J’ai découvert avec stupéfaction la tribune de monsieur Erick Dédé ancien président de Tous Créoles – qu’elle soit en français et en créole ne change rien aux faits -. Qu’on soit bien d’accord. Chacun a le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer dans une démocratie. Et tout point de vue est légitimé dès lors qu’il enrichit le débat et qu’il ne trompe pas une deuxième fois son interlocuteur.

En effet, comment peut-on imaginer de dire que Serge LETCHIMY et notre représentation politique locale ne peuvent se tromper ? Sur quoi repose cette affirmation sinon sur une adoration aveugle en nos politiques locaux. Ce manque de discernement et de justification autre qu’affective suffirait à discréditer les propos de notre ami Dédé. Mais le pire est qu’Erick Dédé nous ressert un migan froid. A-t-il bien compris que la constitution française reconnaît les langues régionales ? Mais qu’il ne saurait y avoir constitutionnellement qu’une langue nationale ?

Rien n’empêche, heureusement, tout individu de pouvoir apprendre ce qu’il veut. Et sur ce plan, force est pour l’enseignant que je suis de toute mon âme, de constater que nous sommes mauvais sur le plan de l’éducation certes, mais encore plus sur le nombre de langues réellement disponibles pour nos enfants en Martinique. L’italien n’existe plus quasiment, l’allemand est moribond, seuls règnent l’anglais et l’espagnol. Au lycée Van Vollenhoven de Dakar et de ma jeunesse, on y enseignait l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, le russe et l’arabe dialectal et littéraire. Quant au latin ou le grec, ces langues anciennes sont abandonnées pour le grec et quasiment pour le latin. On méconnait, au profit de l’utilitaire matériel, l’intérêt sur le développement de l’esprit par la gymnastique difficile qu’imposent certaines langues dans leur apprentissage mais aussi par l’ouverture d’horizons inconnus quant aux parentés et filiations des langues entre elles. Dès lors, c’est une forme de culture élargie qui se présente à nous. J’ajouterai qu’étant de fait des iliens nous sommes voués à arpenter le monde extérieur, plus vaste, à même le faire nôtre. Comment est-ce possible sans langues étrangères ? Comment est-ce possible sans la connaissance de la culture des autres que la littérature en langue étrangère nous procure. On comprend pourquoi nous devenons si pauvres dans les apprentissages de nos élèves et que le niveau soit si bas !

Force est aussi de remarquer que mes anciens camarades de ce lycée maîtrisent évidemment le Wolof ou toute langue dialectale mais ils maîtrisent tous admirablement le français… et l’anglais pour la plupart. C’est par le français qu’ils sont devenus pour certains, experts internationaux comme ce fils d’un brillant cuisinier de Sébikhotane. Jamais il n’a été question au Sénégal ou en Côte d’Ivoire de faire d’une quelconque langue ou dialecte régional une langue officielle. Et faut-il rappeler que c’est le français qui a fait de Senghor et Césaire des poètes mondialement connus.

Notre ami sans doute méconnaît – d’ailleurs sans doute aveuglé par l’expression « Tous Créoles » qui évoque l’appartenance à une aire géographique voire à une culture plus spécifique -, l’opinion de Césaire sur la langue créole dont il dit très crûment que cette langue est trop pauvre pour pouvoir le satisfaire dans la recherche poétique et linguistique au cœur de ses œuvres.

Mais comment peut-on parler d’évidence lorsque l’on argumente ? Surtout pour définir un mode de pensée et d’expression ? Non, nous n’avons donc pas la même rigueur intellectuelle et la même considération de nos interlocuteurs.

« Parions que nos grands écrivains » …Non ! Je ne parie pas. Ce qui fait d’un écrivain sa grandeur c’est un mélange de bien des choses. La langue de nos écrivains créoles a apporté un sang neuf à la littérature française. Pourquoi ? Sans doute avant tout parce que le créole était une langue dont la source était populaire et d’un imaginaire naïf, revivifiant. La biguine où s’exprime un homme qui a une voiture neuve et corne toutes les femmes qui le cornaient nous renvoie par la corne à une expression plus française que le klaxon anglophone. Or, justement, nous sommes nombreux à nous apercevoir d’un affadissement du créole depuis qu’on a prétendu le codifier. Ce qui faisait sa richesse, comme l’anglais, c’était cette liberté. En voulant lui donner des lettres de noblesse et élever ces chercheurs qui travaillaient à donner à la langue créole la dimension d’une langue, on l’a tué et réduit à l’état de langue morte.

La où nous pouvons être d’accord, c’est dans la notion que plus on parle de langue, mieux c’est. Une langue est une gymnastique intellectuelle d’abord, un apprentissage de mémoire de plus en plus facile plus on en apprend. Mais c’est intellectuellement aussi une ouverture aux autres pratiques, aux autres modes de pensées et donc à la tolérance et à la compréhension de l’autre. Toute culture est un moyen de s’intégrer dans un monde qui diffère des autres. La mondialisation réduira inéluctablement le nombre de langues en usage et les différences culturelles. C’est pourquoi nous devons protéger toutes les langues pour le bonheur de ceux qui les étudient mais aussi pour continuer à conserver ces « petites » richesses.

Enfin, je terminerai par le fait que plus qu’un créole « officiel », et malgré le plaidoyer bon enfant d’Erick Dédé, notre Martinique a besoin d’actions. Quid de l’argent (mal ?) acquis par l’augmentation depuis bientôt deux ans de l’octroi de mer ? Quid du BTP moribond et de toute ces entreprises qu’on a refusé de payer sous couvert d’un piratage ? Quid des embouteillages et donc d’une extension rapide de transports collectifs ? Quid de la transformation rapide de notre système de production et de consommation d’électricité ? Quid de la lutte contre la corruption de trop d’élus et d’autres non élus ?

Quid des grands travaux d’aménagement du territoire pour faire face à la vétusté de nos réseaux d’eau potable, mais aussi face la montée des eaux et les inondations qui en résulteront ? Quid au développement d’entreprises modernes au lieu de se gargariser d’auto-suffisance alimentaire dans une île de tous les dangers.  Oui il faut développer l’agriculture et la favoriser mais sans aveuglement et sans détruire ce qui rapporte (l’exportation de la banane) pour favoriser ce qui ne rapporte pas encore. Où sont les pistes cyclables et l’élargissement des voies aux véhicules de plus en plus gros ? Où sont la protection des biens et des personnes et l’engagement de nos élus à cette cause ?

Bref, si nos grands penseurs préfèrent garder la tête dans les nuages, gare aux éclairs destructeurs !

Yvon JOSEPH-HENRI

Président de l’Association des Consommateurs et des Citoyens de la Caraïbe

Ancien syndicaliste de l’Education Nationale

Ancien professeur du Lycée Schoelcher

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