« Prendre soin du vivant dans sa globalité est aujourd’hui l’approche juste et nécessaire pour améliorer la santé humaine », assurent les auteurs de cette tribune. Adeptes d’une nouvelle discipline — la « santé planétaire ».
Les autrices et auteurs de cette tribune sont l’Alliance santé planétaire, avec Alexandre Robert, infirmier, Alice Desbiolles, médecin, Alicia Pillot, médecin, Anneliese Depoux, docteure en sciences de la communication, Benoît Blaes, médecin, Denis Lemasson, médecin, Eva Kozub Decotte, médecin, Gaspard Prévot, médecin, Juliette Fernoux, médecin, Mélanie Popoff, médecin, Olwenn Martin, maîtresse de conférence en santé environnementale. Cette tribune est soutenue par Nicole de Paula, fondatrice de Women Leaders for Planetary Health et docteure en relations internationales à Sciences Po Paris.
Prendre soin du vivant non humain est nécessaire pour améliorer la santé humaine. Nos connaissances scientifiques médicales, renforcées par celles des écosystèmes, nous permettent aujourd’hui de l’affirmer. Ce constat a des conséquences épistémologiques, éthiques et médicales majeures, désormais prises en compte par une nouvelle discipline, la « santé planétaire ». Héritière des travaux de la biologiste marine Rachel Carson, autrice du célèbre Printemps silencieux (éd. Wild Project, réed. 2020) [1], et du médecin et biologiste américain René Dubos, cette approche a été mentionnée pour la première fois en 2014 dans la prestigieuse revue médicale The Lancet, à l’occasion de la parution du manifeste « De la santé publique à la santé planétaire ». Celui-ci appelait à une transformation urgente de nos valeurs et de nos pratiques fondée sur la reconnaissance de notre interdépendance avec la biosphère.
L’année suivante, cette même revue a publié un texte fondateur, « Préserver la santé humaine à l’époque de l’Anthropocène ». Il s’agissait cette fois de proposer une nouvelle approche holistique de la santé pour faire face aux effets du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité en mettant en avant des solutions fondées sur des preuves : par exemple, à travers la mise en place de systèmes alimentaires et agricoles résilients qui permettent à la fois de lutter contre la dénutrition et la surnutrition, de réduire les déchets, de diversifier les régimes alimentaires et de minimiser les dommages environnementaux. Les années suivantes ont été marquées par le lancement de la revue scientifique The Lancet Planetary Health et la création de la Planetary Health Alliance, à l’université de Harvard, aux États-Unis.
À lire aussi : Avec la crise de la biodiversité, on risque « une nouvelle pandémie tous les quinze ans »
Ce mouvement défend une recherche transdisciplinaire pour réaliser la transition écologique et diffuse ces nouvelles connaissances via l’accès libre à des programmes d’éducation et de formation dans les écoles et les universités. Il regroupe aujourd’hui plus de 250 organisations membres, installées dans plus de cinquante pays. Notre toute jeune association, fondée en janvier 2021, Alliance santé planétaire, marque l’émergence de la santé planétaire en France. De nombreux scientifiques et membres de la société civile sont en train de nous rejoindre afin de porter nos arguments communs dans l’espace scientifique et démocratique francophone.
Les politiques doivent collaborer avec les médecins, vétérinaires, géophysiciens, économistes, agriculteurs…
La santé planétaire se fixe une grande ambition : atteindre le plus haut degré de santé, de bien-être et d’équité possible dans le respect des limites planétaires, tout en tenant compte des enjeux économiques, politiques et sociaux. Au cœur de cette discipline : le travail transdisciplinaire, nécessaire pour analyser les systèmes complexes qui interagissent entre les changements environnementaux et la santé des espèces vivantes.
Concrètement, il s’agit de mettre au centre de nos pratiques une éthique nouvelle, visant à aligner toutes nos actions collectives sur la nécessité de prendre soin du vivant sur Terre. Et pour cela, nous devons passer d’une organisation sociale cloisonnée à une approche plus systémique et holistique, en favorisant la collaboration des décideurs politiques avec les scientifiques, les spécialistes en santé humaine et animale, les géophysiciens, les écologues, mais aussi les professionnels de l’urbanisme, de l’agriculture, de l’économie et des relations internationales. C’est déjà le cas du Centre des politiques de la terre, à Paris, créé à l’automne 2019 et né des travaux du philosophe des sciences et anthropologue Bruno Latour. Ce centre aborde les enjeux complexes de l’anthropocène, notamment « les effets grandissants des activités industrielles et agricoles sur les grands équilibres de la biosphère », comme le changement climatique et l’extinction de la biodiversité. Il met en œuvre la transdisciplinarité, en articulant les études scientifiques autour de problèmes transversaux comme l’action collective dans les « territoires en mouvement », ou les conséquences des catastrophes sur nos sociétés.
Réduire les émissions suivant l’Accord de Paris pourrait sauver un million de vies par an dans le monde d’ici à 2050.
Les données scientifiques, comme celles du Lancet Planetary Health, révèlent que les stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement global amélioreraient la santé et le bien-être des populations. La réduction des émissions de gaz à effet de serre fixée par l’Accord de Paris, en 2015, par exemple, pourrait sauver un million de vies par an dans le monde d’ici à 2050. Autre exemple, le développement d’une mobilité active et des transports en commun entraînerait une réduction de la pollution, mais aussi de la sédentarité, qui provoquerait à son tour la baisse des taux d’obésité et de diabète. La santé planétaire permet d’envisager ces spirales positives qualifiées de « cobénéfices santé-environnement » par les scientifiques et les professionnels de santé, et ce, dans tous les secteurs de nos vies.
La loi doit inscrire l’enseignement de la santé planétaire dès l’école primaire
Il est nécessaire que la loi inscrive désormais l’enseignement de la santé planétaire dès l’école primaire et la reconnaisse comme une des compétences obligatoires de tous les professionnels de santé. De plus, pour aider la recherche universitaire à sortir des silos disciplinaires, il faudrait soutenir financièrement davantage la collaboration transdisciplinaire.
Enfin, la santé planétaire défend la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques selon l’amélioration de la qualité de vie qu’elles permettent, en recherchant les cobénéfices santé-environnement. Les indicateurs de qualité de vie et de bien-être sont préférables à l’actuelle mesure de la croissance, basée purement sur des indicateurs économiques, comme le produit intérieur brut. Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a récemment donné l’exemple en associant, dans des objectifs ministériels, la diminution des gaz à effet de serre, la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la santé mentale et du bien-être.
Prendre soin du vivant dans sa globalité est aujourd’hui l’approche juste et nécessaire pour améliorer la santé humaine. Nous demandons donc des actions ambitieuses de politiques publiques à la hauteur des enjeux de santé planétaire. Une décision en faveur d’une agriculture plus respectueuse des limites planétaires, à travers la taxation accrue des activités polluantes et le subventionnement des pratiques favorisant la régénération des écosystèmes, serait notamment très importante pour la santé des générations actuelles et futures.