D.C. aujourd’hui pour une raison. Faites en sorte que ça compte.

Quelques heures plus tard, alors que Q Shaman se trouvait derrière le podium du Sénat à la tête d’une foule enragée, le journaliste du New York Post, Steven Nelson, a pris un cliché de la scène.

Où est Mike Pence? Montrez-vous! criait un des insurgés.

Le mouvement QAnon ne cesse de dire clairement ce qu’il est, ce qui l’anime et ce qu’il souhaite. Il faudrait commencer à l’écouter et à le prendre au sérieux.

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