Illustration :Couverture du roman policier Ils étaient dix, d’Agatha Christie. | Le livre de poche


Rokhaya Diallo

James Prichard a fait rebaptiser le plus fameux roman de son arrière-grand-mère Agatha Christie en «Ils étaient dix». Une œuvre qui n’en est pourtant pas à une variation de titre près.

«Absurde», «monstrueux» voire «misérable»… quelle est donc cette terrible nouvelle qui a soulevé tant de protestations en cette veille de rentrée 2020? Pour susciter une telle vague d’indignations, il a suffi que James Prichard, arrière-petit-fils de la papesse du polar Agatha Christie, annonce sa décision de rebaptiser Dix petits nègres, son plus fameux roman, d’un nouveau titre (Ils étaient dix) afin d’en ôter la dimension raciste, susceptible selon les termes de Prichard de «blesser». Une révolution? Pas vraiment.

Le livre paru au Royaume-Uni en 1938 sous le titre de Ten Little Niggers a été publié aux États-Unis en 1940 sans que jamais le mot raciste «nègre» n’apparaisse, les éditeurs locaux ayant opté pour And Then There Were None(«Et soudain il n’en resta aucun») avec l’assentiment d’Agatha Christie. Celle-ci avait, selon l’historien Jean Garrigues, «elle-même reconnu l’utilité de changer le titre au début des années 1940 aux États- Unis», car elle «sentait […] le poids négatif que ça pouvait jouer sur des populations»

Il en a été de même dans plusieurs traductions comme en Allemagne dès 1944 et en Italie en 1946. Au Royaume-Uni, le titre raciste a été finalement abandonné en 1980.

Alors qu’Agatha Christie a accepté le choix de la suppression du terme raciste il y a quatre-vingts ans, notre pays est un des derniers à recourir à ce titrage raciste. Le mot «nègre» a finalement disparu dans sa langue d’origine sans que cela ne suscite de telles controverses.

Pourtant, cette terminologie raciste est encore aujourd’hui défendue en France avec une énergie déconcertante tant elle est passionnée.


Asseoir sa position dominante

Pourquoi s’attacher si désespérément à l’usage d’un mot dont le caractère offensant est incontestable? Dès lors que l’on connaît le caractère raciste d’un mot, si l’on sait qu’il blesse et humilie une partie de la population, pour quelle raison rationnelle s’obstiner à l’employer? Quelle privation ressentent les personnes qui s’accrochent à ce mot au point de déployer une argumentation si prolixe pour en défendre l’usage?

À mon sens, cela témoigne non seulement d’un manque de considération et de respect pour ses concitoyen·nes mais aussi d’un besoin irrépressible d’écraser les voix subalternes. Il s’agit pour les personnes qui font la promotion de ce mot odieux d’asseoir une position dominante qui n’existe que dans le maintien de rapports de force issus de cette histoire ancienne dont elles devraient avoir honte au lieu de la brandir comme une précieuse tradition.


Faut-il manquer d’humilité pour se persuader du fait que la France plane si haut au-dessus des autres nations qu’elle puisse avoir raison contre le monde entier, y compris contre Agatha Christie.

Et en réalité, le titre actuel ne trahit aucunement l’intrigue, le terme raciste ne revêtant aucun caractère fondamental dans la narration du roman. Et si l’on place d’un point de vue strictement littéraire, le titre And Then There Were None, tiré de la dernière phrase du livre, est bien plus poétique, mystérieux et en phase avec la nature du récit policier que celui qui avait été initialement adopté.

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