PERSONNES PRIORITAIRES
Alors qu’Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un programme de 3e dose pour les plus âgés et les plus à risque, le directeur de l’OMS dénonce pour sa part le scandale de pays riches absorbant la production de vaccins pour des rappels quand des milliards de personnes ne sont pas encore vaccinées sur la planète. Au risque de provoquer un retour de boomerang avec l’émergence de variants ultra virulents dans les pays non vaccinés.

 

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine.

Atlantico : Plusieurs pays développés, dont la France, envisagent une troisième dose pour les personnes les plus fragiles. Que sait-on actuellement de l’importance de la troisième dose et de son efficacité ?

Antoine Flahault : La troisième dose de vaccin contre la Covid-19 est très importante pour certaines personnes fragiles souffrant de déficits immunitaires attestés par les médecins, par exemple des personnes ayant eu une transplantation rénale. Ce sont des indications assez rares et peu discutables. Les personnes très âgées, parce qu’elles souffrent souvent d’un certain degré d’immunosénescence (c’est-à-dire de perte d’immunité liée à leur âge) pourraient tirer un bénéfice individuel avec une troisième dose. Pour toutes les autres personnes, il n’y a pas suffisamment d’arguments aujourd’hui pour soutenir le bien fondé scientifique d’une troisième dose. Les vaccins actuels confèrent une immunité suffisante pour éviter à la plupart des personnes vaccinées des complications sévères d’une infection par le SARSCOV2 et ses variants.

Un certain nombre de pays n’ont pas commencé la vaccination. L’OMS ainsi que certains experts ont par le passé alerté sur le coût sanitaire et économique du nationalisme vaccinal. Le patron de l’OMS a même demandé un moratoire sur la dose de rappel. Quelles seraient les conséquences de ne pas vacciner le reste des pays touchés par le Covid ?

On a, en moins de 9 mois, réussi à administrer 4,32 milliards de doses de vaccins dans le monde, ce qui représente près de 30% de l’humanité ayant déjà reçu au moins une dose, mais seulement 1,1% de la population des pays pauvres ayant reçu au moins une dose. Il y a une disparité criante et même aussi choquante qu’imprévoyante de la part des pays riches vis-à-vis des plus pauvres de la planète. Il ne s’agit pas seulement d’une question éthique ou morale, mais aussi de notre propre sécurité : les pays riches ont tous intérêt à voir l’ensemble de la population mondiale vaccinée rapidement et entièrement. Si au cours des 9 prochains mois le monde distribue 5 milliards de doses supplémentaires, ne vaudrait-il pas mieux commencer par les distribuer à ceux qui n’en n’ont reçu aucune et qui les attendent dans les pays pauvres, plutôt que de distribuer une troisième dose à des personnes sans facteurs de risque des pays les plus riches de la planète alors qu’aucun argument scientifique n’en justifie l’administration ?

Est-il possible d’arbitrer entre ces deux options d’un point de vue sanitaire et économique ? Serait-il possible de concilier les deux approches plutôt que de les opposer ? Quels moyens faudrait-il mettre en œuvre pour le faire ?

Je pense tout d’abord qu’il ne faudrait pas délivrer de troisième dose sans solides arguments scientifiques pour le faire. Ensuite, je ne trouve pas acceptable que les arguments justifiant cette troisième dose viennent des fabricants eux-mêmes qui ont un conflit d’intérêt très clair à vouloir vendre leurs produits aux pays les plus solvables. C’est bien à l’OMS que revient ce type d’arbitrage et de recommandations. Tant que l’OMS reste opposée à cette troisième dose (chez les personnes sans facteurs de risque), les États membres de l’organisation onusienne devraient s’engager solennellement à suivre l’avis de l’OMS. Si des États décident malgré tout d’enfreindre ces recommandations, ils devraient à tout le moins manifester leur solidarité vis-à-vis des pays pauvres, en offrant au dispositif COVAX une dose à chaque dose distribuée dans leur propre pays. C’est en ayant l’œil rivé sur la couverture vaccinale de tous les pays de la planète et en parvenant à une couverture élevée universelle que l’on évitera l’émergence de nouveaux variants, dont certains finiront probablement par échapper à l’efficacité des vaccins et nécessiteront alors de nouvelles doses, voire de nouveaux vaccins pour l’humanité entière. Le plus tard sera le mieux.
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