Par

Publié le 30/09/2021 par Mariane

Dans le débat Zemmour-Mélenchon, on n’aura trouvé que deux caricatures : un passé ossifié d’un côté, un horizon gazeux de l’autre.

On peut s’inquiéter, bien sûr, de la transformation triomphante et assumée de la politique en spectacle à l’occasion du débat entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Le bond dans les sondages des deux protagonistes démontre pourtant une chose : au contraire de ces non-débats que sont les alignements de candidats à qui un journaliste maître de cérémonie accorde trois minutes pour parler de la fiscalité et trois autres pour évoquer l’environnement, et qui sont devenus le nouveau code télévisuel des campagnes électorales, un échange à deux, sans interruption, deux heures durant, permet d’exposer une pensée, une vision de la France, une vision de l’homme – pour qui en possède une, bien sûr. Ectoplasmes, s’abstenir.

On peut évidemment déplorer le temps passé sur les questions d’immigration et d’identité, victoire pour Éric Zemmour, lequel réussit à imposer ses sujets, nécessité pour Jean-Luc Mélenchon, qui cherche à démontrer que sa position est aux antipodes de celle de son adversaire. On pourra déplorer, surtout, de n’y avoir trouvé que deux caricatures. Les « viols » et les « pillages » dénoncés par le contempteur des « banlieues islamisées » d’un côté, les vertus iréniques de la « créolisation » de l’autre. Un passé ossifié d’un côté, un horizon gazeux de l’autre.

LE PEUPLE AU CŒUR DU DÉBAT

Au cœur du débat, même si jamais les deux protagonistes ne l’ont posée aussi clairement, la question de ce qui nous constitue en tant que peuple, et du droit de ce peuple à se perpétuer. Le piège de l’identité est qu’elle semble induire une forme figée, immuable, dont chacun sait qu’il s’agit d’une fiction. Elle est pourtant un processus, une maturation lente, complexe, mêlant le même et l’autre. Nous ne nous baignons jamais dans le même fleuve, pourtant il est toujours ce fleuve que nous nommons.

Éric Zemmour résout le problème en érigeant un ennemi, un autre, qui permet de se définir soi-même. C’est l’avantage des croisades, les camps y sont clairement définis. Quitte à nier cette complexité française d’une nation millénaire, charnelle, et pourtant s’incarnant dans cette République qui, sans renier les siècles précédents, propose une nouvelle vision de l’homme et de sa liberté.

En face, Jean-Luc Mélenchon brandit son nouveau mantra : la « créolisation ».Le terme est attirant. Forgé par le poète martiniquais Édouard Glissant, il colore immédiatement le propos d’antiracisme, d’ouverture. Pas besoin de préciser, d’expliquer concrètement comment se joue cette sympathique fusion-recréation, on est dans la pétition de principe. À celui qui voudrait revenir dans le champ du réel, on oppose qu’il est un inculte et ne connaît pas les écrits du grand écrivain.

ESCROQUERIE INTELLECTUELLE

La poésie est une nécessité absolue, à condition de ne pas en faire une arme contre les hommes. Les inquiétudes identitaires qui traversent la société française n’ont rien de méprisables et leur répondre par un mot qui cherchait, sous la plume du poète, à définir l’hybridation des sociétés caribéennes, fruit d’une histoire tragique, dont il est sorti, sur l’éradication de peuples entiers, les peuples précolombiens, et le martyr de millions d’êtres humains, les esclaves déportés d’Afrique, des cultures nouvelles, est une escroquerie intellectuelle.

On répondrait volontiers à Jean-Luc Mélenchon que les salafistes qui déploient dans certaines banlieues françaises leur vision totalitaire de l’islam n’ont aucune intention de se « créoliser ». Que l’on aimerait savoir, dans son processus d’hybridation, à quels éléments de la culture française il faut renoncer pour que le mélange se fasse : la mixité des hommes et des femmes dans l’espace public ? La liberté de former une communauté politique en dehors de la soumission à un dieu ?

UN CONSTAT, PAS UN PROJET

La créolisation est un constat a posteriori, elle ne saurait être un projet politique. Oui, chaque nouveau venu, tout en s’intégrant – à condition de s’inté­grer –, apporte à la société ­d’accueil une part du monde qu’il portait en lui en arrivant. Cela n’a rien à voir avec la constitution, dans les ghettos urbains créés par des politiques publiques irresponsables et par la destruction de l’école républicaine, de micro-sociétés dans lesquelles des prêcheurs financés par le wahhabisme et les Frères musulmans entraînent des jeunes à haïr leur pays.

Il y a quelque chose de gênant dans le spectacle de postures politiques dont le but unique est de flatter son propre public. Gênant et dangereux. L’élection présidentielle qui s’annonce devrait nous permettre de poser collectivement un diagnostic sur les crises auxquelles nous sommes confrontés. Parmi elles, cette tenaille dans laquelle se trouve enserrée la France, entre des identités crispées, agressives (et l’on fera remarquer à Jean-Luc Mélenchon que, parmi ses amis politiques, certains adhèrent à ce concept aberrant d’appropriation culturelle qui dénonce, justement, toute forme de créolisation comme étant forcément un acte de prédation des dominants), et l’uniformisation du consumérisme mondialisé. Revivifier une identité française faite d’art de vivre, de liberté viscérale et de vision littéraire du monde, la transmettre par l’école, par les médias et la culture, et combattre tout ce qui la nie ou la détruit, tel devrait être le projet de réconciliation d’un candidat à l’élection présidentielle.

Partager.

Un commentaire

  1. “La créolisation est un constat a posteriori, elle ne saurait être un projet politique.” Entièrement d’accord.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version