Par SANDRA ONANA 

MIGNONNES, ALLONS VOIR  Taxé de pédophilie et d’islamophobie en Turquie par l’organe de contrôle de l’audiovisuel, le film français Mignonnes de Maïmouna Doucouré (sorti chez nous le 19 août) ne sera pas diffusé sur le Netflix turc le 9 septembre. En cause, le risque «d’exposer les enfants à des abus et de compromettre leur développement psychologique». On n’aurait certes pas attendu autre chose du régime d’Erdogan, coutumier du recours autoritaire au service d’hygiène de l’art et de la pensée. Si la nouvelle interpelle, c’est en tant que nouvel écho d’une polémique odieuse dont Mignonnes a très injustement fait les frais cet été, y compris dans des sociétés tout ce qu’il y a de plus démocratiques. 

Rappelons que le film décrit le dilemme d’une collégienne d’origine sénégalaise de 11 ans, tiraillée entre la culture de tradition musulmane de sa mère, qui impose la modestie aux femmes, et le désir de se fondre dans un gang de danseuses de son âge aux chorégraphies hyper suggestives (notamment le twerk, né aux Etats-Unis). Tremblement de terre il y a moins d’un mois, lorsque Netflix révèle son affiche américaine, où les gamines en micro-tenue de gala se cambrent lascivement. Une pétition aux Etats Unis (340 000 signataires à ce jour) exige le retrait du film de la plateforme, qui bat sa coulpe auprès de Maïmouna Doucouré. Menaces de mort, exfiltration des réseaux sociaux, garde du corps. L’association française Stop au porno appelle à la manif devant les cinémas à Paris. Les questions se bousculent au portillon des synapses des internautes. Est-ce le sabotage en règle du premier film d’une cinéaste noire et prometteuse? Les marketeux de Netflix n’ont-ils jamais suivi un cours de sémiologie des images?  En 2020, la Lolita de Nabokov aurait-elle twerké? 

Sur foi de son seul appareil marketing, Mignonnes devient, pour ses adversaires, l’emblème de la complaisance envers l’hypersexualisation des jeunes filles. Soupir et coup de cafard de voir le cinéma (de plus en plus banalement) sommé de passer les sujets dont il entend s’emparer à la brosse à récurer: sans quoi il risquerait de nous raconter quelque chose d’intéressant – et notamment de louche, de malpropre, de déconcertant – sur le monde que nous nous efforçons d’habiter. Soupir, encore, de constater à quel point ce mauvais procès s’est par ailleurs trompé de cible. Encore faut-il avoir vu le film pour s’apercevoir que, tout à sa fraîcheur et son tendre tempérament, Mignonnes ne pratique que partiellement la suspension de jugement. Et offre, dans son dernier mouvement sans équivoque, un rappel à l’ordre de la place qui devrait raisonnablement être celle des petites filles d’aujourd’hui, avec une maladresse qu’on veut bien lui excuser, mais qui en dit long sur le sort qui aurait été le sien s’il s’était abstenu de prendre parti. Jeudi dernier, Maïmouna Doucouré s’exprimait sur la polémique pour la première fois auprès du site américain Deadline. La révélation qu’elle y fait parle d’elle-même: séduit par le film, le gouvernement français lui a manifesté un «soutien extraordinaire» et envisage d’utiliser Mignonnes comme un support pédagogique. A vos stylos.

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