Alors que l’Assemblée nationale examine le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, l’exécutif met en avant une réponse « sans précédent » à la crise traversée par le 101e département français. Porté par le ministre des Outre-mer Manuel Valls, ce texte s’inscrit dans la suite du cyclone Chido, six mois après une catastrophe qui a mis en lumière les fragilités structurelles de l’archipel. Pourtant, plusieurs voix s’élèvent, notamment du côté des intercommunalités locales et ultramarines, pour dénoncer une « loi de programmation sans programmation ». Ambition réelle ou promesse en trompe-l’œil ? À quelles conditions la refondation de Mayotte peut-elle réellement aboutir ? Éléments d’analyse et de questionnement.
Un engagement fort de l’État… sur le papier
« Avec ce projet de loi, l’État porte une ambition politique sans précédent pour Mayotte »,
déclarait le ministre des Outre-mer lors d’un point presse tenu à Paris ce 23 juin. Apès quatre déplacements dans l’archipel, Manuel Valls affirme une stratégie articulée autour de trois axes : l’urgence, la reconstruction et la refondation.
L’État met en avant un effort budgétaire global de plus de 3 milliards d’euros. Mais ces fonds correspondent-ils réellement aux besoins du territoire ? Une partie de ces crédits étaient-ils déjà engagés avant le cyclone ? Les 100 millions d’euros du fonds d’amorçage suffiront-ils pour enclencher une dynamique durable ?
Des élus locaux sceptiques sur les moyens et la méthode
Les présidents d’Intercommunalités de France, d’Interco’ Outre-mer et d’Interco 976 (Mayotte) saluent l’ambition présidentielle. Mais ils alertent sur une « contradiction majeure » : un texte sans ancrage réel dans les réalités locales, ni traduction financière crédible. Dans un communiqué commun, ils dénoncent un projet « déconnecté », marqué par un « silence assourdissant » face à leurs nombreuses contributions restées lettres mortes.
Comment expliquer ce décalage entre le discours national et les attentes des élus de terrain ? Le projet de loi est-il le fruit d’un dialogue réel ou d’un processus descendant ? Est-il encore possible d’en corriger les lacunes avant son adoption définitive ?
Une refondation sans programmation réelle ?
Le reproche central porte sur l’absence d’une programmation financière pluriannuelle claire. Selon les intercommunalités, les besoins de reconstruction des infrastructures de base (eau, déchets, habitat, voirie) s’élèveraient à 10 milliards d’euros. Or, aucune maquette budgétaire intégrant les fonds européens ou privés ne semble prévue. Le texte mentionne-t-il explicitement les mécanismes de financement permettant d’atteindre ces objectifs ? Quelle visibilité pour les collectivités, censées être les piliers de cette refondation ?
Une crise de confiance en germe ?
Le risque évoqué par les élus est celui d’un désengagement progressif de l’État, derrière l’effet d’annonce. Les promesses non tenues du passé ont laissé des traces à Mayotte. Le retard dans les remboursements des fonds d’urgence a déjà provoqué une crise de trésorerie dans certaines communes. Comment restaurer la confiance si les collectivités ne perçoivent pas les engagements budgétaires de l’État ? Faut-il craindre une nouvelle fracture entre Mayotte et la République, voire entre Mayotte et les autres Outre-mer ?
Des enjeux humains majeurs
Au-delà des chiffres, c’est la dignité même de la population mahoraise qui est en jeu. Le texte, selon les élus locaux, « laisse une part croissante de la population dans une situation indigne, bien en deçà des standards de la République ». Six mois après le cyclone, l’accès à l’eau potable, à un logement sécurisé et à des services publics reste problématique dans plusieurs zones.
Quelles garanties offre le texte en matière de résilience climatique et sociale ? Les Mahorais seront-ils mieux protégés face aux prochaines catastrophes ? Le texte permet-il réellement de sécuriser l’avenir, ou reporte-t-il encore les décisions structurantes ?
Quel avenir pour Mayotte ?
Au fil des déclarations officielles comme des critiques territoriales, une question revient : peut-on réellement « refonder » Mayotte sans les Mahorais ? La co-construction tant vantée a-t-elle été sincèrement menée ? Le débat parlementaire en cours tiendra-t-il compte de ces alertes ?
Derrière le projet de loi, c’est la crédibilité de la parole de l’État et la capacité de la République à bâtir une société inclusive et résiliente dans l’océan Indien qui sont en jeu. Le texte sera-t-il amendé ? Les territoires seront-ils écoutés ? Et surtout : la refondation de Mayotte ne risque-t-elle pas d’être, une fois de plus, une promesse non tenue ?