Qu’est-ce qu’un Commissionnaire en transport plus communément appelé Transitaire ? Quelles sont ses activités précises ? Quel est son rôle dans la « fameuse » chaine d’approvisionnement des marchandises ? Autant d’interrogations qui résonnent, de façon récurrente, dans notre espace public et médiatique. Et autant d’imprécisions à déconstruire. L’éclairage dans ces lignes de Jean-Claude Florentiny, Président du Syndicat des Commissionnaires en Douane et Transitaires de la Martinique et Conseiller du Commerce Extérieur de France

Jean-Claude Florentiny, Président du Syndicat des Commissionnaires en Douane et Transitaires de la Martinique et Conseiller du Commerce Extérieur de France

 Antilla : Comment pourriez-vous présenter, dans les grandes lignes l’activité du transitaire ?

Jean-Claude Florentiny :

Notre rôle est essentiel dans la chaîne d’approvisionnement, facilitateur du commerce international et véritable tour de contrôle qui fait l’interface avec les acteurs, nos missions sont très diversifiées. C’est-à-dire que nous prenons en charge une marchandise d’un ‘’point A’’ à un ‘’point B’’, et nous organisons les transports pour le compte de nos clients industriels, grossistes/distributeurs, commerçants ou particuliers en ayant recours aux compagnies maritimes et aériennes. Nous intervenons sur toute la chaîne d’approvisionnement :

-organiser les enlèvements – stocker – expédier – coordonner tous les acteurs tels que les compagnies maritimes, aériennes, les transporteurs, logisticiens, les compagnies d’assurance.

Sans oublier l’aspect déclaratif auprès de l’administration des douanes qui engage toute notre responsabilité en tant que Représentant en Douane Enregistré. Ce qui nous expose d’un point de vue financier et nécessite une haute maîtrise des aspects logistiques, juridiques et des régimes douaniers.

C’est donc un prestataire global qui gère l’ensemble de la chaîne sur tous points d’origine : Europe, Asie, Amérique du nord, Afrique, etc.

Même si les types de prestations assurées par les transitaires sont étendues, y-a-t-il tout de même quelques dominantes ?

Nous sommes sur une dominante d’importation sur nos destinations, il y a relativement peu d’export hormis la banane, le rhum, et les déchets de matières (cartons, plastiques, etc ) ; l’import c’est 90% des flux dont plus de 80 %  en provenance d’Europe, ce qui malheureusement ne tend pas à changer et évoluer. Et nous traitons tous types et natures de marchandises à l’importation.

Nous sommes donc des généralistes ; le marché est de toute façon trop petit pour se spécialiser.

Les transports internationaux sont, de plus en plus, un enjeu majeur pour nos sociétés »  

Vous êtes le président du Syndicat des Commissionnaires en Douanes et Transitaires de Martinique : quelles sont ses missions ?

J’assure la présidence de ce syndicat depuis bientôt 10 ans, notre syndicat à plus de 70 ans d’existence et compte actuellement 15 entreprises adhérentes sur 20 en activité. La mission est de préserver les intérêts des membres du syndicat, c’est-à-dire tout ce qui a trait aux questions réglementaires, aux relations avec la Douane, avec les compagnies maritimes et aériennes, le Grand Port Maritime, avec la CTM et l’Etat, nous organisons également des sessions de formations à l’attention des salariés des entreprises adhérentes . Notre syndicat est membre de TLF, Transport et Logistique de France, qui est l’organisation de référence au niveau national. En ce moment nous avons une actualité très chargée, avec ‘’l’après-Covid’’ et les problématiques liées à la guerre en Ukraine. Notre appartenance au réseau TLF nous permet de toujours rester informés et d’échanger régulièrement avec les Autorités, Direction Générale des Douanes, Direction Générale des Finances Publiques entre autres.

Quel est le contexte actuel d’après-Covid dans votre secteur ?

Aujourd’hui, la situation évolue très vite, sur les grandes «routes maritimes» les choses s’équilibrent mais avec maintenant une demande mondiale qui s’écroule..,. Nous assistons à un renversement de tendance, après une sous capacité des moyens nous assistons maintenant à une surcapacité.., cette tension est toujours liée à l’après Covid : au départ d’Asie, la situation des ports s’est beaucoup améliorée et nous assistons à une baisse des taux entre l’Asie et l’Europe ce qui n’était pas le cas au premier semestre 2022 avec des tarifs délirants.. et une congestion sur certains ports qui rendent toujours les réservations difficiles.

L’enjeu des compagnies maritimes se situe au niveau de la rotation des conteneurs qui n’est pas suffisante à l’échelle mondiale il existe une vraie problématique dans la gestion des conteneurs vides qui s’entassent sur les ports. Les flux de l’Asie et des USA ont monopolisé un nombre important de boites, et les conteneurs ne sont pas revenus aux lieux de production, un vrai casse-tête pour les compagnies maritimes. Et l’Europe étant impactée par ces réalités, nous le sommes aussi chez nous mais avec des effets moindres.

A contrario sur la ligne Europe / Antilles la situation est très différente nous n’avons pas connu de violents soubresauts tarifaires comme sur les axes Asie/Europe ou Asie/Transpacifique.

Les transports internationaux sont un enjeu majeur pour nos entreprises, le Covid a été un révélateur exceptionnel de cette réalité et fait voler en éclat les cycles traditionnels du transport maritime conteneurisé. La période Covid nous a mis au premier plan des préoccupations des acteurs économiques quand il a fallu trouver des solutions logistiques et d’approvisionnement pour les importations et exportations (transferts d’entrepôts et/ou changement de port d’embarquement…).

Faire face à cette crise logistique sans précédent nous oblige à faire preuve d’agilité et d’anticipation et d’écoute auprès de nos clients chargeurs surtout à cette période sensible qui correspond à notre peak season.

A ceci vient s’ajoute une spéculation sur les matières premières, alimentaires et industrielles, conjuguée au choc énergétique qui engendre une inflation des cours des matières premières, alimentaires et industrielles ; ce qui perturbe toute la chaîne d’approvisionnement et nos clients chargeurs.

Quel impact sur votre profession à attendre suite à la décision de baisser les taux de fret de la CMACGM ?

Il faut saluer l’initiative forte de la CMACGM pour l’ensemble des chargeurs/importateurs sur notre économie puisqu’il s’agit d’un effort de 750 € le conteneur 40’ et 375 € le conteneur 20’. A pondérer tout de même puisque parallèlement le cours de la BAF (taxe carburant décorrellée du prix du transport) vient d’être augmenté depuis le 1er octobre ce qui limite la portée de cette baisse du fret maritime sur nos territoires. Je précise également que cette baisse générale ne concerne pas toutes les compagnies maritimes qui desservent la Martinique, la compagnie Marfret a annoncé une baisse prochaine sur notre axe ce qui nous satisfait, Seatrade n’a pas suivi ce mouvement.

Les activités des transitaires font-elles l’objet de fausses représentations dans le « grand public » ? Si oui, en avez-vous un exemple ?

Le client – importateur ou chargeur – nous confie sa marchandise. Et c’est à nous de trouver les voies adaptées, maritimes ou aériennes. Mais nous ne transportons pas. Car nous avons été, à tort, accusés de participer à l’impact sur la vie chère. Quand on parle de transporteurs il s’agit des compagnies maritimes, pas des transitaires !. Nous achetons la capacité et le transport du conteneur aux compagnies maritimes, et ensuite nous refacturons au client et répercutons également la baisse octroyée aux importateurs (baisse pouvoir d’achat). Idem pour la douane, donc l’octroi de mer, les droits additionnels et les débarquements font partie intégrante de notre facture. D’ailleurs la facture d’un transitaire c’est 98% de débours, c’est-à-dire de frais qui ont été avancés pour le client (et qu’il devra donc rembourser, ndr). C’est important de souligner cela, sinon on alimente les imprécisions. Ces débours étant donc le frais de passage, débarquement, les droits et taxes, le transport maritime et aérien.

Y-a-t-il une problématique majeure qui préoccupe les transitaires ? Un risque pour lequel vous devez être particulièrement vigilants ?

Notre vigilance se situe à plusieurs niveaux, en premier lieu au niveau de l’offre maritime actuelle, la décision de la compagnie MAERSK de se retirer de notre destination est une très mauvaise nouvelle pour les chargeurs et pour le marché nous allons assister à une concentration ce qui n’est jamais bon.

Il y a aussi une volonté stratégique des grandes compagnies maritimes (MSC/MAERSK/CMACGM) de maitriser toute la chaine d’approvisionnement en intégrant dans leur offre des prestations de bout en bout ce qui constitue un point de vigilance au niveau de notre profession.

Par ailleurs nous assistons à une poussée inflationniste violente sur l’énergie, les matières premières, et les produits agricoles entre autres. Vous savez, ce n’est pas parce que la Martinique est un territoire français qu’elle est hors du champ de l’internationalisation et de la mondialisation des échanges. Car les flux peuvent être en provenance de France, mais être d’origine étrangère on le voit avec le e.commerce…

Nous avons besoin qu’il y ait de nouvelles routes maritimes, notamment intra-caribéennes » 

Existe-t-il une forme de collaboration entre les transitaires et les décideurs de notre collectivité majeure à savoir la CTM ?

C’est ponctuel. J’ai été sollicité par le Président de l’Exécutif de la CTM Serge Letchimy, concernant les travaux et réflexions en cours sur les prix en Martinique et plus largement sur les thématiques de transport. Notre syndicat participe aux commissions sur les différentiels de prix/BQP+ organisées par  la CTM et la Préfecture, c’est un positionnement de conseil(s), sur l’articulation d’une chaîne d’approvisionnement sur nos territoires, sujet très méconnu du monde politique en général. Nous avons sollicité la CTM afin d’intégrer la commission Adhoc de l’octroi de mer mais toujours rien à ce jour or notre syndicat se sent légitime sur les questions liées à l’octroi de mer que nous collectons à 85 % au profit de la Douane qui ensuite le reverse à la CTM.

Précisément et pour conclure, qu’entend-t-on dans le détail par chaîne d’approvisionnement ?

C’est le «système sanguin de l’économie », avec des maillons qui composent cette chaîne : le transport terrestre, les services achats, la douane, les transitaires, les chargeurs import et export, le transport maritime et aérien, le Grand Port Maritime et Aéroport Aimé Césaire, les manutentionnaires, et tout cela dans un contexte de développement de la digitalisation poussée. J’ajoute que notre syndicat fait partie du ‘’conseil de développement’’ du Grand Port et que nous avons besoin, comme le demande le marché, qu’il y ait de nouvelles routes maritimes, notamment intra-caribéennes ainsi que des connexions maritimes notamment avec le continent africain qui constitue un circuit court avec la Caraibe. Plus on pourra développer les échanges « rapprocher les continents » avec la Caraibe, mieux ce sera pour nos économies. Idem pour les lignes aériennes : plus on en aura et plus on pourra transporter en approche multi-destinations et multi-origines.                                                                                  

Propos recueillis par Mike Irasque

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version