Portés par des convictions écologiques, des étudiants ou des jeunes diplômés sans lien familial avec le monde agricole décident de se lancer dans une activité liée à la terre. 

Par Sophie Viguier-Vinson
Le Monde

 

FANNY MICHAELIS

Rendez-vous à la résidence universitaire Francis-de-Croisset, porte de Clignancourt, à Paris. C’est l’hiver, on entend la rumeur du périph, mais peu importe. Sur un carré de pelouse alloué par le Crous, cinq étudiants, membres de l’association écologiste Green Wave de Sorbonne Université, inaugurent un potager. Tachés de boue jusqu’au masque, ils sont radieux !

« Nous avons récupéré de la terre, des planches, du géotextile, emprunté des outils à la ferme urbaine La Recyclerie, et nous avons monté les bacs pour bientôt planter »,explique Clara, en master de géographie « alimentation et cultures alimentaires », qui rêve de devenir productrice de bière artisanale. Elle et Benjamin, son condisciple, ainsi qu’Isabeau, en master de littérature comparée, Mathilde en master d’anglais, et Ryan en licence d’histoire, n’avaient échangé que sur les réseaux sociaux – confinements obligent – avant de se retrouver « en vrai » pour ce projet de potager.

« Je me suis beaucoup interrogée sur le sens de mes études dès ma prépa littéraire, et plus encore depuis le début de la crise sanitaire, raconte Mathilde. L’art pour l’art, ça me laisse sur ma faim. M’impliquer pour ce potager me fait du bien. » De son côté, Isabeau s’est documentée sur l’agroécologie, la biodiversité… « L’ancien modèle industriel et intensif n’est plus viable, déclare-t-elle. Je ne sais pas quelle agriculture urbaine est envisageable, mais nous devons intégrer cet objectif et pour ma part, je ne pourrais pas me passer de ce rapport à la terre. »

Même certitude pour Ryan : « Je ferai un potager plus tard, c’est l’avenir et ça me rend heureux. » Et Benjamin de s’interroger sur le métier d’agriculteur : « Nous sommes des citadins, et personne ne nous a parlé des lycées agricoles ! Ou des diplômes nécessaires pour s’installer », regrette-t-il. Il n’est peut-être pas trop tard…

« Il y a eu chez certains [jeunes] une prise de conscience de la fragilité de la souveraineté alimentaire, et qu’il faut développer les petites fermes pour nourrir la population locale »

A deux heures de là, à la ferme bio normande du Bec-Hellouin (Eure), Perrine Hervé-Gruyer, ex-juriste internationale devenue agricultrice, le constate : elle est davantage sollicitée depuis le printemps dernier : par des jeunes actifs qui souhaitent se reconvertir, par des étudiants qui postulent pour des stages ouvriers ou qui veulent un terrain d’études pour rédiger un mémoire…

« Le premier confinement a été un choc pour beaucoup. Aujourd’hui, certains jeunes ont faim, bon nombre sont toujours très seuls. Il y a eu chez certains une prise de conscience de la fragilité de la souveraineté alimentaire, et qu’il faut développer les petites fermes pour nourrir la population locale. Et nous allons avoir autant besoin de cerveaux que de bras », note Perrine Hervé-Gruyer. Des bras qui viennent de tous les milieux, et c’est tant mieux, se réjouit Emilie Rousselou, directrice de l’université Domaine du Possible d’Arles, un site qui propose des formations en agroécologie : « La majorité des jeunes qui viennent se former chez nous ne sont pas enfants d’agriculteurs. Et ça, c’est nouveau. Ils sont habités par l’urgence de l’autosuffisance alimentaire. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Fermiers urbains, bergers militants, maraîchers bio… les visages du renouveau paysan

Andréa Mathez, 27 ans, n’a pas attendu la crise sanitaire pour entamer sa transition. Après un double master en développement international, agriculture et environnement commencé en 2017 entre Sciences Po et le Kings College de Londres, elle a pris une année de césure pour travailler quelques mois dans une ferme de permaculture. « Cette expérience émotionnelle et physique du travail agricole m’a bouleversée, et a déclenché une réflexion profonde sur la manière dont je pouvais mieux concilier mes travaux de recherche avec ma vie personnelle », raconte la jeune femme. Andréa, qui envisage d’entamer une thèse l’an prochain, pense s’installer dans un éco-lieu.

Clément, fils d’un couple de cadres, a totalement basculé vers cette autre vie dans les champs, quant à lui, une fois son diplôme de CentraleSupelec en poche, en 2018. « Ma formation d’ingénieur m’est tombée des mains. J’ai bien eu des cours sur l’énergie verte, mais c’était plus axé business qu’écologie. » Après avoir tenté de développer une entreprise pour la fertilisation des sols par un processus d’urine recyclée, et effectué un service civique chez Asterya pour la réalisation d’un Guide pour agir, il le dit comme ça : il a « tout quitté ». Il a rejoint le mouvement de La Bascule, qui fédère des initiatives « durables », et s’est lancé dans le maraîchage. Doriane, sa compagne, sortie de l’école de commerce Audencia, veut cultiver des plantes aromatiques et médicinales.

« Ils savent que pour vivre du métier, il faut être entrepreneur, comptable, communiquant, manageur, bon sportif, et pas seulement cultivateur »

Nolwenn Thiriet, 24 ans, diplômée de Sciences Po Rennes en 2020, entend maintenant devenir vachère à la ferme des Petits Chapelais de Chavagne, dans l’Ille-et-Vilaine. Cette fille d’un électricien et d’une aide-soignante a découvert la terre lors d’un stage de maraîchage, en parallèle de ses études. « Récemment, j’ai découvert l’élevage, la connexion avec les animaux, l’empathie et la nouvelle relation au vivant que cela implique, le challenge de penser un modèle écologique, éthique et résilient. » Expérience à poursuivre, avec ces vaches « douces et têtues ».

Tous les chemins universitaires peuvent donc mener aux verts pâturages. « En rupture avec l’économie classique et avec la ville qui inquiète, ces jeunes diplômés pourraient rejoindre la cohorte des collapsologues [théoriciens de l’effondrement], ou ces survivalistes organisés pour la fin des temps. Mais la plupart semblent davantage se tourner vers la coopération, le partage, avec l’objectif de mieux nourrir le plus grand nombre », analyse le sociologue Bertrand Vidal, maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier, auteur de Survivalisme, êtes-vous prêts pour la fin du monde ? (Arkhé, 2018). Selon lui, ces « transitionneurs » très diplômés pourraient s’apparenter à une catégorie émergente, probablement amenée à croître dans le sillage de la crise sanitaire, qui joue un rôle de catalyseur. « Ils sont globalement issus de la classe cultivée, dont le luxe paradoxal est de rejeter le consumérisme d’autant plus facilement qu’ils n’ont pas été frustrés matériellement. » Et bien formés, ils ont aussi la tête sur les épaules, ajoute Emilie Rousselou : « Ils savent que pour vivre du métier, il faut être entrepreneur, comptable, communiquant, manageur, bon sportif, et pas seulement cultivateur. »

Jamais seul

Bonne nouvelle, « car des paysans polyvalents et protecteurs de l’environnement, il va en falloir pour remplacer les 45 % d’agriculteurs qui arriveront à l’âge de la retraite dans les dix ans, prévient Guillaume Riou, président de la Fédération nationale des agriculteurs bio (FNAB). Près de 12 millions d’hectares pourraient potentiellement se libérer, au risque d’agrandir de grandes exploitations existantes, alors qu’il y a de quoi installer chaque année plus de mille nouveaux paysans sur 100 hectares chacun ! » 

Le rêve des néoruraux écolos pourrait ainsi rencontrer les besoins du territoire. A condition de décrocher un brevet professionnel d’exploitation agricole (BPREA), comprenant 1 200 heures de formation environ, pour être autorisé à acheter une surface agricole et bénéficier d’aides publiques à l’installation… « Les candidats devraient être mieux accompagnés afin d’y accéder plus largement, surtout les femmes encore sous-représentées », assure Guillaume Riou.

Le défi n’effraie justement pas la jeune Nolwenn Thiriet, qui compte décrocher son brevet. Pour se lancer sur 100 hectares ? « Pourquoi pas, mais à plusieurs, pour mutualiser les compétences, réduire la pénibilité, les frais, les risques… et la solitude. » Si le « bio » est une évidence pour tous, l’aventure doit se vivre sur le mode collectif.

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