La sélection par le PPM de deux candidats non PPM en vue des prochaines élections sénatoriales de fin septembre 2001 (MM. Antiste et Larcher ) a suscité la grogne d’Edouard Delépine qui a dit tout ce qu’il pense de ce choix au cours d’une Itw par Gérard Dorwling-Carter parue dans Antilla. En fait, l’un des sélectionnés, Serge LArcher ne ne serait inscrit que tout dernièrement au PPM? Et, c’est là la cause de cette polémique Chauvet/Delépine…

DEUX MOTS À CAMILLE CHAUVET,
À PROPOS DE L’ADHÉSION DE RODOLPHE DÉSIRÉ AU PPM  EN AOÛT  1967

Mon cher Camille,
Je n’ai évidemment pas l’intention de répondre aux commentateurs anonymes. Les militants  progressistes ont autre chose à faire dans la situation actuelle. Mais un de nos jeunes élus, que j’estime, a repris, avec un mélange d’innocence et, me semble-t-il, d’inquiétude, un des arguments développés par un de ces commentateurs légers du Naïf que l’anonymat dispense de ce minimum de rigueur indispensable à un certain niveau du débat politique que  j’espérais autour de la lettre que j’ai adressée à la direction du Parti en juin dernier.
Pour ce commentateur, repris par ce jeune camarade, j’aurais moi-même implicitement et, selon lui, sans même m’en rendre compte, justifié a posteriori l’investiture de Larcher comme candidat du Parti  deux jours près son adhésion au Parti, en rappelant que Rodolphe Désiré avait été nommé Secrétaire Général du Parti au lendemain de son adhésion. Que cet argument vienne d’un jeune élu, il est vrai, lui aussi,  tardivement venu au Parti, peut se comprendre.

Que cela vienne de militants probablement mieux informés de l’histoire de ce parti me paraît lamentable et, avant de venir aux arguments qui me semblent devoir être pris en compte, bien au-delà et bien au-dessus de la personne de Rodolphe Désiré, pour la désignation de nos candidats – je prépare pour le CN une note beaucoup plus conséquente sur ce sujet – je veux juste rappeler deux ou trois choses que je ne suis certainement pas le seul  à connaître dans ce parti.

Rodolphe n’a pas adhéré au PPM à la veille d’une élection pour se faire élire, après avoir tenu à marquer et à garder ses distances avec le PPM pendant 23 ans, comme vient de le faire notre sénateur sortant. Il l’a fait au terme d’une longue réflexion de trois à quatre ans, dont 14 mois passés en prison, en un temps où le parti était relativement seul à gauche, déjà durement critiqué par cette gauche plus ultra qu’extrême, encore vagissante mais terriblement hargneuse  et, surtout, surtout, furieusement dénoncé par la droite comme l’instigateur de ce complot de carnaval.

Sur l’affaire de l’OJAM, pendant les trois ou quatre premiers mois qui ont suivi l’arrestation des premiers inculpés, le PPM était donc relativement isolé. Je rappelle qu’il n’y avait pas un seul militant du parti parmi les emprisonnés de l’OJAM en 1963. Il y avait à Fresnes 5 communistes : Guy Dufond, Hervé Florent , Gesner Mencé, Joseph René Corail, Roland Lordinot. Ils y ont même constitué une cellule, la cellule Julian Grimau.

Les autres  n’étaient affiliés à aucune organisation politique connue. Ceux que l’on désignait sous le nom de radicalisants, beaucoup plus forts à l’extérieur qu’à l’intérieur de la prison,  étaient plus proches des « Rastignacs piaffant  encadrés par des condottiere grisonnants » dénoncés par Césaire  dans un article célèbre « Le temps des tueurs » publié dans le Progressiste du 18 juillet 1963.

Je note en passant que, accompagné de l’un de ces Rastignac piaffant, un de ces condottieres grisonnants que le SERMAC a tenu à honorer  à l’occasion du 40e anniversaire du Festival culturel de Fort de France, a violemment  reproché à Rodolphe, d’avoir trahi l’OJAM, en adhérant à ce parti que méprisaient les « radicalisants ».
Rodolphe a été le seul  des emprisonnés de l’OJAM,  je répète le seul, à défendre pied à pied Césaire et le PPM, non seulement pendant qu’il était en prison, alors que le PPM paraissait singulièrement isolé et en tout cas incompris, mais entre sa libération en avril 1964 et son adhésion au Parti. C’est ce qui lui a valu l’amitié et la confiance de Césaire, du Dr Aliker et de Camille Darsières qui l’ont chargé de rédiger le rapport politique du IIIe Congrès (1967), le premier rapport qui ait abordé de front la question nationale dans notre pays et défini clairement le PPM comme un parti nationaliste.
Quiconque a lu ce rapport, l’un des quatre documents de base, rassemblés dans une brochure qu’on remettait solennellement autrefois aux nouveaux adhérents, au début des années 1980, sait que ce texte n’a pas pu être improvisé en un jour. J’ai su, longtemps après, que ce rapport avait été discuté pendant quatre longs mois, avant ce congrès d’août 1967.
J’ajoute que Rodolphe est l’un de ceux qui, depuis la prison, ont le plus contribué sinon à mettre un terme à la grande guerre de 7 ans (1956-1963) entre le PPM et le PCM, du moins à un cessez-le-feu ou à un armistice et à une détente prolongée entre communistes et progressistes, avec le Manifeste de la Table ronde pour l’autonomie, de décembre 1963, signé par 25  organisations de gauche des Antilles et de la Guyane.

Pour la petite histoire, je note qu’il est l’un des tout premiers PPM à avoir soutenu sans réserve la révolution cubaine avant et même après (hélas !) l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques en août 1968. Tu ne peux pas avoir oublié, toi, qu’il nous a accompagné plusieurs fois sur les pentes de ce qui nous tenait lieu de Sierra Maestra, la Sierra Nuestra, le Morne Gommier au Marin, pour commémorer l’anniversaire de l’assaut de Fidel Castro à la Moncada. Je me rappelle l’avoir passablement chambré quand il a fait construire en hommage au guerillero héroïque, une yole de course baptisée CHÉ, un hommage qu’aucun dirigeant communiste du PCM n’eût accepté de parrainer, avant la normalisation de la Cuba de Castro par les soviétiques en août 1968.

Last but not least, en cette circonstance, je te signale que Rodolphe Désiré aurait pu se faire élire dès 1970 s’il l’avait souhaité, n’importe où à Fort-de-France. Entre autres, chez toi, Bô Kan-nal ou à Terres-Sainville quand Césaire et le Dr Aliker ont décidé de se retirer du Conseil Général. Césaire lui demandait de lui succéder sur le canton  de Rive Droite que, pour des raisons politiques autant que pour des raisons de santé, il souhaitait laisser à un candidat plus jeune. Rodolphe a préféré laisser ce canton à un candidat foyalais, Arthur Régis, pour se lancer dans un travail plus ingrat, celui de l’implantation du Parti en dehors de Fort de France, dans cette Martinique rurale  où le parti avait quasiment disparu : au  Prêcheur d’abord dès 1959 avec Auguste Joyau, entre autres parce que le PPM avait préféré investir pour les sénatoriales Georges Marie-Anne, passé au RPR deux ans plus tard, plutôt que seul membre de la direction fédérale du PCF à avoir suivi Césaire en 1956,  puis en 1961 à Saint Joseph avec Émile Maurice, à  Sainte Anne avec Isambert Cléoron, à Bellefontaine  avec Ernest Renard, en 1961,  au Gros-Morne enfin, en 1967, avec la mort d’Aristide Maugée, le beau-frère de Césaire, premier maire progressiste de ce pays en dehors de Fort-de-France
Il fallait beaucoup d’audace et une inaltérable confiance en Césaire et en soi-même pour partir à la reconquête de la Martinique rurale, c’est-à-dire de la Martinique profonde,  par un Parti alors assiégé dans Fort de France par une droite qui n’avait jamais été aussi insolente parce qu’elle n’avait jamais aussi totalement bénéficié du soutien inconditionnel d’un pouvoir colonial arrogant, sûr de lui et dominateur.

Rodolphe aura mis 15 et 16 ans à conquérir le premier canton (1982) et la première commune progressistes (1983) de ce pays  en dehors de Fort-de-France et à relancer ainsi l’idée qu’il n’était pas seulement nécessaire mais indispensable et possible de sortir le PPM du ghetto de Fort-de-France. J’ai largement développé ce thème, dans un texte que tu connais, à l’occasion de la préparation du 30e anniversaire du Parti et un an plus tard en lançant notre campagne pour les municipales du Robert. Rodolphe a été l’inspirateur et l’organisateur de la contre-offensive du PPM en direction du monde rural. C’est ce qui en fait le meilleur connaisseur des besoins de nos communes et probablement le plus capable d’en faire le meilleur des élus possibles au Sénat.

C’est dire qu’il faut être singulièrement ignorant de l’histoire des années sombres du PPM (1961-1970), comme des besoins de la période actuelle, ou avoir un singulier mépris de cette histoire pour faire un rapprochement si distant qu’il puisse être entre les conditions d’adhésion de Rodolphe Désiré au Parti en août 1967 et celle du sénateur Larcher  en juillet 2011.
Édouard de Lépine
Le Robert 10/08/2011

[Ce qu’il est amusant de constater, c’est que les deux personnes les plus concernées par ce choix du PPM, à savoir MM. Rodolph Désiré et Serge Letchimy, se taisent…]

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