Une sénatrice engagée pour la Réunion et les Outre-mer
“Les Outre-mer ne sont pas une chance pour la France, ils sont la France. Nous devons être traités avec égalité et intégrés pleinement aux politiques nationales.”
Depuis son élection au Sénat en 2023, Audrey Bélim incarne une nouvelle voix pour la Réunion et les Outre-mer en général. Juriste de formation, elle met son expertise au service d’une cause qui lui tient à cœur : la transparence économique et la justice sociale. Dans cet entretien, elle décrypte les problèmes de vie chère, les enjeux de gouvernance locale et sa vision du développement des Outre-mer.
Dernière minute….
ENCADREMENT DES LOYERS ET AMÉLIORATION DE L’HABITAT OUTRE-MER
Madame la Sénatrice, pouvez-vous nous parler des thèmes que vous défendrez demain 19 Février 2025, au Sénat ?
Oui. Je défendrai au Sénat la proposition de loi relative à l’encadrement des loyers et l’amélioration de l’habitat Outre-mer, que j’ai déposée.
Cette proposition de loi est composée de trois articles :
– Autoriser l’expérimentation de l’encadrement des loyers dans les Outre-mer dans les seules communes où les maires seront volontaires (pour mémoire, les Outre-mer n’avaient pas pu participer à l’expérimentation nationale car leurs spécificités ne correspondaient pas aux critères définis à l’échelle nationale, notamment concernant la taxe sur les logements vacants),
– Revoir la cartographie des quartiers prioritaires de la ville dans les Outre-mer. Suite à la réforme des critères QPV, en 2014, nous sommes passés de 330 à 218 QPV, avec une population concernée réduite de 30 % à 25 %. Plus grave encore, un plafonnement arbitraire limite désormais la population ultramarine à 10 % des quartiers prioritaires nationaux. Si le nombre de QPV a été porté à 247 au 1er janvier 2025, ce nombre est malheureusement encore loin du nombre de 330 QPV dans les Outre-mer qu’il y avait avant 2014.
– Créer des comités référentiel et qualité de la construction pour adapter les normes aux réalités locales et favoriser le développement de nos filières du BTP et de la construction. Selon le Livre Blanc de la Construction Durable Outre-mer, préfacé par la présidente de notre délégation Micheline Jacques, ces cellules ainsi qu’une instance Outre-mer de coordination permettraient de soutenir l’innovation dans chacun de nos territoires et d’enclencher une dynamique suite à la fin du marquage CE autorisée par le Parlement européen en avril 2024. Ce qu’a fait Mayotte avec la Brique de Terre Crue (BTC), technique locale utilisée pour construire le lycée des métiers, ou la Nouvelle-Calédonie, avec le Registre de la Construction de la Nouvelle-Calédonie, sont des modèles à suivre pour nos territoires.
J’espère vivement être soutenue par mes collègues sénateurs pour que ces articles soient adoptés. Je salue en tout cas l’inscription par le groupe PS de cette proposition de loi dès la niche du 5 mars. Pour une sénatrice qui vient d’être élue en 2023, c’est évidemment une marque de soutien importante tout comme la confirmation de l’attention portée aux Outre-mer par mes collègues sénateurs socialistes. Il serait souhaitable que les autres groupes politiques dédient eux aussi une journée de leurs niches parlementaires aux enjeux ultramarins.
Vous avez un parcours atypique. Comment êtes-vous entrée en politique ?
La politique n’était pas une vocation initiale pour moi. J’ai fait des études de droit, avec l’objectif de devenir notaire ou huissier de justice. Mais à mon retour à la Réunion après mes études, j’ai été confrontée à la réalité du marché du travail : il était difficile de trouver un emploi, malgré mes qualifications. J’ai alors travaillé dans divers domaines, notamment en tant que formatrice en secourisme, tout en m’impliquant dans la vie sociale et économique de mon île.
C’est par hasard que j’ai intégré le monde politique. Une députée de gauche cherchait une attachée parlementaire, et j’ai accepté ce poste, notamment pour défendre un sujet qui me tenait à cœur : la défiscalisation, essentielle pour notre économie locale. Rédiger des argumentaires et voir mes propositions reprises à l’Assemblée nationale m’a fait comprendre l’impact que l’on pouvait avoir en politique. Cela m’a donné envie de m’engager davantage. Progressivement, j’ai pris des responsabilités, intégré des équipes municipales et départementales, jusqu’à mon élection au Sénat.
Madame la Sénatrice, vous dénoncez souvent l’opacité dans la formation des prix en Outre-mer. Pourquoi est-ce un combat essentiel ?
Parce qu’il est aujourd’hui impossible de comprendre pourquoi les prix sont si élevés dans nos territoires. Nous avons des réalités économiques particulières : un éloignement géographique, une forte dépendance aux importations, mais est-ce que cela justifie des différences de prix parfois de 40 à 50 % par rapport à l’Hexagone ? Je demande la transparence totale sur la formation des prix, depuis l’exportation du produit jusqu’à son arrivée en rayon. On ne peut plus se contenter d’explications floues ou de décisions prises sans rendre de comptes.
Pensez-vous que la vie chère est un frein à l’économie locale ?
Bien sûr. Si la vie est trop chère, cela signifie moins de pouvoir d’achat pour les familles, donc moins de consommation, et in fine un cercle vicieux qui pénalise toute l’économie locale. Aujourd’hui, beaucoup de produits alimentaires et manufacturés sont inaccessibles pour une partie de la population. Pourtant, certaines enseignes, comme Celio, parviennent à proposer des prix identiques à ceux de l’Hexagone. Pourquoi ce n’est pas le cas pour l’alimentation ? C’est une question à laquelle personne ne veut vraiment répondre.
L’octroi de mer est souvent pointé du doigt. Quel est votre point de vue ?
L’octroi de mer est une taxe ancienne qui finance en partie nos collectivités, mais ce n’est pas la seule raison des prix élevés. Il y a des produits sans octroi de mer dont les prix augmentent tout de même. Nous devons repenser cette taxe, voir comment elle pourrait être mieux utilisée sans peser excessivement sur les consommateurs.
Quel regard portez-vous sur le développement économique de la Réunion ?
Nous avons un potentiel énorme, mais nous restons enfermés dans un modèle économique dépendant des subventions et des importations. Pourtant, des secteurs comme l’agriculture locale, la production d’énergies renouvelables et le tourisme durable pourraient être développés pour renforcer notre autonomie économique. Encourager la transformation sur place des produits agricoles, investir dans des infrastructures permettant une meilleure exploitation des ressources naturelles et valoriser les savoir-faire locaux sont des pistes concrètes pour sortir de cette dépendance. Pourquoi ne pas investir davantage dans la production locale ? Pourquoi ne pas inciter à la transformation sur place, créant ainsi de l’emploi et de la richesse pour les Réunionnais ? Nous avons le savoir-faire, les talents, il manque juste la volonté et les investissements stratégiques.
“La Réunion doit cesser d’être perçue comme un territoire périphérique et devenir un véritable hub économique et culturel dans l’océan Indien.”
Le chômage est un autre défi majeur pour La Réunion. Quelles pistes proposez-vous pour lutter contre ce fléau ?
Le chômage est particulièrement élevé chez les jeunes. Beaucoup quittent l’île faute d’opportunités, ce qui affaiblit notre économie locale. Nous devons inverser cette tendance en valorisant les compétences réunionnaises.
Les entreprises implantées localement doivent être incitées à recruter des Réunionnais. Cela peut se faire à travers des dispositifs fiscaux ou des clauses spécifiques dans les marchés publics. Par ailleurs, nous devons développer des filières de formation adaptées aux besoins du marché, notamment dans des secteurs comme les énergies renouvelables, l’économie circulaire, et le numérique.
Enfin, l’entrepreneuriat local est une piste essentielle. Beaucoup de jeunes ont des idées mais manquent de moyens pour les concrétiser. Un soutien accru, sous forme de financements ou d’accompagnements, est nécessaire pour libérer leur potentiel.
Vous êtes également très impliquée sur la question du logement. Quelle est votre vision pour ce secteur ?
La crise du logement à La Réunion est alarmante. Avec près de 50 000 demandes actives de logements sociaux et seulement 5 000 attributions par an, le décalage est énorme.
Il faut accélérer la production de logements, mais cela passe par une simplification des démarches administratives et une meilleure gestion des chantiers. Le développement de logements intermédiaires peut également répondre aux besoins des classes moyennes, souvent exclues du parc social et du marché privé.
Je tiens aussi à souligner l’importance de la réhabilitation. Beaucoup de logements anciens doivent être modernisés pour répondre aux besoins des familles et aux enjeux climatiques, notamment face aux cyclones.
“Il est temps d’abandonner les discours symboliques et d’apporter des solutions concrètes pour répondre aux défis économiques et sociaux des Outre-mer.”

Vous critiquez souvent le discours gouvernemental sur les Outre-mer. Pourquoi cela vous dérange-t-il ?
Cette idée que « les Outre-mer sont une chance pour la France » me dérange profondément. Elle laisse entendre que nous sommes une entité extérieure, un simple atout parmi d’autres. Or, ce n’est pas le cas : nous ne sommes pas une chance, nous sommes la France.
Cette distinction contribue à nous enfermer dans une vision réductrice, où nos spécificités sont perçues comme des particularités isolées plutôt que comme des composantes essentielles du territoire national. Ce que je défends, c’est une approche globale où nos besoins, nos réalités économiques et nos potentiels sont pleinement intégrés aux politiques publiques, au même titre que ceux des autres régions françaises.
De plus, il est impératif de renforcer notre coopération régionale. La Réunion, par sa position stratégique dans l’océan Indien, peut devenir un véritable hub économique et culturel en développant davantage ses échanges avec Maurice, Madagascar et les Seychelles. Un exemple concret de cette dynamique est le programme d’autonomie énergétique mis en place à La Réunion. Il vise à réduire notre dépendance aux énergies fossiles en favorisant les énergies renouvelables locales. Ce type d’initiative prouve qu’une politique adaptée aux réalités ultramarines peut avoir un impact concret et durable.
“La jeunesse des Outre-mer est une richesse, mais pour qu’elle devienne une force, il faut lui donner les moyens de réussir en investissant dans l’éducation, la formation et l’entrepreneuriat local.”

Vous parlez beaucoup de la jeunesse et de l’éducation. Quels sont vos engagements dans ce domaine ?
La jeunesse réunionnaise est une richesse. Mais pour qu’elle devienne une force, il faut lui donner les moyens de réussir. Je soutiens des initiatives comme la gratuité de la cantine ou les bourses de mobilité pour permettre à plus de jeunes de partir se former ailleurs.
Cependant, j’observe aussi un changement chez les jeunes. Beaucoup sont moins centrés sur la réussite matérielle que sur le bien-être et l’équilibre. Nous devons accompagner cette évolution en valorisant des projets qui allient épanouissement personnel et contribution au territoire.
Quel est votre principal objectif en tant que sénatrice ?
Défendre les intérêts des Réunionnais avec fermeté et transparence. Il faut que les citoyens comprennent ce qui se passe et puissent exiger des comptes de leurs élus et des grandes entreprises. Je veux travailler sur des mesures concrètes pour réduire le coût de la vie et favoriser l’emploi local. Cela passe par des initiatives comme le soutien aux circuits courts pour réduire les frais d’importation, le développement d’aides aux petites entreprises locales et la mise en place d’une fiscalité plus adaptée pour les entrepreneurs ultramarins.
Un dernier mot ?
Il est temps que nous cessions d’être spectateurs de notre propre économie. Nous devons agir, exiger plus de justice économique, et construire un avenir où nos territoires ne seront plus considérés comme de simples marchés captifs, mais comme des espaces de production et d’innovation. C’est notre droit, et c’est le combat que je mène chaque jour au Sénat.
Propos recueillis par Philippe Pied