John McWhorter — Traduit par Peggy Sastre — 

Et pourquoi il est aujourd’hui préférable de mettre une majuscule à «Noir» et une minuscule à «blanc» quand on parle de personnes.

La photo:  Manifestation devant le Stonewall Inn, le 16 juillet 2020 à New York. | Stephanie Keith / Getty Images North America / AFP

 

Dans un été toujours agité par des manifestations contre les inégalités raciales et les violences policières, l’heure est également aux débats sur la façon de parler et d’écrire sur ces questions.

Dans un récent épisode du podcast Lexicon Valley, John McWhorter s’est arrêté sur deux sujets dans une optique linguistique: le «définancement» de la police et la capitale au mot «Noir» (et la minuscule à «blanc») lorsqu’il concerne des personnes.

Voici une retranscription de cette émission, éditée et condensée à des fins de clarté.

Définancez-moi tout ça

Ces derniers temps, on voit souvent le slogan «Defund the police» («Définancez la police») dans les manifestations. Beaucoup n’apprécient pas cet usage, car il incite à penser que la police serait privée de son argent et qu’il n’y aurait donc finalement plus de police du tout.

Mais dans la plupart des cas, ce «définancement» veut simplement dire que la police devrait recevoir moins d’argent, qu’elle devrait avoir moins de responsabilités dans la société –moins d’argent, pas zéro argent.

La question suivante que vous pourriez vous poser est: si tel est le sens que les gens ont dans la tête, n’est-il pas imprécis de dire «Définancez la police»? Ne faut-il pas se servir des mots selon leur signification réelle?

Ici, la subtilité devrait être de mise. Le préfixe dé- ne relève pas toujours d’un absolu. Il peut aussi être «scalaire», comme le veut le jargon linguistique. Certes, quand vous détrônez quelqu’un, vous prenez ses petites fesses et vous les enlevez du trône. Hop, elles sont parties, elles ne sont plus là. Si quelqu’un est «détrôné», c’est qu’il n’est plus sur le trône. C’est soit A, soit B. Idem pour la «déségrégation». L’idée n’est pas de laisser un peu de ségrégation pour faire joli.

Mais ce ne sont pas là les seuls usage de dé-. Exemple, la «désescalade». Ici, le but est de faire baisser la température. Peut-être de beaucoup, mais pas forcément jusqu’à éteindre tout le schmilblick. C’est une question de degré, d’atténuation, de régression à la moyenne.

Et quand vous «décompressez», est-ce que cela signifie finir totalement sans pression? Probablement pas. C’est scalaire. C’est un continuum.

Le «définancement» peut donc, aussi, avoir cette signification. «Définancer», ce n’est pas priver totalement quelqu’un ou quelque chose de financement, c’est simplement lui en donner moins. Et même si ce n’est pas forcément à ça que nous pensions, le fait est que nous nous servons tout le temps du langage de manière créative. En d’autres termes, le langage est en évolution constante.

En outre, il faut aussi prendre en compte la différence entre un slogan et un article scientifique. Quand on vous dit «Définancez la police», on vous incite au minimum à envisager la disparition de la police –et ce n’est pas par hasard.

À mon sens, l’idée qu’il n’y aurait plus du tout de police gêne un paquet de monde. C’est trop radical. Peut-être que certaines personnes en rêvent, mais c’est un point de vue extrême. Après, si l’expérience de pensée permet d’atterrir sur un quelconque juste milieu, ce n’est pas la fin du monde. Et encore une fois, tout se joue dans la différence entre un slogan et une communication scientifique.

Prenez «Black Lives Matter» –«Les vies noires comptent». Aujourd’hui, on entend souvent rouspéter «Non, toutes les vies comptent». C’est passer à côté de l’essentiel. Dire que les vies noires comptent ne veut pas dire qu’elle valent davantage. Mais qu’elles comptent aussi. Qu’elles sont tout autant importantes. Sauf que le slogan part du principe que vous êtes au courant, car sinon, quel genre de slogan on aurait avec «Les vies noires comptent tout autant» ou «Les vies noires sont elles aussi importantes»? Ce serait bancal. Et donc pas un slogan, mais un élément de communication.

Certes, les deux se chevauchent, mais sans se recouvrir totalement. Dire «Black Lives Matter», c’est partir du principe que tout le monde sait que personne n’est assez fou ou égocentrique pour dire que les vies noires valent davantage. Qui pourrait le penser? Évidemment que les vies noires comptent aussi. Mais vous ne le dites pas.

La logique est la même avec «Définancez la police». Imaginez remplacer le slogan par «La police devrait avoir moins d’argent». Ce n’est pas un slogan. Parfois, parler de manière parfaitement précise ne revient qu’à se parler à soi-même.

À mes yeux, c’est ce qui est en jeu avec le «définancement» de la police. Nous sommes sur un changement de signification. Le langage est en constante évolution et, ici, l’évolution n’est pas aléatoire ni ne relève d’un glissement sémantique dont à peu près tout le monde se fout, elle se fait dans un contexte houleux. Mais c’est toujours ainsi que le langage change.

«Noir» et «blanc»

Après l’Associated Press, le New York Times a décidé de mettre une capitale à «Noir» quand le mot désigne une personne. Ce qui me semble parfaitement juste, vu que les individus ainsi désignés ne sont absolument pas noirs en terme de couleur. Dès lors, si on parle de personnes noires, alors elles méritent un nom propre.

Cela signifie que «Noir» ne renvoie pas à la couleur, mais à un ensemble de personnes justement considérées comme un ensemble pour des raisons qui diffèrent de la signification de base du mot. On peut aussi dire qu’il se réfère à un ensemble d’expériences historiques, sans même parler d’expériences actuelles.

Donc oui, je pense qu’il faut mettre une majuscule à «Noir» –ce qui va personnellement me libérer et me permettre de faire quelque chose que j’ai toujours considéré naturel. J’ai passé ma vie à écrire «Noir» avec une minuscule et à penser que je mettais des gens en bas de casse, que je me mettais en bas de casse. Donc oui, il faut que le mot ait sa majuscule.

Est-ce que cela veut dire que «blanc» devrait aussi s’écrire avec une majuscule? Oui. Parce que «blanc» est aussi arbitraire que «noir» quand nous parlons de personnes. Qu’est-ce qu’une personne blanche? Les Hispaniques sont-ils blancs? Les Israéliens sont-ils blancs? Qu’est-ce qu’un blanc? Le concept est des plus arbitraires. Et «Caucasien»? C’est encore pire, mais ça sera pour un autre jour.

Donc «blanc» est une réalité. C’est un ensemble d’expériences historiques, et un ensemble d’expériences actuelles. Donc le mot devrait lui aussi avoir sa majuscule.

Dans un monde idéal, on devrait donc écrire «Noir» et «Blanc» lorsque l’on parle de personnes, mais c’est impossible. Malheureusement, nous ne le pouvons pas, car la vraie vie est passée par là. Les suprémacistes mettent une majuscule à «blanc» dans l’idée de préserver la blanchité comme quelque chose de distinct, de séparé et de préférable à leurs yeux à une palanquée d’autres choses, y compris les Noirs.

Pour la majorité des gens, qui ne sont pas suprémacistes, un tel usage n’est pas très ragoûtant. Je pense même qu’une masse critique de gens préféreraient ne rien avoir en commun avec eux. Et vu que l’usage qu’ils font de la majuscule à «blanc» est celui qu’il est, non, je ne pense pas que nous puissions y avoir recours. C’est malheureux, mais c’est ainsi: vu qu’ils ont commencé, le reste d’entre nous ne le peut pas, parce qu’ils sont arrivés les premiers.

Commencer à mettre des majuscules à «blanc» me mettrait mal à l’aise. Ça sent le drapeau sudiste. Raison pour laquelle je dirais non pour la majuscule à «blanc», bien qu’au fond de moi, je préfère quand tout est propre et bien rangé. Si les suprémacistes disparaissent et que cinquante ans s’écoulent, alors là je serais d’accord pour mettre une majuscule à «blanc», pour que tout soit nickel. Mais nous ne pouvons pas être nickel aujourd’hui.

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