Les dirigeants d’entreprises sont les acteurs majeurs du changement et c’est bien ce que la France insoumise n’a pas compris
Les dirigeants d’entreprises se vendent mal, parce que face aux incertitudes géopolitiques multiples, et à la faillite des élites politiques, ils sont devenus les seuls acteurs majeurs du changement. À côté de ceux qui se plaignent, pleurent ou grognent, une grande majorité reste optimiste, avec toutes les raisons de l’être.
En France, les programmes politiques de l’extrême gauche sont tellement caricaturaux que s’ils étaient appliqués, ils fracasseraient la gauche elle-même, qui ne s’en relèverait pas, comme l’écrit Jacques Attali dans Les Echos du 13 juillet.
Le mur des réalités est indestructible et il existe , parce qu’il veille au fonctionnement du système économique. Qui peut croire qu’une politique qui multiplie les facteurs de redistribution (pouvoir d’achat, subventions, prestations, services publics gratuits, etc.) sans en prévoir un financement cohérent, hormis une série de prélèvements punitifs voire spoliatifs, ne serait pas asphyxiée très rapidement ?
Le parrainage de quelques économistes nobélisés n’apporte aucune garantie, sauf de confirmer que les économistes en question ne vivent qu’à l’ombre de l’État et qu’ils ont donc intérêt à protéger la sphère étatique, cette énorme machine à redistribuer les richesses créées par le marché. Le programme des insoumis ne peut marcher qu’une fois. Les chefs d’entreprises ont donc raison de s’y opposer, mais la majorité d’entre eux savent bien que leur combat est ailleurs, ils savent que les entreprises sont en mesure de répondre avec beaucoup plus d’efficacité aux problèmes qui nourrissent l’agressivité des politiques.
La crise du Covid a d’ailleurs servi de premier révélateur de leur capacité à répondre aux besoins les plus urgents. La crise était tellement grave pour l’équilibre du monde que tous les pouvoirs politiques ont essayé de protéger le fonctionnement des entreprises, car les entreprises avaient plus de capacité pour agir que les États. Depuis la crise du covid, beaucoup d’études et d’enquêtes réalisées à l’initiative des organismes de gestion du personnel, des cabinets de recrutement, beaucoup de recherches menées dans les grandes business schools américaines (Cf la Harvard Business Review). Isabelle Bastide, spécialiste de la gestion du personnel, avait déjà à la fin de l’année 2023 mis l’accent dans la HBR sur la force des dirigeants d’entreprise à se montrer optimistes face aux États qui étaient impuissants et à une géopolitique qui donnait le triste spectacle d’être désormais sans boussole. Il y a trois domaines où les entreprises ont montré leur supériorité sur les États et sur beaucoup d’organisations non gouvernementales.
1er domaine : l’entreprise est devenue le lien central et privilégié de l’inclusion sociale et de la confiance. L’histoire depuis le 19e siècle nous a souvent décrit l’entreprise comme le terrain de la lutte des classes. Cette entreprise, dont la fonction aurait été de fabriquer de l’inégalité entre des exploités (travailleurs) et des exploitants capitalistes, est en voie de disparition.
L’entreprise est un objet socio-économique qui a un objectif et qui le fait partager à ses partenaires. Un tiers de la vie se passe dans l’entreprise et c’est dans l’entreprise que se nouent les rencontres sociales.
C’est dans l’entreprise que se fabrique la confiance. Les études réalisées par tous les professionnels de la gestion des ressources humaines prouvent que les questions de diversité, de cohésion sociale, de transition écologique et énergétique, et même toutes les questions liées à l’immigration, au droit du travail, aux questions de formations et de santé, toutes ces questions sont prises en compte et gérées dans l’entreprise. À noter que plus des 2/3 des entreprises ont développé des politiques RSE, car l’objectif de l’entreprise est de conjuguer les objectifs de cohésion sociale et les objectifs de compétitivité. La croissance nécessaire dépend aussi de la confiance dans le lien social créé.
2e domaine : l’entreprise est devenue le lieu où se fabrique les outils de prise en compte du changement climatique. Tout ce qui participe à la lutte contre le réchauffement climatique passe par l’entreprise, qui a depuis quelques années mis en place des politiques, des dispositifs pour réduire les émissions de carbone tout en protégeant la rentabilité.
Les dirigeants savent bien que tout ne dépend ni de l’État ni des dirigeants d’entreprise, mais de la façon dont l’ensemble du personnel peut prendre en compte cette contrainte et en faire un nouvel objectif de croissance et de rentabilité. Le marché des salariés, des actionnaires et des clients ont ce type d’exigence et si l’entreprise nie cette réalité, elle se condamne.
3e domaine : c’est l’entreprise, beaucoup plus que l’État, qui exploite la transformation numérique. Comme pour la transformation écologique, la mutation numérique appartient à sa mission, à son obligation qui conduit l’entreprise à mettre en place des politiques inclusives et sociales compatibles avec la rentabilité. Les entreprises le font dans les pays occidentaux pour répondre aux forces du marché voire les anticiper, car les marchés ont besoin de croissance et que la croissance se nourrit de transformation. C’est au cœur du fonctionnement des grandes démocraties. Le pouvoir politique s’occupe du régalien et le pouvoir des chefs d’entreprise a pris en compte l’économie. Mais ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est que même dans les pays autoritaires, en Russie, en Chine ou en Inde, les entreprises ont leur propre logique de fonctionnement fondée sur l’existence d’un objectif avec des contraintes qu’elles doivent respecter (sur les marchés commerciaux, les ressources humaines et le droit du travail, etc.). C’est vrai à Moscou, confronté aux forces du marché traditionnelles, mais c’est vrai à Saint-Pétersbourg ou à New Delhi. L’entreprise a ses propres protocoles de gestion indépendamment des plans d’État.