TRIBUNE

Repéré dans Le Monde

Luc Dayan


Médecin, ancien président du RC Lens et du FC Nantes

Après l’échec financier de Mediapro et les effets délétères de la pandémie, le football traverse une crise économique durable et doit de toute urgence se réinventer, estime l’ancien président de club, dans une tribune au « Monde ».


Evoluant au sein d’un univers législatif et politique inadapté, encadré par un supposé contrôle des comptes bien inefficace, le football français n’a pas su, voulu ou pu penser son développement. L’échec de Mediapro et la pandémie de Covid-19 ne font que révéler plus rapidement que prévu les grandes faiblesses de notre football national.

Sans les multiples prêts garantis par l’Etat (PGE) contractés par la plupart des clubs, obtenus en s’appuyant sur des chiffres d’affaires gonflés par les ventes d’actifs – les joueurs –, le sinistre serait majeur. L’endettement de nos clubs est massif et ne date pas d’hier. Quelques actionnaires aux reins solides soutiennent la trésorerie de leurs clubs, mais pour combien de temps encore ? Quant aux autres, ils jonglent comme ils le peuvent…

Depuis vingt ans, le désordre, l’instabilité, la permissivité financière, voire morale, des instances, les comportements et les déclarations de certains footballeurs ou entraîneurs ont donné une mauvaise image de notre football. L’affaire du bus de Knysna, les litiges dont se sont estimés victimes certains clubs (Entente SSG, Luzenac, etc.), en raison de règlements interprétés « à la tête du client », les dépôts de bilan de clubs historiques comme Sedan, Strasbourg ou Bastia, le procès des affaires du PSG, celui des transferts à l’OM, les élections à la tête de la Ligue de football professionnel (LFP), reflet des conflits d’intérêts entre dirigeants de club également décideurs dans les instances, les conséquences de l’arrêt brutal du championnat 2019-2020, sans oublier les récurrentes affaires de mœurs ou les problèmes de gouvernance à la Fédération française de football (FFF) révélés récemment, la liste est longue. Et la justice, qui agit peu, et souvent avec retard.

Quant à certains journalistes, qui vivent de la bête, ils l’entretiennent pour mieux la tuer quand c’est leur intérêt. Il est plus facile pour eux de clouer au pilori joueurs ou dirigeants quand ils chutent, alors qu’ils les encensent quand ils gagnent, faisant vendre leurs journaux.

L’illusion collective qui a démarré après la Coupe du monde 1998 est désormais avérée. Les joueurs de l’équipe de France évoluant quasiment tous à l’étranger, le football de club est resté très faible en comparaison avec l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et même l’Italie. La formation française, qui est une des meilleures du monde, a profité de l’arrêt Bosmanet a permis de rentrer de l’argent dans le système national, mais aux dépens de la qualité du jeu fourni. Le transfert de joueur est devenu l’outil d’une cavalerie salariale inflationniste entre clubs du monde entier. Ces transferts étant payés de façon étalée dans le temps, les créances que détiennent les clubs français seront en conséquence de moins en moins certaines.

Rares sont les investisseurs sérieux qui envisagent de « prendre » un club, bien au contraire, ceux qui sont là se demandent comment en sortir. Même les fonds d’investissement étrangers qui ont prêté de l’argent (à quel taux !) à des intermédiaires habiles se retrouvent « coincés », obligés de reprendre la main sur ces actifs bien peu liquides.

Plus grave encore, le plaisir de regarder à la télévision les matchs du championnat est en train de disparaître, sans parler de celui d’aller au stade soutenir son équipe locale dont, au passage, on ne reconnaît plus ni le maillot ni les joueurs d’une année sur l’autre.

L’entrée du football dans « l’économie du spectacle » dans les années 1990 n’a pas suscité les réformes profondes qu’il était indispensable de faire, et nous en payons les conséquences aujourd’hui. Chacun a trop cherché à optimiser ses positions en se servant sur la bête sans se soucier des conséquences à terme pour la « ressource football ».

Il est temps de définir pour le football français un modèle moderne et cohérent sur tous les plans, qui répondrait à la fois à sa nature de « sport spectacle » et à sa fonction d’exemplarité sociale.

Il faut s’interroger sur l’intérêt d’un plafond salarial qui permettrait de limiter les dépenses des clubs en fonction de leurs recettes réelles afin de ne pas aggraver les déficits actuels.

Peut-être faut-il s’orienter vers des modes différents d’actionnariat et de gouvernance des clubs, comme des sociétés coopératives d’intérêt collectif répondant aux orientations des entités concernées par le club, toutes réunies au capital, partageant informations, options stratégiques et décisions majeures ?

Pourquoi ne pas mettre en place un fonds qui interviendrait en entrant minoritaire au capital des clubs relégués en fin de saison, injecterait du cash, aiderait à leur restructuration, puis revendrait sa participation en même temps que l’actionnaire principal une fois les fondamentaux du club restaurés ? Placé sous l’égide de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), il pallierait l’impact financier des relégations sportives, conséquences du système actuel des montées-descentes.

Quant aux formules de compétition, la France ne pourrait-elle pas innover en tentant de réorganiser son championnat en deux phases distinctes pendant la même saison sportive ?

Les pistes sont nombreuses, le sujet est complexe, mais un dialogue constructif, transparent et lucide doit se nouer entre les représentants des joueurs et des entraîneurs, les pouvoirs publics, la LFP et le seul opérateur qui semble encore capable de s’intéresser au sujet de façon structurelle, à savoir Canal+, malgré la plaie du piratage.

L’articulation d’idées et de propositions nouvelles, apportées et étayées par des personnes d’horizons différents, pourrait permettre de faire redémarrer la machine enrayée, sachant qu’il faudra restaurer l’équité sportive, ressusciter la performance et redonner du plaisir à tout le monde.

C’est ce qui devra être le cœur de la réflexion puis de l’action de tous les acteurs concernés par le football, en espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Luc Dayan est médecin de formation, ancien président du RC Lens et du FC Nantes, et un spécialiste en restructuration de clubs professionnels de football, producteur du film La Couleur de la victoire (Race) et de la série documentaire Lens, de sang et d’or.

Luc Dayan(Médecin, ancien président du RC Lens et du FC Nantes)

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