L’Agence Française de Développement (AFD) a récemment présenté la troisième édition de son « Observatoire des communes de Martinique », document dans lequel l’établissement s’est penché sur les résultats et comptes de nos communes en 2021. Nouveauté additionnelle cette année, l’analyse par l’AFD des résultats de nos trois EPCI* – Cacem, Espace Sud et Cap Nord – également en 2021. Les précisions de Nicolas Picchiottino, le directeur de l’AFD-Martinique.

Antilla : Que dire de la situation globale de nos communes sur l’année 2021 ?

Nicolas Picchiottino : Que la situation s’améliore mais reste préoccupante. C’est d’ailleurs l’essence du titre de cette publication, ‘’Poursuivons les efforts, le meilleur est à venir !’’. Des efforts ont été réalisés, c’est donc important de le souligner, mais la situation demeure préoccupante notamment du fait des charges de personnel(s), qui restent trop élevées et sont encore en augmentation, et du fait de la faiblesse des investissements. On a besoin de communes qui investissent : il faut donc qu’elles aient les capacités financières pour le faire.

Ce que vous venez d’indiquer concerne-t-il la majorité des communes de Martinique ?

Il y a un chiffre qui est positif et que nous observons beaucoup à l’AFD, c’est l’épargne nette, c’est-à-dire la capacité des communes d’investir en fonds propres. Et point extrêmement positif : en 2021 il y a 21 communes qui ont eu une épargne nette positive, contre 17 communes en 2020, donc plus de la moitié des 34 communes est en situation d’investir en fonds propres.

A quoi est due cette capacité d’investissement de certaines communes ? Quels facteurs et réalités expliquent cette capacité ?

Il y a d’abord le niveau des recettes. Et à ce titre il y a eu, pour toutes les communes du territoire, une croissance importance des recettes de fonctionnement, essentiellement liées à l’augmentation de l’octroi de mer. L’octroi de mer reste la première ressource des collectivités de Martinique ; et cet octroi ayant augmenté de quasiment 09% entre 2020 et 2021, les recettes de fonctionnement ont mécaniquement augmenté d’un peu plus de 05%. Mais il faut aussi une réduction, ou moindre augmentation, des dépenses de fonctionnement. Or nous avons constaté une augmentation de 04% des dépenses de fonctionnement, avec deux agrégats majeurs : les dépenses de personnel(s), qui n’augmentent que de 01% – ce qui reste trop – et les charges à caractère général, qui augmentent mais de façon raisonnée. Il y a donc une augmentation globale des dépenses de fonctionnement d’environ 04%, ce qui fait que la capacité d’investissement, l’épargne, augmente mécaniquement.

Concernant les dépenses de personnel rapportées par habitant, nous sommes à 972 euros par habitant à la Martinique » 

Le « poste » des dépenses de fonctionnement, notamment les charges de personnel, est donc globalement en augmentation pour toutes nos communes ?

Oui et j’insiste sur le fait que ces ratios sont extrêmement élevés : 65% des dépenses de fonctionnement sont consacrés aux dépenses de personnel(s). C’est trop, au niveau de la Martinique et de l’ensemble des DOM (Département d’Outre-Mer) : concernant les dépenses de personnel rapportées par habitant, nous sommes en effet à 972 euros par habitant à la Martinique ; le seul DOM au-dessus de nous c’est la Guadeloupe. Et ces dépenses faites pour les frais de personnels sont des dépenses qui ne seront pas faites pour les investissements au bénéfice de la population.

Les communes s’engagent-elles à essayer de réduire ce type de dépenses dans les conventions et autres documents contractuels qu’elles signent avec l’AFD ?

Bien sûr. Pour rappel nous travaillons avec 30 communes de Martinique sur 34, et quand nous leur prêtons de l’argent nous passons des conventions et elles s’engagent à une amélioration globale de leurs finances, dont l’un des points importants est la réduction des charges de personnel. Nous avons aussi la possibilité de faire venir des consultants, que nous payons intégralement, qui feront des diagnostics de la masse salariale, de l’évolution du personnel, et feront des recommandations vers cette baisse souhaitée. Il y a un point que je répète depuis mon entrée en fonctions en Martinique, et qui commence à percoler : nous souhaitons que les maires, quand il y a un départ à la retraite, se demandent s’ils doivent remplacer la personne ou non. Et j’ai l’impression qu’avant c’était un peu ‘’automatique’’. Plein de besoins doivent évidemment être remplacés, mais il y a des besoins qui ne peuvent pas l’être et des besoins qui peuvent évoluer. Par exemple, si une commune contractualise avec une entreprise pour l’entretien de ses espaces verts, il n’y aura plus de nécessité de remplacer des jardiniers car le service est externalisé. Mais d’autres besoins vont peut-être émerger car la commune réalisera des investissements : par exemple la rénovation de son stade, et dans ce cas-là la commune embauchera un agent technique qui sera affecté au stade. Cette prise de conscience que nous souhaitons se fait progressivement, il y a une amélioration : il faut donc que les communes n’hésitent pas à nous solliciter car nous avons beaucoup de moyens à leur disposition, pour les aider à réfléchir sur ce sujet.

Globalement ces trente communes partenaires contractuelles de l’AFD respectent-elles leurs engagements ?

Oui et c’est très positif pour l’AFD. Il peut y avoir quelques frictions vraiment à la marge, mais nous sommes très satisfaits. Ces communes sont tenues contractuellement : si elles ne respectent pas les trajectoires sur lesquelles elles sont engagées, nous ne pouvons plus les financer. Mais ça fonctionne plutôt bien, et il faut saluer la pédagogie des équipes de l’AFD pour expliquer tout le bien-fondé de la démarche.

Depuis 2014 la baisse globale de l’endettement des communes est continue » 

Comment qualifiez-vous la réalité globale de l’endettement de nos communes ? Stable ? Préoccupante ? En voie d’amélioration ?

Oui, en voie d’amélioration. La situation doit bien sûr s’apprécier commune par commune, mais depuis 2014 la baisse globale de l’endettement des communes est continue. Les ratios sont plutôt positifs et devraient permettre aux communes de pouvoir réemprunter si elles le souhaitent.

Certaines communes sont-elles toujours aussi « dynamiques » en demande(s) de subventions ?

Le taux de subventionnement des investissements est excellent, car se situant à un peu plus de 80%. Mais on constate, chaque année, que des dizaines de millions d’euros sont rendus aux services de l’Etat, à la CTM, à l’Europe, car il n’y a pas assez de projets. L’ensemble des subventions attribuées au territoire martiniquais n’est donc pas consommé. Et ça c’est dommage.

L’AFD a-t-elle prévu de contribuer à l’infléchissement de cette réalité ?

Oui, nous avons trois grands dispositifs pour essayer d’accélérer les investissements sur le territoire. D’abord notre mise à disposition de consultants, qui viennent aider les communes à définir leurs projets, à monter des plans de financement, à suivre les chantiers, etc. Et pour répondre à la problématique de trésorerie nous avons nos prêts de financement, où nous avançons des fonds à la commune. Je rappelle que les subventions ne sont réceptionnées que lorsque le service a été réalisé, donc nous avançons les fonds à la place de la commune. La remontée de factures étant très importante – il faut le faire pour toucher les subventions – donc à la mi-2022 nous avons lancé une expérimentation, un dispositif-pilote avec cinq communes et une task force (force d’intervention) de consultants, qui travaillent à mettre en place des outils permettant de mieux aider les communes à faire remonter leurs factures.

C’était important pour nous de porter à la connaissance des martiniquais que ces EPCI vont bien dans l’ensemble » 

La nouveauté de cette année est donc la présentation par l’AFD des résultats de nos trois EPCI : quelle est la « genèse » de cette nouveauté ?

On travaillait déjà avec les trois EPCI, qui sont nos partenaires depuis leur création et qui sont très importants pour l’ensemble du territoire eu égard aux compétences qu’ils portent. Les comptes de ces EPCI sont publics, mais c’était important pour nous de porter à la connaissance des martiniquais que ces EPCI vont bien dans l’ensemble. Leurs ratios financiers et recettes d’investissement sont bons, leurs dépenses de fonctionnement sont correctes, et leurs taux d’investissement sont bons. Nous étions donc contents de montrer qu’il y a des choses positives, notamment ces EPCI qui fonctionnent plutôt pas mal dans l’ensemble.

Les caractéristiques de nos communes et EPCI ne sont évidemment pas les mêmes, mais y-a-t-il des éléments d’explication quant à ces différences de résultats ?

Vous avez raison de souligner que nos communes et EPCI n’ont pas du tout les mêmes caractéristiques, notamment le poids des dépenses de personnel(s) qui n’est absolument pas le même. Le champ d’action des EPCI étant différent, leur structure organisationnelle et financière n’est pas la même et leur permet peut-être d’être un peu plus agiles que les communes.

L’analyse par l’AFD des résultats de nos EPCI sera donc poursuivie ?

Absolument. Nous avons rentré les données dans le modèle, donc cette nouveauté va perdurer (sourire).

Propos recueillis par Mike Irasque

*EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale.

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