1er juin 2020 | Par Thierry Pech, directeur général de Terra Nova
Nous sommes entrés dans un régime d’instabilité chronique où l’extraordinaire sera sans doute de moins en moins extraordinaire. C’est ce que suggère un rapide examen des statistiques décrivant la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles ces dernières décennies, et notamment celles qui sont liées ou probablement liées aux dérèglements des équilibres écologiques.

D’après les données recueillies par le CRED (Center for research on the epidemiology of disasters, Université catholique de Louvain) et l’OFDA (USAID)[1], on assiste à une augmentation continue des catastrophes naturelles depuis le début du XXe s., qui s’accélère nettement à partir des années 1960.
[1] La base de données du CRED (Université catholique de Louvain) est considérée comme la référence en la matière. Elle a une couverture mondiale et recense les événements depuis 1900. Elle traite des catastrophes naturelles et technologiques mais aussi d’autres fléaux tels que les famines, les épidémies… Les champs renseignés sont nombreux : nombre de victimes, sinistrés, pays, continents, région, dommages…

Ces statistiques peuvent être partiellement faussées par des défaillances de recensement, notamment sur la première moitié du XXe s. (l’augmentation peut alors traduire les progrès du recensement lui-même et non seulement la recrudescence des événements). Mais, même corrigée de marges d’erreur conséquentes, la tendance, notamment sur les quatre dernières décennies du XXe s., reste très nette.
D’autant que la base de données du CRED tend à minorer le nombre d’occurrences par rapport à d’autres bases, notamment celle de catnat.net, comme le montre le graphique 2 sur la période récente (2001-2018).

Selon les données du CRED, les 18 dernières années sont marquées par un tassement, voire une baisse relative du nombre d’événements. Tandis que, selon les données du site catnat.net, l’évolution est toujours nettement orientée à la hausse sur cette période (les données des réassureurs Swiss Re ou Munich Re dessineraient des courbes de niveau intermédiaire). Cet écart entre les deux courbes du graphique 2 tient en grande partie au fait que la base du CRED ne compte que les événements dont les conséquences humaines franchissent certains seuils (au moins 10 décès ou plus de 100 personnes « affectées », c’est-à- dire blessées, déplacées ou sans abri). Cette différence entre les deux sources suggère que les événements ont continué à être plus fréquents sur la période récente mais qu’une majorité d’entre eux ont eu des conséquences humaines modérées, soit qu’ils aient été moins intenses, soit encore que les populations en aient été mieux protégées.
Le graphique 1 agrège, en longue période, les événements sismiques, volcaniques, hydrométéorologiques, biologiques… Quand on décompose les données par type de catastrophes, il apparaît que les plus fortes croissances concernent les événements hydrométéorologiques (inondations, tempêtes, sécheresses, températures extrêmes, etc.). Mais les catastrophes biologiques (épidémies, invasions d’insectes…) sont également en nette croissance, quoique moins nombreuses.
Sur l’ensemble des événements recensés par le CRED sur une période récente (1990-2007), les phénomènes hydrométéorologiques représentent plus des deux tiers des occurrences et sont nettement dominants. Les épidémies représentent, de leur côté, près d’un événement sur six (14%).

Sans que le lien de causalité direct soit encore clairement établi, le réchauffement climatique fournit une explication de plus en plus probable à la recrudescence des phénomènes hydrométéorologiques et climatiques (notamment sécheresses, tempêtes et canicules).
Depuis le début du XXe s., la croissance des événements épidémiques est, elle aussi, frappante, moyennant les mêmes réserves méthodologiques que précédemment. Malgré de fortes variations annuelles et décennales, la tendance est là encore très nette.

Quel que soient l’agent pathogène concerné (bactérie, virus, parasite…) et le mode de transmission, ces dernières décennies sont marquées par une forte recrudescence de maladies infectieuses émergentes. Leur croissance est principalement tirée par les zoonoses, en particulier les zoonoses issues du monde sauvage[2].
Sur les trente dernières années (1980-2013), on relève une augmentation de plus de 400% des éruptions de foyers épidémiques de type zoonotique[3].
[2] Kate E. Jones, Nikkita G. Patel, Marc A. Levy, Adam Storeygard, Deborah Balk, John L. Gittleman, Peter Daszak, « Global trends in emerging infectious diseases », Nature, vol. 451, pp. 990-993 (2008).
[3] Katherine F. Smith, Michael Goldberg, Samantha Rosenthal, Lynn Carlson, Jane Chen, Cici Chen, Sohini Ramachandran, « Global rise in human infectious disease outbreaks », Journal of the Royal Society Interface, vol. 11, issue 101, décembre 2014. https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rsif.2014.0950

Rien ne permet de penser que la multiplication des foyers épidémiques aurait un lien direct avec le dérèglement climatique. Le lien avec le recul de la biodiversité et l’extension des activités agricoles et d’élevage aux dépens (et donc au contact) du monde sauvage (déforestation, etc.) est en revanche avancé par plusieurs chercheurs, notamment pour ce qui concerne les zoonoses[4].
La mortalité associée aux catastrophes ne suit pas du tout la même dynamique que le nombre des événements. Si l’on en croit le CRED, dans les années 1920, on comptait près de 550 000 morts par an du fait des catastrophes naturelles et industrielles, contre « seulement » 60 000 au début du XXIe s. Dix fois moins alors que la population mondiale a quasiment quadruplé entre temps (de 1,8 à 7 Mds d’individus en 2010) et que le nombre d’événements s’est considérablement accru. Autrement dit, les catastrophes sont à la fois beaucoup plus nombreuses et beaucoup moins meurtrières qu’autrefois.
[4] Voir https://theconversation.com/comment-les-changements-environnementaux-font-emerger-de-nouvelles- maladies-130967; voir également Hugues Lagrange, « Renversement provisoire du (dés)ordre du monde », Terra Nova, mai 2020, http://tnova.fr/notes/renversement-provisoire-du-des-ordre-du-monde-les-pays-pauvres-a-ce-jour- sont-moins-touches

Cet effondrement de la mortalité est lié à une meilleure prévention des risques, l’amélioration des performances des systèmes sanitaires, une meilleure protection des populations et un meilleur accès aux réseaux (notamment aux réseaux d’eau douce et d’eau potable). Mais ces progrès se sont accompagnés, dans le même temps, d’une forte appréciation du « prix de la vie », notamment dans les pays développés. De sorte que les 60 000 morts par an de la fin du XXe s. suscitent une plus forte réaction collective que les 550 000 du début du XXe s.

La mortalité n’est cependant pas le seul indicateur pertinent pour évaluer l’ampleur des catastrophes. Les catastrophes naturelles se doublent de plus en plus souvent de crises sanitaires consécutives, notamment les cyclones, tempêtes, submersions… qui ravagent les habitations et blessent ou déplacent des millions d’individus chaque année. En 2018, la totalité des décès directement imputables aux catastrophes naturelles recensées par le CRED s’élevait à 11 800 morts, mais le nombre de personnes « affectées » (blessées, déplacées ou privées d’abri) atteignait plus de 68 millions de victimes. Les années précédentes, ce nombre avait régulièrement dépassé la barre des 100 millions. Cette augmentation est pour partie liée à la fréquence et à l’intensité des événements, mais aussi à l’accroissement rapide de la population, notamment dans des zones géographiques particulièrement touchées[5].
[5] La littoralisation de la population est un facteur d’exposition au risque. Selon les Nations Unies, en 2001, 44% de la population mondiale vivait à moins de 150 km de la mer et 50% à moins de 200 km. En outre, 6% de la population mondiale vit sur la frange littorale, soit sur des terres qui se situent à moins de 10m d’altitude, notamment dans les grands deltas. L’élévation du niveau des mers sous l’effet du réchauffement climatique menace ainsi les habitations de millions de foyers. Ces populations sont également plus exposées aux phénomènes hydrométéorologiques comme les épisodes méditerranéens, les ouragans dans le pourtour du Golfe du Mexique, etc.

Autrement dit, contrairement à celle de la mortalité, la courbe du nombre de personnes affectées suit celle des événements, comme le montre le graphique 8.
A supposer que nos systèmes de secours et de soins soient capables de résister à des chocs plus puissants et plus fréquents (hypothèse cohérente avec les perspectives tracées par les scénarios RCP 4.5, RCP 6.0 et RCP 8.5 du GIEC[6]), et qu’à défaut de continuer à progresser encore, leurs performances demeurent identiques, il est très probable que le nombre de personnes affectées restera installé à un niveau très élevé dans les années et décennies qui viennent. Mais cette hypothèse de résistance à des chocs plus fréquents et plus violents n’a rien d’évident. La pandémie actuelle a montré que même des régions aussi développées que la Lombardie pouvait connaître une véritable submersion de leur système sanitaire. En 2005, l’Ouragan Katrina avait fait la même démonstration en Louisiane (pour mémoire : 1 836 morts, 135 disparus, 141 500 sinistrés, environ 1 million de déplacés).
[6] Le GIEC a distingué dans son 5e rapport quatre scénarios d’évolution du climat, baptisés RCP (Representative Concentration Pathways).Ces quatre profils d’évolution des concentrations des gaz à effet de serre (RCP) ont été traduits en termes de forçage radiatif, c’est-à-dire de modification du bilan radiatif de la planète (rayonnement solaire reçu / rayonnement infrarouge réémis). Le RCP 8.5 est le plus sombre (« business as usual »). Le RCP 4.5 est un scénario de stabilisation à un niveau faible d’ici 2100 ; le RCP 6.0, un scénario de stabilisation à un niveau élevé au même horizon. Même avec le RCP 4.5, qui est l’un des scénarios les plus volontaristes, le forçage radiatif se poursuit jusqu’à la moitié du siècle avec un accroissement des risques.

Ces catastrophes entrainent aussi des coûts économiques considérables. De ce point de vue, l’évolution des dommages financiers depuis 100 ans a suivi une dynamique exactement inverse à celle du nombre de morts, et plus proche de celle du nombre des événements et des personnes affectées, voire plus ascendante encore.
A la fin du XXe s., ces coûts économiques s’élevaient à environ 30 Mds USD par an. Ils ont suivi une pente plus rapide encore depuis en atteignant 113 Mds USD par an en moyenne sur 2000-2016. En 2018, les dommages s’élevaient à 132 Mds USD selon le CRED. Sur la période 2008-2017, l’ensemble des inondations, tempêtes, sécheresses et températures extrêmes aurait causé près de 1 600 Mds USD de dommages.
Moins touchée que d’autres continents (notamment que l’Asie et l’Amérique, voir infra 7.), l’Europe n’échappe pourtant pas à l’accroissement des coûts économiques. En témoigne l’évolution des coûts associés aux sinistres climatiques en France de 1984 à 2017.

Cette inflation des coûts économiques est étroitement liée, non seulement à la fréquence et à l’intensité des catastrophes, mais aussi à la quantité et à la valeur du capital installé, assuré et détruit dans les zones touchées, singulièrement dans les pays développés ou émergents.
Les évaluations du CRED restent cependant inférieures à celles des réassureurs qui font leurs comptes à partir d’une nomenclature des sinistres différente[7]. Swiss Re a ainsi estimé le coût des dégâts en 2018 à 176 Mds USD (contre 132 Mds USD selon le CRED) dont 93 milliards pris en charge par les assureurs.
Les assureurs ont été obligés de revoir régulièrement à la hausse les primes demandées à leurs assurés. En France, ces primes ont été multipliées par 4 en 35 ans, entre 1983 et 2018 (graphique 11). Cette augmentation a été en partie tirée par une croissance des biens assurés, mais également par l’augmentation de la sinistralité (graphique 10), du taux de surprime non-auto (de 5,5 à 12%) et des prélèvements alimentant le Fonds de prévention des risques naturels majeurs, le FPRNM (de 2 à 12%).
[7] Les bases de données des réassureurs (Swiss Re, Munich Re) ne sont pas accessibles au grand public. Certaines (comme celle de Swiss Re) ne recensent que les événements ayant fait au moins 50 millions USD de dommages. Créées par et pour les besoins des réassureurs, elles peuvent avoir tendance à surreprésenter les événements survenant dans les pays ayant un marché de l’assurance (pays développés ou émergents).

Source : CCR
Pour protéger leur solvabilité, les assureurs commencent en conséquence à solliciter des sources de financement alternatives (comme les émissions de Cat’Bonds sur les marchés financiers, qui totalisaient 38 Mds USD d’en cours en 2018).
Le stress auquel est soumis le secteur de l’assurance est un bon témoin de la difficulté de nos économies à affronter des chocs exogènes répétés d’aussi grande ampleur. A fortiori en cas de risque global et symétrique comme c’est quasiment le cas avec la pandémie de Covid-19. L’assurance s’appuyant sur une mutualisation du risque dont la tarification repose sur des statistiques d’expérience et la loi des grands nombres, la probabilité de survenance du risque doit être mesurable et limitée. L’assurance ne peut pas couvrir un risque qui se réaliserait en même temps pour l’intégralité ou la quasi-intégralité des assurés.
En outre, la majorité des modèles assurantiels sont construits sur l’hypothèse d’une indépendance des risques entre eux et n’envisagent que rarement la corrélation possible entre les périls dans les valeurs extrêmes ; par exemple, l’occurrence d’une tempête et d’une sécheresse majeures la même année dans un même pays. Or les premières modélisations de l’impact du réchauffement climatique sur les risques assurés obligent à envisager ce type d’hypothèse.

Une étude réalisée conjointement par la CCR et Météo France a montré qu’en se basant sur le scénario le plus sombre du GIEC (RCP 8.5, soit le scénario de l’inaction ou « business as usual »), à enjeux assurés constants, la sinistralité dans notre pays pourrait augmenter de 50% d’ici 2050[8]. Les pertes annuelles moyennes seraient en augmentation de 23% pour les sécheresses, de 38% pour les inondations et de 82% pour les submersions (l’étude ne chiffre pas les autres risques), soit une augmentation moyenne de 35% (contre +20% dans l’hypothèse du RCP 4.5) à laquelle il faut ajouter 15% d’augmentation dus à la concentration dans des zones à risques.
Naturellement, la répartition géographique des catastrophes et de leurs conséquences est très inégale. C’est en Asie que le nombre de personnes affectées est le plus élevé (près de 6 milliards d’individus de 1950 à 2012, comme le montre le graphique 10). C’est encore en Asie que les coûts sont les plus élevés, suivie de près de ce point de vue par le continent américain. L’Europe émarge au 4e rang pour le nombre de personnes affectées et au 3e rang pour les dommages économiques.
Source : CRED
[8] CCR et Météo France, « Conséquences du changement climatique sur les coûts des catastrophes naturelles en France à l’horizon 2050 », septembre
2018, https://www.ccr.fr/documents/35794/35836/Etude+Climatique+2018+version+complete.pdf/6a7b6120-7050- ff2e-4aa9-89e80c1e30f2?t=1536662736000

Pour se faire une idée plus précise des inégalités géographiques, il est utile de comparer les différents continents à la lumière de trois ratios pour une année donnée (ici, l’année 2018). Le premier ratio concerne le nombre moyen de morts par événement : l’Asie arrive loin en tête du classement, suivie par l’Afrique, l’Europe fermant la marche avec une mortalité moyenne plus de 10 fois inférieure à l’Asie et plus de 5 fois inférieure à l’Afrique. La hiérarchie n’est pas très différente concernant le second ratio : le nombre de personnes affectées par événement en 2018. Là encore, l’Asie et l’Afrique sont loin en tête, et l’Europe ferme la marche. Le continent américain est en revanche dans une position moyenne sur ces deux premiers indicateurs. Le troisième ratio concerne le niveau des dommages économiques par événement. Cette fois-ci, le continent américain arrive clairement en tête et c’est l’Afrique qui ferme la marche… La conclusion que l’on peut tirer de ces trois indicateurs est que les catastrophes tuent davantage dans les pays pauvres, et coûtent plus cher dans les pays riches. L’Europe réussit toutefois, non seulement à limiter fortement les pertes et conséquences humaines, mais aussi à endiguer fortement les coûts économiques.
La critique du « catastrophisme » a souvent été opposée à ceux qui s’inquiètent de ces dérèglements. Tout indique pourtant que nous sommes entrés dans un régime d’instabilité chronique et durable.
Quelles sont les politiques de préparation les plus pertinentes pour faire face à la recrudescence de ces événements ? Il s’agit tout d’abord de protéger les populations, bien sûr, mais aussi de s’organiser de manière à limiter les pertes économiques et à assurer la continuité de l’activité et des services essentiels. L’objectif est, en somme, d’augmenter notre résilience, appréhendée dans les termes de la résilience écologique : « La capacité d’un système vivant à absorber un choc et à retrouver les structures et les fonctions de son état de référence après une perturbation »[9].
[9] C. S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology and Systematics, 8 janvier 2013, https://www.zoology.ubc.ca/bdg/pdfs_bdg/2013/Holling%201973.pdf

Pour cela, plusieurs enjeux peuvent être mis en exergue :
Les signaux d’alerte doivent être aussi clairs et précoces que possible. Les polémiques qui avaient visé la communication approximative de Météo France lors des tempêtes Martin et Lothar en 1999 (92 victimes) ont conduit à la mise en place du système de vigilance météorologique que nous connaissons aujourd’hui (« alerte orange aux vents violents », etc.). Dans le cas de la pandémie de Covid-19, l’opacité et le retard des informations en provenance de Chine conjuguées avec les défaillances de l’OMS ont brouillé la lecture des événements dans de nombreux pays européens[10]. De même, la répétition de messages de prévention à destination des populations exposées au risque de catastrophes fait partie des instruments à mobiliser de façon pro-active (c’est-à-dire sans attendre que les citoyens consultent des documents ou sites d’information, mais en allant à leur rencontre sur les réseaux sociaux, par sms…).
2) L’adaptation au changement climatique :
Le changement climatique appelle des efforts de mitigation qu’il faut bien sûr poursuivre et accentuer : plus nous réduirons nos émissions de gaz à effet de serre, plus nous contiendrons le réchauffement global et plus nous limiterons les perturbations et catastrophes qui en résultent. Mais il exige d’ores et déjà des efforts d’adaptation. Longtemps, les militants de la cause climatique ont craint que les perspectives d’adaptation au changement climatique dissuadent de lutter contre le phénomène et qu’il valait mieux en conséquence ne pas trop « pousser » ce sujet. Mais nous n’avons désormais plus le temps de tergiverser : mitigation et adaptation doivent progresser de conserve. Dans certains domaines, les efforts d’adaptation sont engagés. Ils ont notamment permis en France que la tragédie de la canicule de 2003 (entre 15 et 20 000 morts en quelques semaines) ne se reproduise pas en dépit d’épisodes caniculaires répétés depuis. Ils ont également permis qu’en dépit de sécheresses et de températures croissantes, les incendies de forêt reculent dans la zone méditerranéenne : en 2017, ils ont dévasté 718 000 hectares et causé près de 100 morts dans la péninsule ibérique, contre « seulement » 26 000 hectares et aucun mort en France.L’action publique semble également sur de bons rails en matière d’inondations : identification des zones à risques, plans communaux de sauvegarde, système de vigilance météorologique efficace depuis les tempêtes Martin et Lothar de 1999.
[10] Voir à ce sujet les propositions de Lucien Chabasson (IDDRI), « Quelle gouvernance mondiale pour mieux lutter contre les pandémies zoonotiques ? », Terra Nova/IDDRI, avril

Selon la CCR, les communes qui ont un Plan de prévention du risque inondation (PPRI) approuvé entre 2000 et 2010, ont vu baisser la fréquence des sinistres (-45%) ainsi que leur coût moyen (-16%). Plus généralement, le système français se caractérise par un lien vertueux entre indemnisation et solidarité depuis la mise en place du « Fonds Barnier » en 1995.
Mais le rythme d’ensemble est encore trop lent : dans les villes, la lutte contre les îlots de chaleur, la végétalisation, l’adaptation des bâtiments et constructions… n’en sont encore qu’à leurs débuts. De même, la recrudescence des épisodes cévenols (ou « épisodes méditerranéens ») dans le sud-est du pays a mis en exergue les conséquences dramatiques d’un mauvais usage des sols (artificialisation, imperméabilisation…). En outre, certaines initiatives qui cochent à la fois la case mitigation et la case adaptation (c’est notamment le cas de la rénovation thermique des bâtiments) devraient être puissamment soutenues dans les meilleurs délais.
Là encore, nous ne partons pas de zéro. Certains secteurs sont relativement bien organisés pour faire face à des chocs d’envergure relativement exceptionnels. C’est en particulier le cas du secteur de l’énergie : stocks de pétrole pour faire face à 90 jours de consommation, réseau de gaz dimensionné pour des hivers rigoureux comme il ne s’en produit que tous les 50 ans, capacités de production d’électricité surnuméraires pour surmonter les pics de consommation sans rupture de services, etc. Mais d’autres secteurs sont loin du compte. C’est ce qu’a mis en exergue la pandémie de Covid-19 notamment dans le secteur de la santé : stocks stratégiques insuffisants, risque de tension sur les lits de soins intensifs et les respirateurs, défaillances de la coopération entre les différents échelons administratifs et les laboratoires publics et privés pour produire des tests ou des données de suivi épidémiologiques, désorganisation des chaînes d’approvisionnement, insuffisante efficacité du tracing, manque de flexibilité et de réactivité des outils industriels pour produire localement des matériels de protection que le marché ne fournissait pas… Les catastrophes de ce type nous invitent à mieux identifier les secteurs stratégiques qui conditionnent la résilience de nos sociétés et à répondre pour chacun d’eux à plusieurs questions : quel niveau de sécurité souhaitons-nous ? Quel prix sommes-nous prêts à payer pour cela ? Quelles formes devons-nous donner à notre préparation (niveau et gestion de stocks stratégiques, relocalisation de certaines productions jugées vitales, identification des outils industriels capables de pallier rapidement des défaillances d’approvisionnement…) ? Enfin, qu’est-ce qui doit être fait au niveau national et qu’est-ce qui doit être fait au niveau européen ?[11]
[11] Sur l’ensemble de ces sujets, voir Antoine Guillou et Simon Matet, « Face aux événements extrêmes : le prix de la résilience », mai 2020, http://tnova.fr/notes/faire-face-aux-evenements-extremes-le-prix-de-la-resilience

La participation des populations est un gage d’efficacité dans la préparation aux situations de crise aussi bien que dans la phase de réponse et de reconstruction. En dépit des efforts réalisés dans ce domaine, notamment avec la création des réserves communales de sécurité civile composées de citoyens bénévoles, notre pays semble peu performant dans ce domaine. Alors que notre société regorge de capacités sous-exploitées, la communication avec les pouvoirs publics et les chemins d’engagement sont insuffisamment structurés. Faute d’une confiance réciproque suffisante, les pouvoirs publics eux-mêmes sont régulièrement saisis par deux peurs rivales qui leur inspirent des attitudes inconstantes et peu appropriées : d’un côté, la peur de la panique collective (ruée sur les denrées de base, compétition anarchique pour l’accès aux matériels de protection, migrations intérieures vers des résidences refuge, retraits du travail, etc.) et, de l’autre, la peur de l’inconscience collective (risque d’une insuffisante vigilance de la part de populations qui se déchargent de leurs responsabilités sur les institutions). Guidés successivement par l’une et par l’autre de ces peurs, les autorités oscillent entre une communication parfois excessivement rassurante et une communication d’alerte accompagnée de dispositifs de surveillance et de contrôle infantilisants, produisant au final un brouillage des messages et des intentions.
Pour échapper à ce dilemme, la maturité démocratique appelle une culture du risque et de la préparation. « Vaccinées » collectivement par l’expérience du SRAS, Singapour ou la Corée du Sud ont sans doute pu compter sur une meilleure collaboration des populations contre la pandémie. Nous avons développé cette culture du risque dans des domaines aussi différents que la sécurité routière ou la sécurité nucléaire (on distribue des pastilles d’iode aux populations résidant dans l’environnement des centrales sans redouter de mouvements de panique…). Mais face au risque épidémique, nous sommes en situation d’impréparation des populations.
Pour corriger cette situation, on pourrait examiner plusieurs pistes : organiser un point de contact régulier entre pouvoirs publics et grandes associations intervenant auprès des publics les plus vulnérables, mieux utiliser les supports d’engagement existants (réserves communales de sécurité civile, services civiques, SNU…), inciter les maires à organiser des conventions citoyennes locales sur la gestion des risques avec des citoyens tirés au sort sur les listes électorales… Les sciences citoyennes pourraient également être un bon levier. Le développement, singulièrement depuis la fin des années 2000 et dans le monde anglo-saxon, des disaster citizen sciences, témoigne en effet d’une toute autre approche de la gestion des risques.

Il s’agit d’organiser la participation bénévole de citoyens non professionnels à la collecte, l’analyse ou la diffusion de données scientifiques afin de produire et d’actualiser une connaissance en temps réel et multidirectionnelle[12]. La résilience face aux événements extrêmes dépend, selon les académiques et les professionnels de la gestion de crise impliqués dans ce type de programme, de la capacité à faire travailler ensemble habitants, communautés, organisations civiles, autorités publiques… Il s’agit de détecter des phénomènes, de collecter des données, d’analyser des informations qui contribuent à la connaissance en temps réel des situations, des risques, des dommages, et qui permettent d’orienter à la fois les populations et les secours : évaluation des risques et vulnérabilités des populations locales, surveillance et alerte, évaluation des besoins des populations, diffusion de l’information auprès des groupes les plus isolés, diffusion d’une culture de la vigilance, développement de réseaux d’entraide collaborative. Ces initiatives, cohérentes avec le community policing qui prévaut outre-Atlantique ou outre-Manche, sont souvent soupçonnées en France de dédouaner l’Etat social de ses responsabilités. Elles pourraient et devraient au contraire s’ajouter aux efforts de l’Etat social. Car l’enjeu n’est pas de trancher une guerre des modèles, mais d’augmenter notre résilience collective face à des chocs plus fréquents et plus intenses.
[12] Voir Chari, 2019 (https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-019-7689-x) ; Hicks, 2020 (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/feart.2019.00226/full) ; UNDRR, 2020 (https://www.preventionweb.net/publications/view/70084). Sur l’usage des data dans le champ de l’action humanitaire, voir https://centre.humdata.org/data-policy/

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