A l’occasion de la sortie du dictionnaire encyclopédique de l’identité chez Folio, nous évoquons une définition possible de l’identité avec Carpanin Marimoutou, professeur de littérature à l’université de Saint Denis de La Réunion.

Le poète et professeur de littérature Carpanin Marimoutou

A l’occasion de la sortie de L’identité. Dictionnaire encyclopédique chez Folio Essais, nous évoquons une définition possible de l’identité avec Carpanin Marimoutou, professeur de littérature à l’université de Saint-Denis de La Réunion.

L’identité, c’est à la fois le caractère de ce qui est même et de ce qui est unique, pensé comme individuel. Elle est tour à tour personnelle, psychologique, génétique ou narrative, pensée comme collective. Elle est sociale, ethnique, familiale, genrée, linguistique ou encore nationale. À travers les différents regards exposés dans ce dictionnaire, chacun trouvera son chemin. C’est sur l’île de La Réunion qu’Affaire en cours interroge le concept d’identité, avec Carpanin Marimoutou, professeur de littérature à l’Université de Saint-Denis, La Réunion, spécialiste des questions identitaires et poète. 

Face à cette notion d’identité plurielle, qui agite à notre époque les esprits avec une intensité particulière, l’île de La Réunion a comme caractéristique de condenser sur un petit territoire des langues différentes, des cultures multiples, des religions diverses. Selon Carpanin Marimoutou, c’est une chance que d’avoir grandi sur cette île, et  c’est précisément de cette mixité que lui est venu l’amour de la littérature. 

Dérive de la question identitaire

Je suis effrayé ces temps-ci, quand j’entends les débats, que ce soit autour de la campagne électorale américaine, en France hexagonale ou ailleurs dans le monde, et constate une espèce de repli des uns et des autres sur la question identitaire.          

Bien

Cette dérive de la notion d’identité, ou plutôt cette utilisation de la notion de l’identité, m’inquiète énormément. C’est une notion que j’utilise moi-même de moins en moins. Dans ma jeunesse, dans le mouvement anticolonialiste réunionnais, on s’était servi de cette notion, mais pas du tout dans cette perspective d’enfermement.          

Le poète réunionnais se remémore l’époque, au début des années 1960, où Michel Debré était député de La Réunion et acteur d’un discours politique inscrit dans la continuité d’une tradition bien précise : celle de la mission civilisatrice coloniale de la France, et d’une volonté d’assimilation totale de territoires comme La Réunion à la France. 

Ce qu’il entendait par assimilation, c’était qu’on soit exactement comme. Debré disait : “La Réunion, ce sera ça”.          

“Les Français oublient que la république était coloniale”

Citant l’homme politique Paul Vergès, Carpanin Marimoutou réaffirme : Personne ne nous obligera à choisir parmi nos ancêtres. Dans les années 1960, alors que les grandes théories postcoloniales sont encore en genèse, la question identitaire n’empêchait pas de loyauté culturelle ou linguistique, selon le professeur de littérature.

Aujourd’hui, ce qui me gêne dans la notion d’identité, c’est qu’on tend à l’utiliser pour empêcher le débat. Par exemple, suite à l’assassinat de Samuel Paty, on entend beaucoup parler des valeurs républicaines. A mon époque, les valeurs républicaines c’était : “tu te tais, tu parles français, tu ne parles pas ta langue”. Les Français ont tendance a oublier que la république était coloniale et esclavagiste, et que c’étaient là des valeurs de la république.          

On tend aussi à oublier que cette notion de liberté, d’égalité et de fraternité a été mise en oeuvre avant tout par les marrons qui, partout dans le monde, là où il y a de l’esclavage, quittent le système esclavagiste pour créer ces espaces où ils sont libres, égaux, et frères. Ce n’est pas pour rien que si les Lumières arrivent à penser cette notion de liberté, d’égalité et de fraternité en France, c’est précisément en pensant la question de l’esclavage et du marronnage.        

“Aucune culture n’est étrangère”

Le fait d’être à La Réunion, explique Carpanin Marimoutou, où on entend à la fois battre les tambours malbars et chanter le muezzin depuis la mosquée, où les gens parlent créole, malgache, shimaoré, crée un rapport au monde selon lequel aucune culture n’est étrangère. 

Je suis étranger nulle part dans le monde. A Madagascar, en Chine, en Europe, en Inde, je ne vais pas me sentir étranger. Ce qui rend ce monde créole extraordinaire, c’est que c’est en lui que toutes ces cultures se sont rencontrées.        

Je suis toujours étonné de voir l’étonnement des Français devant, par exemple, une femme portant un foulard sur la tête. Où est le problème ? Ca n’a rien d’insultant ou d’exotique : c’est leur monde.

Ce qui caractérise les mondes créoles, c’est que les gens habitent et parcourent tous le même espace, mais chacun à sa façon.

“Est Réunionnais celui qui se soucie de cette île”

Avec Françoise Vergès, dans notre ouvrage Amarres, nous disions être natifs de la Réunion. Pour nous, “natifs” ne signifie pas y être né, mais qu’on en a souci. Etre Réunionnais, c’est ça : habiter cet espace en en ayant souci, de sa fragilité, du bien commun, du partage.

Au coeur de cette île peuplée d’habitants aux origines et horizons multiples, se tient comme facteur d’unification la langue créole. Créée à la fois par les esclavagistes et les esclaves afin qu’ils communiquent, le créole constitue un phénomène unique en son genre, nous rappelle Carpanin Marimoutou.

Le créole aussi, chacun le parcoure à sa façon. Le même mot peut renvoyer à des choses totalement différentes selon l’imaginaire qui préexiste. Mais c’est la même langue. C’est fabuleux et une chance d’avoir cette langue, car elle se crée en permanence.      

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