Le logement reste l’un des grands défis des Outre-mer. Entre loyers élevés, pénurie de biens disponibles et normes inadaptées, de nombreuses familles peinent à se loger décemment. Ce jeudi 5 juin, le Parlement a définitivement adopté une proposition de loi portée par la sénatrice Audrey Bélim qui entend apporter des réponses concrètes. Cette avancée législative ouvre aussi la voie à de nouvelles interrogations sur la stratégie d’ensemble en matière d’habitat et de développement local.
Le texte voté permet désormais aux communes d’Outre-mer situées en zone tendue de mettre en place, si elles le souhaitent, un encadrement des loyers. Cette mesure, expérimentale et basée sur le volontariat, vise à juguler une hausse des prix qui alourdit le quotidien de nombreuses familles. En Guyane, par exemple, les écarts atteindraient jusqu’à 10 % par rapport à l’Hexagone. Ce dispositif laisse aux élus locaux la responsabilité d’en évaluer la pertinence et d’en mesurer les effets sur leur territoire.
Mais c’est surtout l’article 3 bis qui retient l’attention des professionnels du secteur. Il acte la possibilité, dans les régions ultrapériphériques, de déroger au marquage CE européen pour les matériaux de construction. Cette dérogation, obtenue de haute lutte à Bruxelles, est entrée en vigueur en janvier 2025. Elle pourrait changer la donne :
- réduire les coûts de construction,
- relancer des filières locales,
- et permettre un urbanisme mieux ancré dans les spécificités climatiques et culturelles des territoires ultramarins.
Le ministre d’État, ministre des Outre-mer, salue un texte « de bon sens » qui « conjugue simplification, efficacité et respect des réalités du terrain ». Pour lui, c’est une étape significative du plan global de lutte contre la vie chère, en cours d’élaboration avec les élus et les acteurs économiques locaux.
Mais au-delà de ces avancées concrètes, plusieurs questions émergent :
- Quel sera l’impact réel de l’encadrement des loyers sur l’offre locative, notamment saisonnière ?
- Comment garantir que l’assouplissement des normes ne conduise pas à un nivellement par le bas en matière de qualité du bâti ?
- Les filières locales sont-elles prêtes à répondre à une demande plus forte, dans des conditions de compétitivité durables ?
- Et surtout, comment articuler ces mesures avec une politique plus large de production massive de logements sociaux et intermédiaires ?
Ces interrogations n’enlèvent rien à l’utilité du texte, mais invitent à penser la suite. Car si cette loi marque un pas important, elle ne saurait à elle seule résoudre des déséquilibres structurels. Elle peut, en revanche, ouvrir la voie à une réflexion collective sur un modèle de développement du logement qui concilie accessibilité, durabilité et respect des contextes locaux.
Philippe Pied
ZOOM – Cinq territoires, cinq réalités, une même urgence
À Mayotte, département frappé par une crise sociale, foncière et migratoire aiguë, l’urgence est extrême. L’encadrement des loyers semble presque secondaire face à la prolifération d’habitats informels et au manque d’infrastructures de base. Mais l’assouplissement des normes pourrait, à terme, permettre des constructions plus rapides, mieux adaptées et plus accessibles… à condition que l’ingénierie publique suive.
En Martinique, les tensions sur le marché locatif se concentrent dans les grandes agglomérations. Le parc immobilier ancien, souvent mal isolé ou inadapté au climat, pourrait bénéficier des nouvelles marges de manœuvre offertes par la loi. Reste à savoir si les collectivités locales oseront activer le levier de l’encadrement des loyers, et si cela permettra de libérer des logements vacants.
En Guadeloupe, la dynamique de construction reste entravée par des procédures lourdes, une instabilité foncière et une perte de savoir-faire. La possibilité d’utiliser des matériaux non CE, disponibles localement, redonne espoir à certains artisans. Mais pour que cela produise des effets à grande échelle, il faudra former, structurer et investir encore plus dans les filières locales du BTP.
En Guyane, territoire en forte croissance démographique, la pression sur le logement est intense, notamment dans les zones urbaines de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni. L’encadrement des loyers pourrait être un outil de régulation pertinent à court terme, mais le vrai levier reste la production massive de logements. Ici plus qu’ailleurs, l’accès à des matériaux adaptés et moins coûteux est une question de survie économique.
À La Réunion, la sénatrice Audrey Bélim a porté ce texte au nom d’une réalité connue : celle d’un territoire insulaire soumis à une forte pression foncière, à des coûts de construction élevés, et à des attentes sociales croissantes. Le potentiel de développement d’une filière réunionnaise de matériaux alternatifs est réel. L’application rapide de la loi pourrait y devenir un exemple pour les autres territoires.
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