S’il fallait une énième preuve que la passion nourrit la détermination à concrétiser ses désirs et autres « rêves », Rénato François, jeune réalisateur martiniquais de films de « genre », serait l’incarnation de cette vérité factuelle. De quoi s’agit-il ? Rencontre inspirante.

D’où vient ta passion pour le cinéma en général ?, lançons-nous en préambule. « En tant qu’enfant unique et protégé par ses parents, mon meilleur ami c’était la télé », glisse Rénato François, qui à l’époque et via la petite lucarne, découvre alors le « monde des séries ». Son premier film vu au cinéma est « L’Ours », réalisé par le cinéaste français Jean-Jacques Annaud : « un grand choc, sur grand écran », résume ainsi notre interlocuteur. A cette époque Rénato François découvre aussi Mad Movies, historique magazine dédié aux cinémas fantastique et d’horreur, et son « petit frère » Impact, défunt magazine consacré aux cinémas d’action et policier. « A l’époque, fin des années 80-début des années 90, Mad Movies me parle de films que je ne connais pas et ne verrais presque jamais, parce qu’il n’y avait pas encore internet », se souvient le réalisateur, « il y avait uniquement les vidéos-clubs, mais qui proposaient plutôt des films grand public. Dans ces magazines les textes, les images et les affiches de films, dessinées pour la plupart, ouvraient mon imaginaire, c’est-à-dire me faisaient imaginer les films ; Mad Movies a été une ouverture supplémentaire sur mon imaginaire et m’a donné envie de voir des films. Et quand internet est ‘’arrivé’’, les choses sont devenues plus faciles (sourire). »

A l’époque je me suis dit ‘’on ne sait pas encore comment on va faire, mais on va le faire’’ »

Comment c’est fait ? Comment est-on arrivé à ce que l’on voit à l’écran ? Des interrogations fondamentales pour Rénato François, qui trouvera son bonheur dans les making-of proposés en bonus dans les DVD et autres Blu-ray. « Je trouve même que certains making-of sont parfois plus importants que les films parce qu’ils proposent une vie, une histoire et des réalités autres que le film présenté », indique le réalisateur, « les making-of expliquent et montrent pourquoi tel choix a été fait. » Au chapitre des expériences relatives au 7ème art, Rénato François a fait partie des chroniqueurs de l’historique émission de RCI (Radio Caraïbes International) consacrée au cinéma. « Une fois, après l’émission, on discutait avec d’autres chroniqueurs dans une ruelle », raconte notre interlocuteur, « et pendant qu’on échangeait j’imaginais l’histoire de deux types poursuivis par des zombies. Et j’ai raconté ça à ces amis, pensant qu’on aurait pu faire quelque chose d’intéressant. » Cette idée reste en l’état durant deux ans, jusqu’au décès, totalement inattendu donc particulièrement brutal, d’un ami de Rénato François. Une épreuve qui convainc notre interlocuteur de concrétiser cette histoire de zombies (« qui m’était restée dans un coin de la tête »). Et deux semaines plus tard, c’est aux côtés d’ami.e.s que le brainstorming relatif à cette histoire commence à « bouillir ». « A l’époque je me suis dit on ne sait pas encore comment on va faire, mais on va le faire », se souvient Rénato François. Interrogations inévitables : pourquoi ce goût des films dits de « genre » ? Pourquoi ton imaginaire est-il nourri par ces univers et esthétiques là ? « C’est difficile à dire », débute le réalisateur, « dans les films mettant en scène des morts-vivants par exemple, le danger vient bien sûr des zombies mais aussi, et de façon plus cachée, des personnages présentés dans ces films. Ces personnages qu’on pense être bons et positifs ne le sont finalement pas, et les morts-vivants ne sont pas si négatifs que ça ; leur état ne signifie pas la mort de leur humanité. » Et d’ajouter, dans le même souffle : « J’aime que la caméra bouge, qu’il y ait de l’action, des émotions. Et que les gens aiment ou n’aiment pas mon travail, c’est bien dans les deux cas parce que j’aurai suscité quelque chose en eux. Si on est indifférent à ce que je propose, je me dis que j’ai raté quelque chose ; l’indifférence c’est le pire des résultats. » Pawòl-la di.

Cette histoire de zombies attaquant un binôme se concrétisera en un court-métrage, intitulé ‘’The End’’ » 

Le Casting

Cette histoire de zombies attaquant un binôme se concrétisera en un court-métrage, intitulé « The End » (La Fin). Un projet finalisé au bout de deux ans, et dont l’écriture du scénario ainsi que la réalisation des maquillages (film d’horreur oblige) auront été rendues possible grâce à des tutoriels disponibles sur la plateforme YouTube : la débrouillardise faisant loi. En 2016, « The End » est d’ailleurs retenu au festival ‘’Prix de Court’’. « On n’a pas gagné mais le film a été vu sur grand écran aux Antilles-Guyane et était disponible en VOD (Vidéo à la demande) sur Canal +, partenaire du festival. » Un public qui, des mots du réalisateur, aura notamment apprécié les effets visuels de l’oeuvre. De la réalisation (et la multitude de composantes ce que cela implique) à la direction d’acteurs, Rénato François est aux manettes pour tout (sauf être devant la caméra), un individualisme sereinement assumé par lui car nourri de sa vision esthétique et artistique. Cinq ans après « The End » arrive une web-série, intitulée « Portrait de Famille ». Cinq années c’est assez long, non ? Passion pour la réalisation en berne ? Contraintes inhérentes à tes vies professionnelle et familiale, car tu n’es pas cinéaste de profession ? « C’est difficile à dire », répond Rénato François, « il y a eu certains éléments et la crise Covid, mais j’avais déjà un certain nombre d’idées et un jour tout s’est ‘’emboité’’, là je me suis dit que c’était le bon moment pour démarrer. » Donnant à voir un monde « post-apocalyptique » aux Antilles et décrivant une « quête de vengeance », l’aventure « Portrait de famille » a requis davantage d’acteurs-trices que « The End » et comporte des scènes, notamment d’action et en extérieur, ayant impliqué « une logistique tout à fait différente » que pour le court-métrage. C’est là une réalisation maîtrisée, portée par un très cinégénique noir et blanc.*

 

Quels que soient tes moyens, tu peux mettre en scène ton imagination » 

Autre interrogation : la réalisation de films étant généralement onéreuse, comment fais-tu d’un point de vue technique ? Notre interlocuteur de répondre qu’il a utilisé une caméra pour « The End », puis un appareil photo (« plus léger à manier et offrant plus d’amplitude de mouvements ») pour « Portrait de Famille », et même un smartphone pour l’épisode 5, en raison notamment d’un espace de tournage plus restreint. « Mais quels que soient tes moyens, tu peux mettre en scène ton imagination », nuance-t-il alors, « la technologie permet de faire mais il faut savoir t’adapter, parce que c’est ce que tu veux traduire et apporter aux spectateurs qui est important. » Passion coûteuse oblige, as-tu déjà sollicité des aides de collectivités publiques par exemple ? « Oui mais il existe plusieurs types de demande de subvention : pour l’aide à l’écriture du scénario, pour la production etc. », explique Rénato François, « mais tant que tu n’as pas de réponse pour l’aide au scénario, tu ne peux pas faire de demandes pour autre chose. Et dans la sphère administrative, ça prend parfois du temps. » Un réalisateur qui nous dira avoir reçu des koudmen de diverses natures de la part de proches pour « The End » (« sé grenn diri ka fè sak diri », glissera-t-il), et avoir lancé une « cagnotte Leetchi » (« qui a bien fonctionné ») pour la web-série.

Le personnage de Styx

Les difficultés liées à ta passion t’ont-elles fait abandonner l’idée – ou le rêve – de réaliser un long-métrage ‘’un jour’’ ? La réponse fuse. « Non, je suis toujours dans l’optique de concrétiser cette idée », assure Rénato François. Avant d’ajouter : « Et je ne parlerai pas de difficultés mais d’opportunités. Mon expérience sur ‘’The End’’ m’a notamment appris qu’il ne fallait jamais blâmer une contrariété (sourire) et ça s’est largement vérifié au cours du tournage. Parfois on ne comprend pas tout sur le moment, mais le temps vous montre que vous aviez raison de faire ou de ne pas faire. Donc il s’agit plutôt d’opportunités de faire mieux, de faire différemment, ou de ne pas faire. » Et le réalisateur de conclure par ce propos, à la fois imparable et confirmé par nombre de faits cinématographiques : « C’est ta détermination qui te fournit l’énergie de pouvoir faire. Tu peux avoir beaucoup d’argent, de gros moyens techniques et tous les acteurs que tu veux, si tu ne sais pas traduire ton idée tu ne le feras jamais. Si tu fais des angles de vue foireux avec une superbe caméra : hé bien ces angles de vue, même filmés via cette superbe caméra, resteront foireux de toute façon (sourire). » Imparable en effet.

Mike Irasque

 *Au moment de notre échange avec Rénato François, le septième épisode (ou « acte ») de « Portrait de Famille » était en finalisation de tournage. Les six précédents actes étant disponibles sur YouTube, Facebook et Instagram, laissez-vous donc tenter. (MI)                                                                                                                 

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