Au cimetière Sao Francisco Xavier à Rio de Janeiro au Brésil, le 30 avril 2021. MAURO PIMENTEL / AFP

Par Stéphane Foucart pour Le Monde

La surmortalité réelle liée au nouveau coronavirus serait deux à trois fois supérieure aux chiffres fournis par les Etats, estime l’Organisation mondiale de la santé. Dans certains pays, l’espérance de vie pourrait perdre deux à trois ans.

Le bilan officiel mondial des dégâts sanitaires du Covid-19 sous-estime fortement la mortalité liée à la pandémie. C’est l’un des messages-clés du rapport publié, vendredi 21 mai, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : selon le service statistique de l’institution onusienne, la surmortalité réelle liée au nouveau coronavirus serait deux à trois fois supérieure aux chiffres agrégés fournis par ses Etats membres.

Début mai, le bilan officiel de la pandémie s’élevait à un peu plus de trois millions de morts dans le monde : ce sont donc en réalité, selon Samira Asma, sous-directrice générale chargée des données à l’OMS, « environ six millions à huit millions » de personnes qui ont déjà succombé au Covid-19 ou à ses effets collatéraux. Le choc sanitaire est plus fort qu’escompté. Dans certains pays parmi les moins avancés, l’espérance de vie pourrait perdre deux à trois ans, estime l’OMS.

Frappants, ces chiffres confortent d’autres analyses rendues publiques au cours des dernières semaines, à l’instar de celle de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) de l’université de Washington. Au 13 mai, l’IHME estimait à environ 7,1 millions de morts le bilan réel de la pandémie, depuis l’apparition du premier foyer de Covid-19, en décembre 2019 à Wuhan (Chine). De son côté, l’hebdomadaire britannique The Economist a conduit sa propre évaluation et estime qu’au 15 mai, la pandémie avait provoqué entre 7 millions et 13 millions de morts au niveau mondial.

La sous-estimation est massive

Toutes ces estimations reposent sur l’analyse de la mortalité en excès relevée depuis début 2020, par rapport aux niveaux moyens historiques récents, et non sur les seules notifications officielles de décès dus au Covid-19. Dans de nombreux pays, le système de santé n’est en effet pas suffisamment performant pour pouvoir attribuer une cause précise à chaque mort ; parfois les statistiques nationales sont simplement trop défaillantes pour discriminer les causes de décès.

« Il existe un manque important de données en Afrique, en Méditerranée orientale, en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique occidental, régions pour lesquelles un peu plus de 360 000 décès totaux par Covid-19 ont été signalés [pour l’année 2020], lit-on dans le rapport de l’OMS. Seuls seize des 106 Etats membres qui composent ces régions disposent de données suffisantes pour calculer empiriquement la surmortalité. » La sous-estimation est massive.

Même dans les pays riches, la réalité est souvent bien plus sévère que les bilans officiels. L’estimation est difficile : semaine après semaine, depuis début 2020, tous les excès de mortalité par rapport aux moyennes passées ne sont pas attribuables à la pandémie. Pis : dans une variété de situations, le Covid-19 fait baisser la mortalité due à certaines causes. Autant de « morts en moins » qu’il faut soustraire aux décès directement ou indirectement liés à la maladie, pour avoir l’estimation la plus précise des morts réellement attribuables à celle-ci.

Dans son calcul, l’IHME a considéré les grandes causes de mortalité influencée par la pandémie : les pertes de chances pour les autres malades qui n’ont pu être soignés d’une autre pathologie, l’augmentation des troubles liés à la santé mentale (alcoolisme, suicide, etc.), la diminution des morts par blessures (réduction de la mobilité et des transports, etc.), la baisse de la mortalité due à d’autres maladies (rougeole, grippe) qui ont moins circulé grâce aux mesures de contention de la pandémie, la réduction de la mortalité liée aux personnes fragiles qui décèdent du Covid-19 plutôt que d’une pathologie chronique dont ils souffrent.

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Limites méthodologiques

En étudiant finement, dans les pays et les zones disposant des meilleurs systèmes de surveillance sanitaire, les effets de la pandémie sur l’ensemble de ces facteurs, les chercheurs de l’IHME ont établi un ratio, région par région, entre les morts réellement attribuables au Covid-19 et ceux officiellement déclarés. En appliquant ces facteurs de transposition, les résultats sont parfois surprenants.

En arrêtant le bilan au 13 mai, les Etats-Unis sont le pays qui totalise le plus grand nombre de décès liés la maladie : environ 912 000 morts, contre seulement 578 000 officiellement déclarés. Ils sont suivis par l’Inde (736 000, contre 248 000 officiels), le Mexique (621 000 contre 423 000 officiels), le Brésil (617 000, et non 423 000), la Fédération de Russie (607 000 au lieu de 111 000), le Royaume-Uni (210 000 plutôt que 150 000), l’Iran (180 000 au lieu de 75 500). La France pointe à la quatorzième place (134 400 morts réels contre 106 900 officiels) mais peut s’enorgueillir de l’un des meilleurs systèmes de surveillance sanitaire, le fardeau réel de la maladie étant très proche du bilan officiel. Elle est suivie par l’Espagne (124 500 au lieu de 85 800) et l’Allemagne (123 000 contre 84 800).

Quant aux pays les plus durement frappés relativement à leur population, on les trouve majoritairement en Europe orientale. Parmi les vingt premiers pays de cette liste, dix-huit appartiennent à l’ancien bloc soviétique. Avec des sous-estimations parfois spectaculaires. Le premier, l’Azerbaïdjan, pointe à 672 morts du Covid-19 pour 100 000 habitants, contre 46,3 officiellement déclarés. Quatrième plus fort taux de mortalité réelle due au Covid-19, l’Albanie a enregistré quelque 530 morts pour 100 000 habitants en raison de la pandémie, contre un taux officiel de 88,5 pour 100 000. Soit six fois moins.

Les estimations de l’IHME seront intégrées au « Global Burden of Disease » (ou « Fardeau mondial des maladies »), publié chaque année par la revue The Lancet. Les travaux conduits par l’IHME jouissent d’une grande réputation dans la communauté scientifique compétente, mais n’en sont pas moins soumis à des limites méthodologiques.

Interrogations et doutes pour la Chine

L’épidémiologiste Philippe Ravaud (Centre d’épidémiologie clinique de l’Hôtel-Dieu) salue ainsi un « beau papier » mais il ajoute craindre que la situation ne soit « encore pire que ce qui est décrit, en raison de la non prise en compte des effets à long terme » de la maladie, comme le « Covid-19 long », ou les changements de comportement comme la baisse d’activité physique. De plus, rappelle M. Ravaud, « ce type d’analyse est dépendant de la qualité du reporting des décès dans les différents pays, reporting dont la qualité est très aléatoire car dépendant des systèmes d’informations existants, des définitions retenues, etc. »

L’un des points d’interrogation majeur, que ne peuvent lever les analyses de l’OMS ou de l’IHME, est celui relatif à la situation chinoise. Selon l’analyse de l’IHME, le nombre réel de morts dus au Covid-19 en Chine n’est pas très supérieur au bilan officiel déclaré par Pékin, soit un peu plus de 4 600 morts.

Et pour cause. « Les données de l’état civil chinois n’étant pas publiquement disponibles pour les années 2020 et 2021, explique Christopher Murray, le directeur de l’IHME, nos estimations pour la Chine sont basées sur le nombre de décès Covid officiellement déclarés et sur la relation entre la mortalité Covid-19 et la surmortalité, telle qu’elle a été observée ailleurs. » Tout repose donc, dans ce cas précis, sur les déclarations de Pékin. Or le bilan officiel de la maladie en Chine fait l’objet de doutes, certains chercheurs l’estimant très fortement sous-estimé.

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