Les acteurs du monde de l’art se sont félicités d’une petite victoire politico-fiscale le 17 décembre dernier, jour de l’adoption définitive de la loi de finances 2023 : le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants, dont la fin était programmée au 31 décembre 2022, a été prorogé in extremis au 31 décembre 2025.

Un dispositif fiscal historique.

Le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants, consacré à l’article 238 bis AB du Code général des impôts (CGI), est une création de la loi historique du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, dite loi “Léotard“.

Loi fondatrice du socle de notre dispositif mécénat jalousé à l’international, elle fut enrichie notamment par les lois “Lang” du 4 juillet 1990 et “Aillagon” du 1er août 2003.

Parmi les leviers fiscaux du dispositif mécénat, le dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants trône en maître aux côtés des réductions d’impôts accordées en contrepartie des dons réalisés par des particuliers ou des entreprises au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général, prévues respectivement aux articles 200 et 238 bis du CGI.

Une déduction fiscale accordée aux entreprises se portant acquéreur d’œuvres d’art contemporain.

Ce dispositif, instauré pour « soutenir les artistes, faire entrer l’art dans les entreprises et faire connaître l’art au grand public » [1], permet à certaines entreprises qui acquièrent notamment des œuvres originales d’artistes vivants pour les exposer au public [2] de bénéficier d’une déduction fiscale correspondant au prix d’acquisition hors taxe de l’œuvre, auquel peuvent s’ajouter certains frais strictement accessoires à l’acquisition (transport de l’œuvre, par exemple). Cette déduction fiscale, étalée sur 5 ans par fractions égales (20% par an), est limitée à chaque exercice à 20.000 euros ou à 5‰ du chiffre d’affaires HT lorsque ce dernier montant est plus élevé.

Mais le bénéfice de cette déduction spéciale (et non réduction d’impôt) est soumis à certaines conditions strictes tenant notamment au régime fiscal de l’entreprise, à la nature des œuvres et à leur accessibilité au public.

Bénéfice du dispositif réservé à certaines formes de sociétés.

Ainsi, ce dispositif fiscal de soutien à l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants est réservé aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ou relevant du régime fiscal des sociétés de personnes.

En effet, le CGI subordonne le bénéfice du dispositif à l’inscription de l’œuvre à un compte actif immobilisé, ainsi qu’à l’inscription d’une somme égale à la déduction opérée sur un compte de réserve spéciale au passif du bilan de l’entreprise. Cette obligation exclut de facto les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (telles que les professionnels libéraux qui n’exercent pas sous la forme des sociétés précitées).

L’œuvre acquise doit être originale et réalisée par un artiste vivant.

Les œuvres acquises doivent être des œuvres d’art originales au sens de l’article 98A de l’annexe III du CGI (qui définit limitativement les œuvres d’art d’un point de vue fiscal) et réalisées par un artiste vivant au moment de l’achat de l’œuvre. A noter que la nationalité de l’artiste n’est pas un critère fiscal !

L’œuvre acquise doit être exposée dans un lieu accessible au public ou aux salariés

L’œuvre acquise doit nécessairement être exposée gratuitement, dans un lieu accessible au public ou aux salariés (dans le hall d’entrée de l’entreprise, ou dans une institution culturelle recevant l’œuvre en dépôt, par exemple) pendant une période continue de 5 années, et l’entreprise est tenue communiquer sur l’exposition.

Il s’agit là de la « contrepartie obligatoire de l’avantage fiscal accordé à l’entreprise par la collectivité » [3], cette déduction d’impôt étant destinée à contribuer à l’accès à la culture d’un large public, au-delà de bénéficier aux artistes contemporains et professionnels du marché de l’art.

Naturellement, si l’entreprise ne respecte pas les conditions posées par l’article 238 bis AB du CGI, l’avantage fiscal sera remis en cause et la somme déduite réintégrée au résultat imposable !

Un dispositif fiscal enterré par la loi de finances 2020.

Ce dispositif fiscal incitatif, largement utilisé par les entreprises et reconnu par les artistes et les acteurs du premier marché comme un dispositif efficace au soutien de l’activité économique de l’art contemporain [4], avait été enterré par la loi de finances 2020 « de façon à pouvoir en effectuer une évaluation complète et identifier d’éventuelles pistes d’évolution ».

Conséquence directe du rapport de la Cour des comptes de novembre 2018 sur le soutien public au mécénat des entreprises épinglant le coût fiscal et financier du dispositif mécénat, la « dépense fiscale croissante, à l’efficience mal évaluée et peu contrôlée » et un « soutien à mieux définir et à mieux encadrer » [5], la fin programmée du dispositif avait été fixée au 31 décembre 2022, au grand dam des instances représentatives des artistes et, plus largement, des acteurs du marché de l’art [6].

Ces instances représentatives ont déploré la suppression d’un dispositif efficace, qui entrainerait des « conséquences néfastes pour l’écosystème formé par les créateurs des arts graphiques et plastiques ainsi que les acteurs du marché de l’art – galeries, maisons de vente, foires et salons et collectionneurs » [7], dans un contexte économique particulièrement tendu.

Une prorogation in extremis du dispositif.

Cependant, grâce à l’intense lobbying des instances représentatives des artistes et des galeries d’art lors des débats sur le projet de loi de finances 2023, soutenues courageusement par les députés à l’origine d’un projet d’amendement de l’article 238 bis AB du CGI, le dispositif a heureusement été prorogé jusqu’au 31 décembre 2025.

Gageons que durant ce délai supplémentaire de 3 ans, les défenseurs de ce dispositif fiscal convaincront le législateur de son rapport favorable coût (3 millions d’euros par an estimés par les députés) / bénéfice (retombées économiques, sociales et culturelles), ce qui justifierait la pérennisation définitive du dispositif, voire l’élargissement de son périmètre d’application à toutes les entreprises… et aux particuliers ?

Tiphaine Aubry
Avocate au Barreau de Paris
Cabinet Loyseau de Grandmaison
www.cabinetldg.fr

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