“Ne décevez pas l’espoir suscité, vous voulez, vous pouvez et vous devez agir.”
Ce mercredi 5 mars 2025, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi déposée par Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues, visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique en Outre-mer. Ce texte, qui fait suite à la loi de régulation économique outre-mer de 2012 (LREOM), entend apporter des mesures concrètes pour rétablir un équilibre économique plus juste dans ces territoires.
Mais suffira-t-elle à répondre aux attentes des citoyens ultramarins ?
Retour sur un problème structurel, les avancées législatives et les enjeux de cette nouvelle réforme.
Un problème récurrent et multifacteur
Depuis des décennies, la vie chère constitue un véritable fléau pour les habitants des territoires ultramarins. Selon les données de l’INSEE, les prix y sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en Hexagone, avec des écarts qui se sont accentués ces dernières années. Trois principaux facteurs expliquent cette inflation durable :
- L’éloignement géographique, qui génère des coûts de fret maritime et aérien répercutés sur le prix final des biens de consommation.
- La taille limitée du marché, qui ne permet pas d’économies d’échelle et induit des coûts de production élevés.
- L’octroi de mer, une taxe spécifique appliquée sur les produits importés, qui augmente leur prix final.
Mais au-delà de ces facteurs, un autre problème, structurel, pèse lourdement : le manque de concurrence. Dans plusieurs secteurs stratégiques (grande distribution, carburant, télécommunications, etc.), des entreprises, souvent familiales et peu nombreuses, exercent un quasi-monopole ou oligopole. Cette concentration limite la compétition, empêche la baisse des prix et assure des marges confortables à ces entreprises.
Un arsenal législatif à renforcer
La loi de 2012 portée par Victorin Lurel avait déjà introduit plusieurs mesures pour lutter contre la vie chère :
- Réglementation des marchés de gros,
- Interdiction des accords d’exclusivité d’importation et de distribution,
- Renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence,
- Décret carburant et mise en place des boucliers qualité-prix.
Cependant, comme l’a rappelé Victorin Lurel dans son discours devant le Sénat, “les structures de marché n’ont que trop peu évolué”. L’opacité sur la formation des prix persiste, tout comme les pratiques anti-concurrentielles et les résistances des acteurs économiques en place.
La nouvelle proposition de loi : des mesures clés
Face à ces limites, la nouvelle proposition de loi adoptée au Sénat repose sur trois axes majeurs :
- Renforcement de la transparence économique
- Obligation pour les entreprises bénéficiant d’aides publiques de transmettre leurs comptes sociaux et leur comptabilité analytique aux représentants de l’État.
- Instauration d’un nouveau régime de sanctions : le préfet pourra demander au tribunal de commerce d’adresser une injonction aux dirigeants d’entreprises refusant de publier leurs comptes, avec une astreinte pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires journalier.
- Renforcement de la concurrence
- Abaissement des seuils à partir desquels les opérations de concentration doivent être notifiées à l’Autorité de la concurrence.
- Extension des pouvoirs des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), qui pourront saisir directement les agents de la DGCCRF.
- Elargissement des possibilités de saisine de l’Autorité de la concurrence par les départements d’outre-mer et les commissions d’aménagement commercial.
- Mesures sur les prix des produits de première nécessité
- Initialement, le texte prévoyait d’étendre l’aide au fret à ces produits afin de réduire leur coût final. Cette disposition a été retirée pour être examinée dans un autre cadre législatif.
Vers une régulation plus efficace
L’adoption de ce texte par le Sénat marque une étape importante dans la lutte contre la vie chère en Outre-mer. Mais pour Victorin Lurel, “nous devons aller un peu plus loin”. Dans son discours, il a présenté cinq amendements supplémentaires visant notamment à plafonner les marges arrières, à protéger les commerçants locaux contre les oligopoles, et à intégrer les Outre-mer dans les conditions générales de vente des plateformes e-commerce.
L’enjeu est d’assurer que cette loi ne reste pas lettre morte. “Au-delà des lois, de nombreuses mesures réglementaires peuvent déjà être prises”, a insisté Mr Lurel, appelant à un renforcement des moyens de la DGCCRF, à des contrôles accrus des services de l’État, et à une réforme du décret sur les carburants.