23 MAI 2024, JOURNÉE NATIONALE EN HOMMAGE AUX VICTIMES DE
L’ESCLAVAGE
Discours de Serge Romana
Président de la Fondation Esclavage et Réconciliation
En cette journée d’hommage
national aux victimes de l’esclavage
colonial, c’est d’abord vers vous,
dont le nom est apposé sur ce
mémorial, que je me tourne. Vous
êtes 213, comme le nombre
d’années que l’esclavage a duré
dans les colonies françaises. Vous
représentez les quelque 4 millions
d’hommes et de femmes qui,
comme vous, ont travaillé en
esclavage dans les colonies
françaises : deux millions ont été
vendus puis déportés dans des
conditions abominables depuis les côtes de l’Afrique, de
Madagascar, d’Inde et d’Insulinde vers les colonies françaises ;
deux autres millions y sont nés esclaves, c’est-à-dire à la
Dominique, à Gorée, à Grenade, en Guadeloupe, en Guyane, à l’Île
Bourbon (Réunion), à l’Île-de-France (île Maurice), à l’île Rodrigue,
en Louisiane, à Marie-Galante, en Martinique, en Nouvelle-France,
à Saint-Barthélemy, à Saint-Christophe, à Sainte-Croix, dans la
partie française de Saint-Domingue, à Saint-Louis du Sénégal, à
Sainte-Lucie, à Saint-Martin, aux Seychelles et à Tobago.
Vous étiez donc 4 millions ! Le 23 mai vous est totalement dédié.
Nos ancêtres, je vous honore toutes et tous.
Mais j’ai une pensée particulière pour mes aïeux présents sur ce
magnifique mémorial dionysiens des victimes de l’esclavage :
Juliette Romana, bien sûr, Louise Zamour, l’aïeule africaine de
Viviane, mon épouse.
M a i s c ’ e s t t o i , g r a n d – m è r e
Madelonette, matricule 1513, que je
mettrai en lumière aujourd’hui. Tu es
née en 1788, au Moule sur l’habitation
Baie du Nord-Ouest. Le lundi
15/01/1849, tu es nommée Caille, sur
l’habitation Gaschet à Port-Louis, avec
ton mari Jean-Jacques et tes 4 enfants,
Adélaïde, Leila, Madelonette dite
Souvenance et Laurent. Ta fille
Adélaïde, née en esclavage en 1832,
accouche en 1871 de Zélie Caille, mon
arrière-grand-mère que nous appelions Bonne Maman. Au début
du 20e siècle, à Pointe-à-Pitre, elle se marie à un mulâtre, Charles,
issu d’une très ancienne famille de « libres de couleur » existant
depuis le début du 18e siècle. Cette union entre une négresse et
un homme clair de peau ne fut pas du goût de la belle-mère qui, au
décès de Charles, déshérita Zélie. Zélie n’a jamais parlé de toi ni
de sa mère Adélaïde. Ne sois pas en colère; c’était le cas dans la
plupart de nos familles antillaises. La division de la société selon la
couleur de la peau, l’échelle du mépris adossée à la gamme
colorimétrique de la peau, la violence physique comme mode
principal de médiation, les impossibilités à former une famille,
comme le disait Schœlcher… Bienvenue dans le monde réel des
sociétés construites dans et par l’esclavage colonial.
Pour ce type de construction anthropologique, il n’y a pas
d’hétéroréparation possible. Comment réparer la honte si cela ne
vient pas en premier lieu de nous, les descendants ? Comment
guérir du maléfice de la couleur sans que l’effort ne soit pas le
nôtre ? Qui d’autre que nous peut retisser les liens sacrés de la
filiation avec des ancêtres que rien ne valorise ?
Voici le terrain de travail de la Fondation Esclavage et
Réconciliation. Nous sommes des descendants d’esclaves, de
descendants de colons, de négriers d’Afrique et des métropolitains
préoccupés par la réparation des fractures héritées de l’esclavage
et souhaitant les soulager. Nous mesurons les efforts colossaux qui
doivent être faits d’abord dans nos sociétés pour qu’un avenir
puisse être possible. C’est d’une complexité extrême, car outre la
fondation monstrueuse, la République est restée coloniale bien
après l’abolition. De ce fait, la violence refoulée revient au galop. Le
ressentiment antirépublicain, disons anti-blanc, aveugle une partie
de notre jeunesse qui brise les statues de Schœlcher, pourtant
l’adversaire acharné des colons esclavagistes. N’est-il pas trop
tard ? Il a fallu dans le pays des droits de l’homme près de 20 ans
de combats acharnés pour qu’une date dédiée à la mémoire des
victimes d’un crime contre l’Humanité devienne une date nationale.
Le 23 mai 2025 ou 2026, sera inauguré dans les jardins du
Luxembourg le mémorial national des victimes de l’esclavage
portant les prénoms et noms des 230 000 personnes encore
esclaves dans les colonies françaises. Mais cela suffira-t-il à
calmer les passions ? Avons-nous encore le temps de stopper
l’accélération de la victimisation dans les sociétés françaises post-
esclavagistes qui génère en retour la culpabilité dans la société
métropolitaine à l’heure où l’extrême droite est à la porte du
pouvoir ? Sur le territoire métropolitain, cette mémoire
insuffisamment traitée est l’un des éléments qui fracturent notre
société. La mémoire triste de cette histoire est devenue une
matrice de sens du malheur des jeunes « dits noirs » de ce
département. Son traitement doit donc faire l’objet d’une attention
particulière. C’est une question politique majeure. Il faut donc que
les responsables politiques de Seine–Saint-Denis et de la ville de
Saint-Denis puissent en prendre pleinement la mesure et adoptent,
avec notre fondation et avec les associations, les dispositions
nécessaires. C’est en effectuant ce travail difficile que l’on œuvrera
à la réconciliation.
Je me retourne vers toi Madelonette, mon aïeule bienaimée. Sèche
tes larmes, soit apaisée, car tes descendants t’ont retrouvée et
honoreront désormais ta mémoire. Quant à vous tous, misérable
fut votre vie. Mais vous avez tenu et cela suffit à faire de vous nos
véritables héros!
Soyez en paix car nous veillons d

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