Après plusieurs mois de travail, la commission d’enquête sur le coût de la vie en Outre-mer vient de rendre ses conclusions et propose 68 pistes de solution. Les auditions furent nombreuses, et, pour la plupart, de grande qualité. Elles ont permis d’espérer que la question soit enfin abordée sous un angle pragmatique, et non sous l’angle idéologique qui prédominait jusque-là.

Ainsi, a-t-on pu comprendre les raisons objectives qui expliquent les écarts réels de prix entre l’hexagone et les Outre-mer, des écarts qui vont de 9% à 16% selon les territoires, et qui s’amplifient sur les produits alimentaires.

En voici les raisons principales :

  1. Nos territoires sont éloignés de leurs sources d’approvisionnement d’une part, et constituent des marchés de petite taille d’autre part ; un couple de handicaps qui rend difficiles les économies d’échelle et affaisse la compétitivité de la production locale.
  2. L’éloignement des sources d’approvisionnement impose des étapes logistiques nombreuses qui viennent grever le coût des marchandises importées : Acheminement d’un conteneur vide chez le fournisseur, empotage du conteneur, tractage routier du conteneur jusqu’au port de départ, grutage du conteneur sur le navire, transport sur 7.000 kilomètres de mer, tractage routier du conteneur vers l’entrepôt d’arrivée, dépotage du conteneur, livraison des marchandises en magasin… Autant d’étapes coûteuses qui, pour la plupart, n’existent pas en France continentale. Ce surcoût logistique propre à nos marchés n’est compensé par aucun dispositif de continuité territoriale, contrairement à la Corse.
  3. Le délai qu’impose ces étapes génère des coûts financiers liés à la mobilisation de trésorerie et aux contraintes spécifiques de stockage. Il génère également des pertes importantes de produits (avaries, casse, démarque, etc.), autant de frais qui se répercutent sur l’étiquette finale.
  4. Les frais d’approche sont forfaitaires. Il s’agit de coûts fixes au conteneur qui ne varient pas en fonction de la valeur de la marchandise transportée. Cette caractéristique est particulièrement pénalisante pour les produits à bas prix, et en particulier pour les produits alimentaires de première nécessité. Imaginons par exemple un conteneur d’eau dont les frais d’approche forfaitaires sont évalués à 5.000 €. Si la valeur de la marchandise (les bouteilles d’eau) est également de 5.000 €, les frais d’approche représenteront donc 100% de la valeur de l’eau ! Dans cet exemple, à peine arrivée en Martinique, l’eau importée est déjà deux fois plus chère que dans l’Hexagone, alors qu’aucun grossiste, ni aucun distributeur n’est encore intervenu.
  5. La fiscalité locale (octroi de mer) et nationale (TVA) pèse également sur le coût des marchandises, sans discernement particulier pour les produits de première nécessité

Je me rappelle être né (il n’y a pas si longtemps) dans une Martinique où les grandes surfaces alimentaires n’existaient pas encore. A cette époque, nous étions incapables d’acheter régulièrement du beurre, tant cette denrée coûtait cher. On se rabattait sur de la margarine. La viande du boucher n’était pas accessible au porte-monnaie ; on devait attendre que le cochon du voisin soit tué, qu’un bœuf du quartier soit dépecé, ou que les filets de pêche soient relevés. Nos en-cas se limitaient à un quignon de pain, souvent rassis, beurré de confiture, parfois fourré d’un bâton de caco. A cette époque, nos placards n’étaient pas garnis comme aujourd’hui de paquets de biscuits, de céréales de petit-déjeuner, de barres chocolatées, encore moins de Coca-Cola ou d’Orangina, qui étaient alors des boissons d’exception. La vie de mon enfance était bien plus chère qu’aujourd’hui. Elle offrait mille fois moins de choix que maintenant. C’était le temps des lolos, des marchés, des voisins et des jardins. Le temps de la sobriété naturelle. Je fais partie de ceux qui ont vu fleurir les premiers hypermarchés de Martinique, et je me réjouis du pouvoir d’achat qu’ils m’ont brusquement apporté.

En faire aujourd’hui les seuls boucs émissaires de la vie chère est non seulement injuste, mais malhonnête. Ils sont en vérité les premiers libérateurs des consommateurs, malgré parfois des effets pervers.

Mais ils contribuent aussi à nous frustrer en démultipliant nos envies, au point qu’on leur reproche maintenant d’être incapables de satisfaire tous les besoins qu’ils stimulent en nous. Ils rivalisent de promotions pour nous convaincre, de dépliants accrocheurs, de publicités agressives, car ils sont au cœur d’une compétition féroce.

Dès lors, lutter contre la vie chère en faisant rendre gorge aux acteurs de la grande distribution relève plus de la démagogie et de la bêtise économique, que du bon sens pragmatique. C’est un travers dans lequel ne doivent pas tomber nos parlementaires. Bloquer les prix et contraindre autoritairement les marges tout en augmentant massivement les salaires est à cet égard révélateur d’une absence complète de culture économique. C’est l’exemple même de la fausse bonne idée qui conduirait immanquablement à la faillite du système global de distribution. L’histoire ne manque pas d’exemples où ce type de recettes s’est toujours avéré désastreux !

Des solutions concrètes pour lutter contre la vie chère ont pourtant été proposées par de très nombreux intervenants lors de l’enquête parlementaire, notamment pour ce qui concerne le prix des marchandises.

  1. Développer la production locale, autour d’une marque fédérative et mobilisatrice : Cœur Martinique. Il s’agit de rendre ces produits plus compétitifs, notamment par des mécanismes de soutien publique.
  2. Développer la coopération régionale afin d’accroitre les échanges avec les pays voisins.
  3. Réhabiliter les tarifs export des fournisseurs extérieurs, dégrevés notamment des frais de promotion.
  4. Intégrer tous les acteurs de la chaine des prix dans les dispositifs BQP (Bouclier Qualité Prix), en particulier sur les produits de première nécessité : fournisseur, transporteur, transitaire, distributeurs, État, CTM…
  5. Mettre en place une péréquation des frais d’approche et de la fiscalité en faveur des produits de première nécessité.
  6. Créer si possible un dispositif de continuité territoriale afin de compenser les handicaps d’éloignement.

Mais la lutte contre la vie chère passe aussi par le redressement des revenus disponibles des consommateurs. Cette mesure pourrait se faire dans le cadre de la zone franche sociale portée par Max Orville et que les acteurs économiques locaux appellent de leurs vœux. Il s’agit très concrètement d’exonérer les salaires du secteur privé de toutes leurs charges sociales et patronales, afin que désormais le revenu brut soit égal au revenu net. Une mesure qui à elle-seule aurait plus d’impact positif que toutes celles du CIOM réunies !

Ce ne sont donc pas les idées qui manquent pour améliorer le pouvoir d’achat des populations d’Outre-mer. Des idées qui doivent mobiliser l’ensemble des acteurs qui participent à la longue chaine des prix : du fournisseur au distributeur en passant par le transporteur et le taxeur fiscal. De tous, sans exclusive.

Emmanuel de Reynal

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