illustration: Il faut l’oublier l’image bucolique des centaines de moulins à vent qui couvraient autrefois le plateau de Lassithi en Crète et fournissaient l’énergie nécessaire à l’irrigation des terres. | Nikater via Wikimedia Commons


 

Gérard Horny
Repéré sur Slate

Le bilan de l’accord de Paris, cinq ans après son adoption, est clair: globalement, les pays signataires ne tiennent pas leurs engagements. Ce n’est pas une surprise, mais il est important d’en connaître les raisons

Christian de Perthuis, fondateur de la chaire Économie du climat à l’Université Paris-Dauphine, lorsqu’on lui demande de faire le bilan de l’accord de Paris, ne se contente pas de décrire l’action des gouvernements depuis le 12 décembre 2015: il remonte à mars 1990, lorsque le GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, IPCC selon le sigle anglais) a remis son premier rapport.

Il a raison: c’est seulement ainsi que l’on peut vraiment mesurer les résistances auxquelles se heurtent ceux qui luttent pour la mise en œuvre rapide et déterminée de politiques visant à limiter le réchauffement du climat et à s’adapter au changement qui interviendra de toute façon.

Émissions record en 2019

Le thème du climat est certes relativement nouveau, mais cela fait tout de même maintenant trente ans, si l’on prend pour point de départ ce premier rapport, que les décideurs politiques sont informés de la gravité du problème et de la nécessité d’agir vite pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Et que constate-t-on?

Au cours de ces trente années, les émissions de GES ont augmenté de plus de 45%. En 2019, elles ont atteint le chiffre record de 52,4 gigatonnes d’équivalent CO2 et même 59,1 gigatonnes en incluant les émissions dues au changement d’affectation des terres (ce terme technique inclut notamment les incendies de forêt, qui ont connu une forte recrudescence en 2019). Pour mieux situer les choses, rappelons qu’une gigatonne, c’est un milliard de tonnes et que l’on parle en équivalent CO2 parce que le dioxyde de carbone, s’il est le gaz à effet de serre le plus connu et le plus répandu dans l’atmosphère, n’est pas le seul.

Il est vraisemblable que le chiffre définitif de 2020 montrera un ralentissement très net (moins 7% selon les estimations actuelles), mais cela signifiera seulement que cette année, grâce, si l’on ose dire, au Covid-19 et aux mesures de confinement, nous aurons aggravé le problème un peu moins rapidement que les autres années. Mais la concentration de GES aura encore augmenté dans l’atmosphère. Comme le souligne l’Organisation des Nations unies, «la réduction immédiate des émissions ne devrait avoir qu’un effet insignifiant à long terme sur le changement climatique».

Les marges de manœuvre se réduisent

Il reste à savoir ce qui va se passer ensuite, car nos marges de manœuvre se réduisent chaque année. Plus on tarde, plus l’effort qui devra être accompli sera violent. Les mesures à prendre d’ici à 2030 pour avoir des chances raisonnables de limiter la hausse moyenne de la température de 2°C à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle doivent être deux fois plus importantes que si des mesures sérieuses avaient été prises dès 2010, estime l’ONU; pour arriver à une hausse limitée à 1,5°C, l’effort à accomplir est quatre fois plus important que ce qu’il aurait pu être. Et si on ne réduit pas drastiquement les émissions d’ici à 2030, la limitation à 1,5°C sera pratiquement impossible (on est déjà à 1,1°C!).

 

Avant que l’on ne découvre tout ce que l’on peut faire avec les énergies fossiles, les notions mêmes de PIB et de croissance n’existaient pas.

Toutes ces informations figurent dans les rapports que le GIEC et l’ONU publient régulièrement, avec des résumés pour les décideurs pour leur éviter la lecture de milliers de pages. Pourquoi ces décideurs, dont beaucoup semblent avoir compris l’urgence du problème, ne font-ils pas davantage? Peut-être tout simplement parce que les solutions ne sont pas simples…

Quand on parle du problème du climat, il faut toujours avoir à l’esprit quelques notions de base et d’abord ne pas oublier que les énergies fossiles sont à l’origine de notre civilisation industrielle, née avec l’utilisation intensive du charbon, puis du pétrole et du gaz. Le terme malencontreux de société «postindustrielle» a le grave défaut de faire oublier que l’énergie reste à la base de notre développement économique. Avant que l’on ne découvre tout ce que l’on peut faire avec les énergies fossiles, les notions mêmes de PIB et de croissance n’existaient pas. L’organisation de nos sociétés en porte l’empreinte.

Les énergies fossiles, facteur de progrès

On peut se faire plaisir en pensant que l’esclavage a disparu parce que l’humain a évolué et rejette des pratiques de ce genre, mais on aurait tort d’oublier que ces énergies fossiles ont été un facteur décisif de progrès: il n’est plus nécessaire d’acheter, loger, nourrir et éventuellement soigner des dizaines ou des centaines d’esclaves quand un seul salarié équipé de tracteurs de plus en plus puissants, de diverses machines et de quelques bidons de produits chimiques peut faire seul le même travail sur une exploitation agricole.

Imaginer que l’on va pouvoir réussir à se passer presque complètement du charbon, du pétrole et du gaz en quelques dizaines d’années sans remettre en cause le fonctionnement même de nos sociétés serait illusoire.

On parle beaucoup depuis quelques mois de la voiture électrique, qui devrait supplanter les véhicules équipés de moteurs thermiques dans les prochaines années, et l’on a l’impression de faire ainsi un grand pas en avant. En achetant un SUV électrique, on ferait preuve d’un grand civisme et on contribuerait à rendre le monde plus vert. Comme si le problème se limitait à la voiture, comme si la fabrication d’une voiture électrique et de ses batteries était neutre pour l’environnement, comme si la mise en circulation de quelques millions de voitures électriques ne posait pas quelques problèmes environnementaux..

 

 

Le défi démographique

Certains ordres de grandeur ne doivent pas être oubliés. Selon les statistiques tenues par l’ONU, au moment de la publication du premier rapport du GIEC, nous étions 5,3 milliards d’êtres humains sur Terre. Aujourd’hui, nous sommes environ 7,7 milliards et, si les prévisions ne sont pas trop erronées, nous devrions être 9,7 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100.

Même si ces milliards d’êtres humains supplémentaires sont sobres, ils auront besoin d’énergie. Et il est probable qu’ils ne seront pas aussi sobres qu’il le faudrait, car la sobriété est souvent imposée par la pauvreté et tous les pays en développement ont légitimement le désir d’avoir un niveau de vie se rapprochant de celui des pays dits développés.

Avec des pauvres qui ne veulent plus être pauvres et des riches qui veulent rester riches, il ne va pas être facile de trouver des solutions satisfaisantes.

Nous-mêmes estimons que tous nos besoins ne sont pas satisfaits: d’un côté, nous avons des intellectuels qui dénoncent la course à la croissance, mais de l’autre, nous avons une large partie de la population qui réclame plus de logements, plus de confort, plus d’équipements hospitaliers, des salaires plus élevés, etc. Comment fait-on?

Regardons d’abord le classement des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. La Chine arrive très loin en tête après avoir doublé les États-Unis au début des années 2000, et ces deux pays sont suivis par l’Union européenne (en comptant le Royaume-Uni), l’Inde, la Russie et le Japon. Si l’on effectue le classement de ces grands émetteurs en divisant les émissions de chacun d’eux par le nombre d’habitants, on a les États-Unis en tête, la Russie, le Japon, la Chine, l’Europe et, nettement plus loin, du fait de son bas niveau de vie, l’Inde.

Plus on est riche, plus on émet de gaz à effet de serre

À niveaux de vie comparables, on peut certes trouver des différences selon la place occupée par l’industrie, le plus ou moins grand recours au charbon, la place occupée par le nucléaire dans la production d’électricité, mais l’élément essentiel est bien le PIB par habitant.

Ainsi que le notent les experts de l’ONU, «les émissions produites par les 1% les plus riches de la population mondiale représentent plus de deux fois la part cumulée des 50% les plus pauvres». Avec des pauvres qui ne veulent plus être pauvres et des riches qui veulent rester riches voire l’être encore un peu plus, il ne va pas être facile de trouver des solutions satisfaisantes pour tout le monde.

On sait depuis le début que les contributions déterminées nationalement qui ont été déposées ne permettront pas d’atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris.

Depuis le début des négociations climatiques sous l’égide de l’ONU, ce problème est récurrent. Les pays en développement soulignent qu’ils sont souvent en première ligne face au changement climatique parce qu’ils risquent de voir leurs terres submergées du fait de la montée des océans, parce qu’ils vont souffrir encore plus de la chaleur et de la sécheresse que les pays tempérés, etc., alors qu’ils émettent relativement peu de GES. Les efforts à fournir devraient donc incomber d’abord aux pays riches qui ont une responsabilité historique dans l’accumulation des GES dans l’atmosphère.

 

 

Pour réussir à embarquer tout le monde dans la course à la réduction des émissions dans ce contexte politique tendu entre groupes de pays, on a imaginé de ne plus chercher à imposer des règles générales, mais de laisser chaque pays faire son propre programme: ce sont les CDN (ou NDC en anglais), contributions déterminées nationalement. Mais on sait depuis le début que les CDN qui ont été déposées ne permettront pas d’atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris.

L’introuvable sobriété

L’écart avec ce qui serait nécessaire est d’autant plus important que beaucoup de CDN des pays en développement sont conditionnelles, c’est-à-dire que les engagements ne seront tenus qu’à la condition que les pays concernés reçoivent les financements internationaux nécessaires. Et c’est mal parti. La crise économique provoquée par la pandémie ne facilite pas les choses: les pays dits riches ont vu leurs finances mises à mal et leur opinion publique a d’autres revendications qu’une augmentation de l’aide aux pays en développement…

Une population mondiale qui augmente et des besoins d’accroissement de la richesse nationale dans les pays pauvres mais aussi dans les pays riches, cela laisse mal présager une solution au problème du changement climatique par davantage de sobriété. On voit peu de gouvernements s’engager sur cette voie, pour une raison simple: la sobriété, cela signifie moins de consommation, moins de production, en clair un PIB qui stagne voire qui recule et donc, pour les États, des recettes fiscales qui régressent.

Si l’on s’en tient à ce que l’on voit actuellement en France et aux appels à l’aide publique qui émanent de tous les côtés, on imagine mal notre gouvernement proclamer son intention de maintenir le PIB à son niveau actuel voire le faire reculer encore un peu parce que c’est bon pour le climat.

Des nouvelles technologies très consommatrices d’énergie

Au passage, on peut noter que la sobriété n’est pas évidente dans des économies où l’on développe de nouvelles technologies qui sont toutes très consommatrices d’énergie. Le dernier rapport du Haut conseil pour le climat à propos de la 5Gest intéressant, car il souligne dans quelles contradictions on se retrouve très vite. Il rappelle que l’empreinte carbone du numérique s’élève déjà à 2% de l’empreinte carbone totale de la France (par empreinte carbone totale, il faut entendre le montant des émissions générées par l’activité humaine sur notre territoire auquel on ajoute les émissions liées aux produits et services que l’on importe) et il souligne que si l’on s’engage sans plus de précautions dans le développement de la 5G sur notre territoire pour rester dans la course mondiale au progrès technique, on risque d’alourdir notre empreinte dans des proportions non négligeables.

 

En France en 2019, les énergies renouvelables ne représentent que 11,6% de la consommation totale d’énergie primaire.

Il serait donc souhaitable de tenir compte de ce risque dans les travaux actuels de préparation de la feuille de route sur l’impact environnemental du numérique. Il pourrait aussi être nécessaire de «réduire d’autant plus les émissions et la demande d’électricité des autres secteurs de l’économie».

Bref, il n’est pas facile d’être sobre. Alors, si on doit faire face à la fois à une augmentation de la population et à une hausse du PIB par tête à l’échelle mondiale, il faut trouver d’autres solutions. Par exemple, on peut travailler à une moindre intensité énergétique de la croissance, autrement dit chercher à consommer chaque année un peu moins d’énergie pour obtenir un PIB équivalent. C’est ce que l’on fait déjà depuis des années. Mais, souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un récent rapport, les progrès enregistrés ralentissent depuis 2015 et les investissements engagés ont fortement chuté en 2020.

 

Les énergies renouvelables? Oui, mais…

Une autre voie consiste à donner la priorité aux énergies décarbonées. La baisse des coûts de l’énergie solaire et éolienne suscite beaucoup d’espérances et, de fait, la montée en puissance des énergies renouvelables se fait actuellement à un rythme rapide.

Cette année, alors que la demande mondiale d’énergie a fléchi en raison de la pandémie de Covid-19, la production d’électricité par des énergies renouvelables aurait encore augmenté de 7%, selon les calculs de l’AIE. Leur importance n’est plus marginale: selon les données recueillies par Capgemini dans son World Energy Markets Observatory, celles-ci auraient représenté cette année environ 20% de la production d’électricité aux États-Unis, un peu plus au Japon, en Inde et en France, près de 30% en Chine et plus de 40% en moyenne dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, avec l’Allemagne qui arrive à près de 50%.

Mais il faut rester lucide. Si l’on regarde le détail des chiffres de la consommation totale d’énergie primaire en France en 2019 (toute l’énergie n’est pas consommée sous la forme électrique), on constate que les énergies renouvelables ne représentent que 11,6% du total, loin derrière le nucléaire (40,3%), le pétrole (29,1%) et le gaz (15,2%). Et, à l’intérieur des énergies renouvelables, que représentent celles dont on parle le plus? L’éolien est à 1,2% et le solaire n’apparaît pas: il est simplement inclus dans une catégorie «autres» qui représente 1,6% du total. La biomasse (4,2%) et l’hydraulique (2%) pèsent davantage.

Le sujet qui fâche

Qu’en conclure? Qu’il faut garder les pieds sur terre. Les énergies renouvelables, c’est très bien, mais quand on voit des scénarios où, nous dit-on, elles pourraient représenter très rapidement 100% du total, on ne peut s’empêcher d’avoir quelques doutes. Réussir à chasser presque complètement du paysage les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) d’ici à 2050 serait déjà une vraie prouesse, mais en plus, vouloir le faire sans le secours du nucléaire semble bien téméraire.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans les milieux écologistes, on commence à s’interroger sérieusement sur ce sujet qui fâche. Dans les années 1970, au moment où la France a développé à vive allure son parc de centrales nucléaires, la question ne se posait pas vraiment: si l’on était sensible aux problèmes écologiques, on était antinucléaire. À l’époque, on ne parlait pas encore des gaz à effet de serre et du changement climatique.

Le respect de l’accord de Paris est loin d’être acquis et ce n’est pas seulement une question de bonne ou de mauvaise volonté des gouvernants.

Mais les temps ont changé et les esprits évoluent. Il n’y a plus seulement d’affreux productivistes et des suppôts d’EDF pour se demander s’il était vraiment nécessaire de fermer Fessenheim et s’il est bien raisonnable de programmer une réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% en 2035 contre environ 71% actuellement, et de fermer au total quatorze réacteurs.

Résumé de la situation: partout dans le monde ainsi qu’en France, le respect de l’accord de Paris est loin d’être acquis. Ce n’est pas seulement une question de bonne ou de mauvaise volonté des gouvernants, même s’il serait souhaitable que tous travaillent de façon déterminée dans la même direction. La question de l’énergie est centrale dans nos sociétés et les meilleures solutions pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre ne sont pas évidentes.

Il n’y a pas d’énergies vertes

Ne rêvons pas: il n’y a pas d’énergies vertes ou propres. Tout est une question de volume. Il faut l’oublier l’image bucolique des centaines de moulins à vent de quelques mètres de haut à ossature bois et ailes de toile blanche qui couvraient autrefois le plateau de Lassithi en Crète et fournissaient l’énergie nécessaire à l’irrigation des terres.

Les éoliennes modernes sont des monstres d’acier et de béton qui peuvent faire plus de 200 mètres de haut. La fabrication de panneaux photovoltaïques nécessite une puissante industrie métallurgique et minière dont beaucoup d’écologistes préféreraient ne pas voir le bilan carbone. Et la sobriété énergétique n’est pas aussi simple à pratiquer que ne paraissent le croire ses adeptes.

Le chemin qui doit mener le monde à la neutralité carbone n’est pas encore bien tracé. Au cours de cette année 2020 exceptionnelle, la consommation de charbon a reculé de 7%, mais, prévient l’AIE, elle pourrait rebondir en 2021 du fait d’une hausse de la demande en Chine, en Inde et dans l’Asie du Sud-Est. Malgré tout, cette année pourrait nous apporter quelques bonnes nouvelles.

La première devrait être, dès le mois de janvier, le retour des États-Unis dans l’accord de Paris. Et, à la fin de l’année, la vingt-sixième conférence des Nations unies à Glasgow pourrait être l’occasion d’une nette révision à la hausse des CDN des pays signataires de l’accord. On attend en particulier de voir quelles seront les nouvelles contributions de la Chine qui, après avoir copieusement arrosé la terre de CO2 pour asseoir sa domination sur l’industrie mondiale, veut «ouvrir une nouvelle étape de la réponse mondiale au changement climatique», comme l’a réaffirmé Xi Jinping le 12 décembre. Restons optimistes, mais raisonnablement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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