Jean-Luc Mélenchon a présenté le 16 janvier à Nantes ses ambitions techniques et scientifiques s’il remporte la présidentielle. Les desseins de l’Insoumis pour franchir les « nouvelles frontières de l’humanité » : la mer, l’espace et le numérique.

Nantes (Loire-Atlantique), reportage

« Il fallait que ce soit un coup d’éclat ! » Pour sa grande réunion publique à Nantes le 16 janvier, Jean-Luc Mélenchon a voulu submerger la vue, l’ouïe et l’odorat du public. Un « meeting immersif », illuminé par quatre murs d’écrans enserrant les spectateurs dans une boîte noire de 50 mètres de large sur 6 mètres de haut. L’Insoumis a l’habitude de dépoussiérer l’exercice du meeting politique. Et il a de nouveau réussi à surprendre. En 2017, il s’était multiplié dans sept villes simultanément au moyen d’un hologramme. Pour 2022, les 3 000 militants conviés au Parc des expositions de la Beaujoire ont assisté à un spectacle vidéo-olfactif à 360°.

Olfactif, car à deux reprises des parfums d’ambiance auraient dû flatter les narines des participants. Malheureusement, la barrière des masques n’a pas permis de profiter des fragrances promises. « Vous n’avez pas senti une odeur de forêt ? » s’enquiert, déçue, l’équipe du candidat. Les militants font la moue : « Dommage, mais ce n’est pas pour ça qu’on est venus », dit à ReporterreSuzanne, qui a fait le déplacement depuis Paris. Le coup d’éclat se contentera des projections immersives plongeant tour à tour les militants dans l’espace, au cœur d’un univers numérique, puis au bord d’un océan.

Projections immersives sur les murs de la salle. © Stéphane Burlot/Reporterre

L’artifice est un outil de persuasion, explique Manuel Bompard, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon : « On utilise ce moyen technique pour attirer l’attention et permettre aux gens de s’intéresser au fond. On n’est pas condamnés à mener une campagne morose. » L’exercice semble séduire les militants. « Ça change des classicismes d’un meeting, c’est coloré et visuel »apprécie Danielle, soignante originaire de Rennes.

Mais passé l’exhibition-spectacle, que dit vraiment Jean-Luc Mélenchon de ses ambitions techniques ? Son livre-programme L’Avenir en commun (Seuil) fait la part belle aux urgences sociales et écologiques. Il faut atteindre les cinq dernières pages pour percevoir ses méthodes pour franchir ce qu’il nomme « nouvelles frontières de l’humanité » : la mer, l’espace et le numérique, dont il a fait la clé de voûte de son intervention en Loire-Atlantique.

Mélenchon en meeting à Nantes, le 16 janvier 2022. © Stéphane Burlot/Reporterre

Contre « la privatisation de l’espace »

« L’espace est au cœur de notre vie. Si nous ne voulons pas de capitalisme débridé sur la Terre, nous n’en voulons pas dans l’espace », dit le tribun avant de lister les « milliers d’applications dans nos poches qui dépendent de l’espace : météo, GPS, cartographie et surveillance écologique des traités internationaux ! » Une emprise numérique sur laquelle il promet de rétablir la souveraineté de la France : « Nous ferons la bataille politique pour la démarchandisation de l’espace. Pour le désarmement de l’espace, car l’espace doit rester un lieu de paix. »

Mélenchon en meeting à Nantes, le 16 janvier 2022. © Stéphane Burlot/Reporterre

Le candidat assure vouloir prendre la tête d’une initiative pour aller contre l’alliance des « Nord-Américains, qui ont décidé que tout objet céleste qui passe dans l’infini est au premier qui s’en empare ». Ce but nécessitera un rude travail diplomatique, selon Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des politiques spatiales, interrogée par Reporterre avant le meeting : « Qui élaborera ces règles et comment seront-elles être signées ? Toutes ces thématiques passent par le fait que la France devrait faire reconnaître et accepter ses positions dans des enceintes internationales, ce qui n’est pas gagné. »

Jean-Luc Mélenchon souhaite également interdire les voyages commerciaux et privés dans l’espace, un « luxe ultrapolluant réservé à une minorité ». Une pique à destination des ultrariches Jeff Bezos, l’ancien patron d’Amazon, et d’Elon Musk, président général de Tesla, tous les deux engagés dans une course à l’espace outrageusement polluante. Il promet d’instaurer un « programme international de dépollution de l’orbite terrestre basse », et de lutter contre « la privatisation de l’espace » en protégeant la filière de lancement des satellites, en revenant sur la privatisation d’Arianespace, et en renforçant les moyens du Centre national d’études spatiales.

© Stéphane Burlot/Reporterre

« C’est un programme qui se veut très volontariste sur la thématique de l’espace comme outil de souveraineté, dans lequel l’État doit s’impliquer, et ne pas passer la main au secteur privé », explique Isabelle Sourbès-Verger. Pour la chercheuse, ce projet suppose que la France et l’Europe orchestrent un budget à la hauteur de cette ambition : « La France est-elle capable de multiplier par trois ou quatre son financement spatial ? C’est ce qui conditionne le réalisme de ces propositions. »

Contre la fracture numérique, la fibre pour tous

De l’espace, le député des Bouches-du-Rhône baisse son regard sur « l’horizon de la toile numérique, dont vous êtes des points qui composent cette toile ». À condition d’y avoir accès. Pour lutter contre la fracture numérique, Jean-Luc Mélenchon souhaite garantir un accès minimal gratuit à internet. Afin d’y parvenir, il promet de déployer une couverture en fibre à travers le pays d’ici 2025.

Affirmer la souveraineté de la France dans ce domaine passera par rapatrier « l’essentiel des données des Français sur des serveurs nationaux ». En particulier celles de l’armée et de la santé, dont la gestion est octroyée à la firme étasunienne Microsoft. Pour protéger l’usage abusif des informations personnelles des Français, il entend renforcer les pouvoirs de contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Jean-Luc Mélenchon souhaite émanciper la France de l’emprise des outils propriétaires des Gafam [1]. Pour y parvenir, il prévoit de « créer une agence du logiciel libre chargé de planifier le développement stratégique en identifiant les manques et en finançant des projets clés » et de généraliser l’usage des logiciels libres dans les administrations publiques.

Pour réduire les dommages écologiques du numérique, l’Insoumis veut durcir la réglementation encadrant l’obsolescence programmée, et baisser la production de chaleur des centres de données sur le sol français. « Si on interdit les data center chez nous, ils vont partir en Norvège, dit à ReporterrePascal Kuczynski, de l’Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l’administration et les collectivités territoriales (Adullact). Il faut prendre le mal à la racine : il ne faut pas baisser la production de chaleur, mais faire moins tourner les processeurs. Donc, forcer l’application de la réglementation numérique sur l’écologie déjà existante, mais insuffisamment respectée. »

Jean-Luc Mélenchon avant son meeting à Nantes, le 16 janvier 2022 : « Avec cinquante éoliennes offshore, on a un réacteur nucléaire ! ». © Stéphane Burlot/Reporterre

Un clapotis d’embrun vient caresser les tympans des militants de la France insoumise. Un horizon marin vient d’encadrer la foule. Jean-Luc Mélenchon espère user de la mer comme une porte de sortie du nucléaire. « Avec cinquante éoliennes offshore, on a un réacteur nucléaire ! », dit-il. Le candidat de l’Union populaire avait été deux jours plus tôt en pleine mer, en compagnie de Bertrand Alessandrini, directeur de la recherche de l’École centrale de Nantes, pour conforter son analyse. M. Alessandrini lui a expliqué que, « sur l’éolien offshore, le monde est lancé », que « tous les éléments permettent de dire qu’en 2030, les éoliennes seront deux fois moins chères que le nucléaire », et que des éoliennes en mer, fixes ou flottantes, atteindront une puissance de 20 MW — et cinquante unités équivaudraient donc à un réacteur nucléaire de 900 MW. Pour M. Mélenchon, les éoliennes marines sont ainsi devenues, avec les autres énergies renouvelables, le fer de lance du remplacement du nucléaire. « Le vieillissement du nucléaire accroît le risque d’accident, a-t-il dit. La discussion n’est pas idéologique : le nucléaire est dangereux ! » Son projet de lancer la construction en série d’éoliennes marines a une autre qualité, à ses yeux : « Il va falloir frapper l’opinion par un succès, il y a trop de déprime dans ce pays. Il faut miser sur la capacité d’enthousiasme des jeunes générations », a-t-il expliqué.

À Nantes, dimanche, l’humeur était taquine après une heure de spectacle devant un public conquis, et le candidat se permet quelques espiègleries avant de quitter la scène. Ses retards dans les sondages ? « Faites confiance à une tortue électorale sagace comme moi. J’ai déjà épuisé quelques lièvres. » Au-delà de l’artifice technique, les yeux tournés vers la mer, l’espace et le numérique ont marqué l’esprit des militants insoumis. « Les autres candidats déballent des thèmes mortifères. Mélenchon, lui, porte des projets d’espoir », dit Xavier, professeur de conduite routière près de Montauban (Tarn-et-Garonne). Sur le pas de salle de la Beaujoire, il hésite à franchir les portes. « Là, j’ai pas envie de partir. J’ai envie que ça dure, que ça arrive ! » Lui aussi a déjà les yeux dans les étoiles.

 

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