Ce vendredi 25 Novembre à 19H30, la grande scène de Tropiques Atrium vibrera lors de la célébration des 40 ans de parcours du très talentueux percussionniste d’origine martiniquaise, Mino Cinélu. Un artiste multi-instrumentiste qui, pour l’événement, sera entouré de musicien.ne.s et ami.e.s antillais.es, ainsi que de nombreux.ses invité.e.s et autres surprises… . Etablir la liste exhaustive des créateurs et créatrices musicales prestigieuses avec lesquel.les Mino Cinélu a travaillé durant ces 40 dernières années, serait un défi impossible à relever. Cependant, les mélomanes savent que certains de ces artistes comptent parmi les plus puissamment talentueux de l’Histoire de la musique. Rien de moins. Il y a quelques mois, lors de son précédent séjour sous nos cieux, nous avions eu le plaisir et la chance d’échanger avec Mino Cinélu. Un moment tout en vérités quasi palpables et francs sourires, durant lequel ce grand artiste (avec qui le tutoiement s’impose comme une évidence tant l’homme vous met à l’aise) a notamment partagé sa rencontre avec l’immense Miles Davis, ainsi que sa passion, tout en émotions vécues, de la musique.

Antilla : Agé d’une vingtaine d’années à l’époque, comment t’es-tu retrouvé à New York ?

Mino Cinélu : A cette époque je cherchais un challenge, et il n’y avait pas de choix : c’était New York. Il me semblait que la palette était plus vaste là-bas ; d’ailleurs c’est à New York que j’aurais pu rencontrer les gens que j’ai effectivement rencontrés (sourire) : Gordon Parks, James Baldwin, George Benson, Nick Ashford et Valérie Simpson, etc. A l’époque je mangeais un beef patty (pâté au bœuf, ndr) par jour – ça coûtait 1,50 dollars – je prenais le train de Long Island, etc. A l’époque tu allais dans un club, tu demandais à un mec qui était de dos si tu pouvais jouer et quand il se retournait tu voyais que c’était Gerry Mulligan (rires). Donc après il fallait jouer. Et si tu n’étais pas à la hauteur ta réputation était vite faite… . A l’époque tous les dimanches, pendant 3 ans, je jouais de la basse dans le groupe de gospel d’une des plus grandes églises de l’histoire de cette musique. Cissy Houston, la mère de Whitney, venait dans cette église, Dionne Warwick, la tante de Whitney, venait aussi ; quand Jesse Jackson s’est présenté à l’élection présidentielle, en 1988, il y est aussi venu : d’ailleurs j’ai découvert à cette occasion qu’il ne chantait pas mal du tout (sourire). Dans ces années-là je jouais aussi de la guitare et je faisais des background vocals (chœurs, ndr) pour une chanteuse haïtienne ; je jouais du tambour, pour trois fois rien, pour l’école de danse de Bernice Johnson : d’ailleurs j’ai amené les tabours ka et bèlè là-bas ; ils n’avaient jamais vu des tambours comme ça (sourire).

J’ai expliqué à Miles Davis la signification du tambour Djouba de la culture bèlè »

 C’est dans un club de New York que Miles Davis, à la fin des années 80, t’a entendu jouer pour la première fois ?

Oui, c’était la première fois que j’y jouais et j’étais le batteur du groupe qui s’y produisait. Ce jour-là le groupe était nerveux ; il se passait quelque chose de bizarre mais je ne savais pas quoi. Donc on a joué et la fin de notre set, je suis passé devant Miles, que je n’avais pas encore reconnu, et là il m’a attrapé le bras, m’a parlé à quelques centimètres de mon visage et m’a dit, avec des mots très grossiers, de lui donner mon numéro de téléphone. La scène a duré un peu, un cercle s’est formé autour de nous et j’ai senti que c’était très intense mais pas violent. Alors je dis à Miles que je ne l’avais pas reconnu, il me répond qu’il s’en fout complètement et me redemande mon numéro. Donc là je suis vraiment sur une autre planète (sourire), je ne comprends pas ce qu’il se passe… . Donc je descends chercher ma carte – c’est-à-dire un bout de carton coupé, avec une écriture presque au porte-plume et un bout de scotch (rires) -, je me change, ça dure quand même plusieurs minutes, et je remonte en pensant que j’ai raté le coche avec Miles. Mais il m’attendait toujours (sourire). Il me téléphone une semaine après cette première rencontre, il me dit ‘’viens au studio immédiatement, je paie le taxi’’ – à l’époque j’habitais dans le New Jersey – et il raccroche mais sans me donner l’adresse du studio (rires). Finalement j’ai l’adresse, j’y vais et là-bas Miles me dit ‘’je vais t’aider à chercher le matos’’. Sauf que je n’avais pas amené de matos (sourire) ; quitte à faire des gaffes autant en faire plusieurs, pourquoi se limiter ? (rires). Finalement j’ai fait avec les instruments qu’il y avait là, j’ai joué et ça lui a suffi. Miles faisait confiance aux musiciens qui étaient là ; c’était une sorte de composition spontanée, par laquelle on apprenait en même temps. C’est comme ça qu’on a construit l’album We want Miles. D’un coup de trompette, Miles pouvait changer d’ambiance. Parfois il jouait à peine, mais quand il jouait une note on savait la direction. C’était étonnant.

Sais-tu ce qui l’a séduit dans ton jeu, avant votre première rencontre dans ce club de jazz ?

Je suis arrivé avec quelque chose que peu d’américains avaient déjà vu : une sorte de ‘’pot-pourri’’ d’Afrique de l’Ouest, du Nord, et des Antilles. J’ai expliqué à Miles Davis la signification du tambour Djouba de la culture bèlè. Et après ça, en concerts il me faisait jouer un solo devant la scène, en couchant la conga. Il ordonnait au groupe de jouer pour moi à ce moment-là.

Et quelle a été ta relation humaine avec Miles Davis, qui était connu pour avoir parfois un caractère très dur ?

Oui, je l’ai vu casser la mâchoire d’un gars (sourire). Mais je n’avais pas peur de Miles, parce que c’est une chose que je n’aurai pas pu lui laisser me faire. Il était hors de question de tout accepter, de qui que ce soit. Mais Miles avait une grande intelligence des gens. Il les voyait, avec son regard perçant ; il vous regardait et là on voyait les gens qui étaient mal à l’aise, leur vocabulaire corporel changeait. Miles voyait à travers vous. Et il n’avait absolument pas peur d’aller au devant de la police raciste de New York. Il a d’ailleurs reçu des coups de matraque qui sont presque devenus célèbres suite à une photo de lui, ensanglanté.

La musique m’a sauvé la vie, dans plein de situations » 

Basse, batterie, percussions, et la liste est encore longue : à t’écouter j’ai l’impression que tu n’es passé par aucune école de musique, dans le sens d’un système classique d’apprentissage. Je me trompe ?  

Je prends ça comme un compliment, parce qu’il fallait s’en sortir. Je ne suis pas issu d’un milieu aisé et la musique m’a sauvé la vie, dans plein de situations. Depuis tout jeune la musique était ma passion, et il n’y avait aucun doute de ce que je ferais dans ma vie. Tu sais, dans mon foyer familial le tambour et la batterie n’étaient pas acceptés. Et pour continuer j’ai dû quitter ce foyer familial à 17 ans, avec 35 francs en poche. J’ai donc gagné de l’argent en faisant des travaux de chantier, mais j’ai aussi fait la manche. J’ai récupéré et rafistolé des instruments de musique cassés, des baguettes de batterie par exemple, et, petit à petit, j’ai monté mon arsenal musical (sourire). Sur les chantiers j’étais le plus jeune, et de loin, donc les autres gars, qui en plus savaient que j’étais musicien, me protégeaient. Je me souviens qu’un jour ils m’avaient empêché de venir les aider dans une opération dangereuse, avec une immense plaque d’égout à déplacer, pour me protéger. Ils m’avaient dit : ‘’Non, pas toi.’’

A t’écouter j’ai le sentiment que c’est ta passion de la musique et les circonstances de ta vie qui ont fait que tu es aussi curieux musicalement et aussi réceptif à nombre d’univers musicaux, qui sont devenus des influences dans ta création : qu’en penses-tu ?

C’est complètement vrai et c’est lié à la vie. J’ai fait un peu de conservatoire ; je me le suis payé moi-même donc je n’ai pas été dans les meilleures écoles, mais ça m’a bien sûr aidé. Alors j’aurais adoré aller à Berklee (prestigieuse université de musique à Boston, ndr) mais je n’avais vraiment pas les moyens. Mais par la suite j’ai joué à Berklee ! (rires).

Quand je faisais la manche à l’époque, j’ai vu les gens qui ne vous regardent pas… »

 Avec toutes tes expériences, as-tu le sentiment d’avoir déjà réussi ta vie, qui évidemment se poursuit ?

(léger silence) J’ai réussi à rester ouvert, même à mon âge, et je suis vraiment fier de ça. Mais en restant ouvert et en restant soi-même, on vit quand même dans un monde où on peut prendre pas mal de coups de pelle et de pioche dans la tronche (sourire). Tu sais, quand je faisais la manche à l’époque, j’ai vu les gens qui ne vous regardent pas… . Donc c’est impossible pour moi de croiser un musicien qui joue dans la rue sans lui donner quoi que ce soit ; sans le regarder en face et lui dire un mot sincère. Ce sont des réalités de ma vie que je ne peux pas oublier. Parfois j’ai dû voler de la bouffe pour me nourrir, mais je n’aurais jamais pris un centime d’un porte-monnaie ou portefeuille tombé par terre. C’est une sorte d’intégrité médiévale (sourire) – peut-être idiote, je ne sais pas – mais j’y croyais et je me suis conduit aussi comme ça dans le business. Je me suis toujours conduit comme je sentais que je devais le faire. Je ne suis jamais ‘’monté sur la tête’’ de qui que ce soit ; souvent je me suis même mis de côté.

Propos recueillis par Mike Irasque

*Percussions-guitare-chant : Mino Cinélu ; Piano-claviers : Tony Tixier ; Batterie : Tilo Bertholo ; Basse : Thierry Fanfant ; Guitare : Ralph Lavital ; Chœurs : Cindy Marthély et Raymonia Moco.  Invité.es : Dédé Saint-Prix, Marijosé Alie, Tony Chasseur, Nicol Bernard, Alex Bernard, Cœur de Sainte-Thérèse, et des surprises… .  

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