1. Quel est l’intérêt de l’archéologie pour étudier et enseigner l’histoire de l’esclavage ?

2. L’esclavage colonial : quels mots, quelles réalités ?

 © Illustration : Amélie Fontaine

 Archéologie de l’esclavage colonial

1. Quel est l’intérêt de l’archéologie pour étudier et enseigner l’histoire de l’esclavage ?

1. Quel est l’intérêt de l’archéologie pour étudier et enseigner l’histoire

de l’esclavage ?

L’étude de l’esclavage colonial pose la question

des sources : les récits d’esclaves sont très rares. Les historiens disposent cependant de sources pour la connaissance des sociétés esclavagistes.

1. Les sources écrites et iconographiques

L’information disponible provient essentiellement de sources produites par des Européens, mais il existe aussi des sources écrites au Maghreb et au Sahel, encore peu exploitées, ainsi que des récits de transmission orale. On peut citer notamment :

– les plans des plantations (localisation et forme de l’habitat) ;

– les inventaires et « états des esclaves » qui précisent nom, âge, emploi, qualités physiques et traits de caractère de chaque esclave recensé ;

– les « cahiers des esclaves », plus rares, qui indiquent après chaque nom la date de l’entrée dans la plantation ou la date de naissance, les accidents, les maladies, les fuites éventuelles et leurs motifs, l’éventuel affranchissement, la vente, la location, le décès avec sa date et sa cause ;

– les journaux de travail tenus pour informer le propriétaire de l’organisation du travail sur la plantation (durée quotidienne et nature du travail, nombre de malades et de marrons) ;

– les correspondances, rapports et comptes rendus de missionnaires, d’agents de l’administration ou des propriétaires d’esclaves ;

– les archives judiciaires, les actes notariés, les registres d’affranchissements d’esclaves ;

– les archives relatives à la traite négrière (achat et ventes d’esclaves, armement des navires, journaux de bord…) ;

– les récits de voyages, gravures, traites et ouvrages décrivant les sociétés esclavagistes pour en vanter les charmes ou pour dénoncer les exactions dont étaient victimes les esclaves.

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1. Quel est l’intérêt de l’archéologie pour étudier et enseigner l’histoire de l’esclavage ?

2. L’archéologie de l’esclavage

L’archéologie peut donc avoir une place décisive pour documenter les conditions de vie des personnes mises en esclavage, leurs habitats, leurs déchets (qui nous en apprennent beaucoup notamment sur ce qu’ils mangeaient, souvent différent de ce qu’indiquent les textes), les établissements où ils furent asservis (souvent détruits mais dont subsistent les fondations), la façon dont ils ont conservé des traces de leurs cultures d’origine, les enclaves du marronnage, les pratiques funéraires, l’état sanitaire des défunts, leur âge, leur genre etc. Ces « archives du sol» apportent des informations complémentaires sans équivalent dans les archives écrites, imprimées ou iconographiques, et en étudiant la culture matérielle des esclaves, l’archéologie contribue de façon décisive aux recherches sur l’esclavage colonial en permettant de documenter d’une façon nouvelle plusieurs aspects :

– la traite : l’archéologie sous-marine documente notamment les conditions de transport des esclaves en étudiant les épaves de navires négriers ;

– l’habitat et la vie quotidienne : si les quartiers d’esclaves ont presque tous disparu, ils «survivent» dans le sol à l’état de structures archéologiques dont l’étude est d’un grand intérêt historique. Les objets retrouvés rendent également compte de leur quotidien ;

– le marronnage : plus difficile à appréhender en archéologie, il est aujourd’hui étudié notamment aux États-Unis, à Cuba, au Brésil, à La Réunion et à l’Île Maurice ;

– les pratiques funéraires : l’étude des cimetières fournit des informations remarquables sur les conditions d’inhumation des esclaves et sur leurs croyances et valeurs culturelles, et merci celle des squelettes sur les pathologies caractéristiques des populations asservies (carences, dégradations de la dentition, infections, maladies dégénératives etc.), mais également sur

la démographie et l’origine géographique (rapport homme /femme – adultes/enfants – Créoles/ Africains – etc.).

3. Un outil de déconstruction des préjugés et de lutte contre le racisme

En montrant les conditions de vie des esclaves, les liens, même ténus, qu’ils ont pu conserver avec leurs cultures d’origine et leurs stratégies de résistance, cette exposition-dossier permet d’envisager le phénomène de l’esclavage sous un angle différent des sources traditionnellement utilisées, qui l’abordent toujours avec un regard européen (qu’il émane des propriétaires ou des abolitionnistes) et ainsi l’identité propre des personnes réduites en esclavage qui s’est construite dans ce carcan.

Ce changement de regard permet d’humaniser la figure des personnes mises en esclavage, montre leurs souffrances mais aussi leur créativité et leur volonté de résister. Il révèle ainsi la profonde inhumanité du système de l’esclavage et met en échec ses discours de justification, fondés sur la hiérarchie des races et l’essentialisation des personnes noires, qui continuent de nourrir les préjugés et le racisme contemporains. C’est en effet au sein des sociétés esclavagistes coloniales que sont construites les catégories raciales de «blancs» et de «noirs» qui sont encore valides aujourd’hui.

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 1 O. Pétré-Grenouilleau,

Les Traites négrières, essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004, p. 20-21 de l’édition électronique.

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2. L’esclavage colonial : quels mots, quelles réalités ?

2. L’esclavage colonial : quels mots, quelles réalités ?

1. Qu’appelle-t-on «traite négrière» ?

Le choix du terme pour qualifier un commerce d’hommes, femmes et enfants noirs a longtemps été discuté, et continue de l’être : «traite négrière », «traite des nègres», «traite des noirs» ?

– Le terme de «traite» était à l’Époque moderne synonyme de «commerce».

– Le mot «nègre» dérive du portugais et de l’espagnol negro et désignait au XVe siècle, selon le dictionnaire de langue française Le Robert «Une personne de race noire», avant de prendre au XVIIIe siècle le sens « d’esclave noir ». Ce terme a ainsi pris une signification nettement insultante. Il n’est donc pas utilisé dans le vocabulaire des historiens, sauf dans le cas de citations. Du fait de son lien étymologique, l’adjectif «négrier» a même été abandonné par certains historiens, même si l’usage reste établi pour désigner un phénomène historique bien défini. Selon l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau 1, plusieurs conditions doivent être réunies pour définir la traite négrière :

– les victimes étaient des Africains ;

– les traites supposaient des réseaux d’approvisionnement organisés ;

– le lieu de la capture et celui de la servitude étaient dissociés ;

– les captifs étaient considérés comme des biens échangés entre producteurs et acheteurs ;

– les entités politiques concernées approuvaient ce commerce et en retiraient des bénéfices.

La demande européenne en captifs s’est développée en utilisant des réseaux de traite internes à l’Afrique :

– les traites « internes » à l’Afrique noire sont les plus mal connues ; si leur existence est attestée, toutefois, toutes les sociétés africaines ne furent pas toutes impliquées dans les traites (l’esclavage pouvait exister sans traite) ;

– les traites « orientales » : c’est le terme généralement utilisé par les historiens pour désigner les traites transsahariennes et celles localisées sur les côtes de la mer rouge et de l’Afrique de l’est, qui alimentaient en esclaves noirs le monde musulman et les régions en contact avec ses circuits commerciaux.

2. Les traites négrières européennes Les traites occidentales

La traite négrière occidentale – mise en œuvre par les Européens – a commencé au XVe siècle à l’initiative du Portugal, qui fut longtemps la seule nation engagée dans la traite atlantique. Cette traite se caractérise par l’enlèvement de personnes noires d’Afrique suivi de leur dépor- tation dans la péninsule ibérique, dans les îles atlantiques (São Tomé, Cap-Vert, Principe, Canaries). Le commerce s’est ensuite organisé entre Européens et Africains pour fournir en esclaves Amérique, Caraïbes, et plus tard (au XVIIIe) l’archipel des Mascareignes dans l’océan Indien (archipel constitué de l’île de France, aujourd’hui république de Maurice, et l’île Bourbon,

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 2 A. de Almeida Mendes «Les réseaux de la traite ibérique dans l’Atlantique nord (1440-1640)», Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 63e année, no. 4, 2008, pp. 739-768.

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2. L’esclavage colonial : quels mots, quelles réalités ?

aujourd’hui La Réunion, et Rodrigues). Elle a deux objectifs principaux : l’enrichissement grâce au commerce des captifs et la fourniture de main-d’œuvre aux colonies afin d’en exploiter le territoire et les ressources.

La traite transatlantique

L’installation des Européens du Nord en Amérique commença au début du XVIIe siècle. Le développement de la culture des grandes denrées d’exportation (comme le sucre) exigeait une main d’œuvre abondante sur des propriétés de plus en plus grandes (« habitations »). Pour mettre en valeur ces possessions, on recourut d’abord à une main-d’œuvre européenne (les « engagés », qui signaient un contrat par lequel ils renonçaient à leurs libertés pendant une période donnée),

à laquelle fut progressivement substituée une main-d’œuvre africaine mise en esclavage et qui présentait alors plusieurs avantages aux yeux des puissances européennes alors, notamment

– par rapport aux engagés dont le contrat était à durée déterminée – celui d’en être le maître absolu.

Si les traites négrières existaient depuis longtemps, l’exploitation coloniale du continent américain leur a fait prendre une dimension nouvelle par l’importance numérique des transferts de population de l’Afrique vers l’Amérique. La question du nombre de victimes des traites négrières est sensible et complexe et fait encore l’objet de nombreux débats : un crime d’une telle ampleur est difficile à chiffrer. « En cinq siècles, entre le XVe et le XIXe siècle, 34 850 expéditions négrières traversèrent l’Atlantique, conduisant à la déportation aux Amériques de plus de douze millions d’hommes,

de femmes et d’enfants africains, sans oublier le million d’esclaves noirs introduits en Europe du Sud » résume l’historien Antonio d’Almeida Mendes 2, auquel il faut ajouter 1/3 de personnes, soit environ 4 millions de morts sur les chemins de traite.

Le commerce triangulaire ou «circuiteux» : trois phases

1. Échanger des produits bruts et manufacturés européens contre des captifs africains.

Les captifs étaient achetés à des fournisseurs africains. Les navires négriers partaient de l’Europe les cales emplies de marchandises de traite variées, en fonction de la demande des vendeurs africains : marchandises de traites (tissus, armes à feu, alcools, lingot de plomb, barres de fer essentiellement) et objets de moindre valeur (objets de parure, coquillages, miroirs etc.) troqués sur les côtes africaines contre des captifs. Les navires mettaient ensuite le cap sur l’Amérique du sud, les Caraïbes ou l’Amérique du nord.

2. Transporter ces captifs par-delà l’océan Atlantique pour en faire des esclaves dans les colonies. Ce sont les négriers européens qui opéraient ce transfert dans des bateaux aménagés à cet effet (navires négriers). La traversée durait généralement entre un et trois mois. La durée moyenne d’une traversée était de 66 jours et demi. Mais selon les points de départ et d’arrivée, la durée pouvait être très différente. La mortalité durant cette traversée était importante, y compris dans l’équipage (de 10 à 20 %).

3. Vendre ou échanger les captifs contre des denrées tropicales destinées à l’Europe.

Les captifs étaient vendus contre des lettres de change ou des matières premières (sucre, coton, café etc.) pour approvisionner l’Europe occidentale. Ils devenaient donc esclaves, et leurs maîtres étaient qualifiés d’esclavagistes. Les navires négriers reprenaient ensuite la route de l’Europe avec de la canne à sucre ainsi que de l’or, correspondant à la vente des esclaves, mais aussi avec des produits dits de « haute valeur » (le coton, le tabac et des métaux précieux). L’expression «commerce triangulaire» et le schéma associé tendent à réduire ce commerce à un passage en trois temps sur trois continents. La réalité est plus complexe.

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 3 Le raffinage de la plupart des denrées coloniales était d’ailleurs interdit dans les îles afin d’assurer la plus-value liée à la transformation du produit dans la métropole.

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2. L’esclavage colonial : quels mots, quelles réalités ?

D’une part, il existait plusieurs routes et, notamment s’agissant de l’espace français, il ne faut pas négliger le commerce vers les îles colonisées dans l’océan Indien (cf. supra). Il faut garder à l’esprit que le commerce en droiture (allers-retours entre ports européens et colonies pour échanger des produits, sans détour par l’Afrique ni achats d’hommes) était le plus important.

D’autre part, ce commerce dit triangulaire impliquait des activités économiques élargies. En effet, en amont de la traite, différentes professions étaient mobilisées afin de réunir les capitaux, les marchandises, les hommes et les navires nécessaires, et de produire les marchandises de traite,Au seindesen aval la transformation3 et la vente des denrées en mobilisait d’autres.  puissances européennes, c’est en réalité toute l’économie qui était impliquée dans le commerce dit triangulaire.

3. Les empreintes de l’esclavage colonial

Le système de l’esclavage colonial a fonctionné pendant quatre siècles. Ses conséquences ont été profondes sur les sociétés qui l’ont pratiqué ou qui en ont été victimes, et elles n’ont pas disparu avec l’interdiction de la traite et l’abolition de l’esclavage. Le monde dans lequel nous vivons en porte toujours les traces :

– les descendants des millions d’Africains déportés en Amérique, dans les Caraïbes et dans l’océan Indien forment aujourd’hui une composante importante de la population de ces territoires ; – dans tous les pays qui ont connu l’esclavage, l’existence d’un ordre social qui séparait la société entre des personnes libres et des personnes noires mises en esclavage a suscité des discours de justification, qui expliquaient l’esclavage par une prétendue hiérarchie des races, et qui ont contribué à la formation des préjugés contre les personnes noires constituant l’une des sources l’une des sources du racisme contemporain ;

– l’héritage de l’esclavage réside aussi dans les résistances à ce système injuste. En effet,

le combat contre l’esclavage et la traite a accompagné le combat pour les droits humains et la démocratie dès l’origine : la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme par la Révolution française a conduit à Saint-Domingue à la révolte des esclaves qui provoquera la première abolition puis l’indépendance de Haïti en 1804 (suite au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte en 1802) ; en 1848, c’est dans le contexte de la mise en place de la IIe République qu’a été décrétée

le 27 avril la deuxième abolition de l’esclavage ; en 1948, l’interdiction de l’esclavage est l’un des piliers de la déclaration universelle des droits de l’homme. Ce combat reste d’actualité, car le phénomène de l’esclavage, de la traite des êtres humains et du travail forcé n’a pas disparu.

Plusieurs passages sont extraits ou inspirés des deux ouvrages suivants : Éric Mesnard, Aude Désiré, Enseigner l’histoire des traites négrières et de l’esclavage, CRDP, 2007 — Éric Saugera, La traite des noirs en 30 questions, ed. Geste, 2003.

L’ouvrage de référence sur l’archéologie de l’esclavage est : André Delpuech, Jean-Paul Jacob (dir.), Archéologie de l’esclavage colonial, Paris, La Découverte, Inrap, coll. «Recherches», 2014, 272 p. Il s’agit des actes du colloque organisé par l’Inrap en mai 2012, qui s’est tenu au musée du quai Branly. L’ensemble des conférences filmées de ce colloque est accessible sur le site inrap.fr.

Deux dossiers sont proposés en complément :

Archéologie de l’esclavage colonial – Dossier pédagogique : des éléments d’explication et de contexte sur chacun des thèmes de l’exposition-dossier ainsi que des pistes pédagogiques sont proposés aux enseignants.

Archéologie de l’esclavage colonial – Activités pour les élèves : des fiches d’activité photocopiables en lien avec les thèmes de l’exposition pour faire travailler les élèves individuellement, en groupe ou en classe entière.

Ce dossier a été élaboré par la Fondation pour

la mémoire de l’esclavage en novembre 2020, en partenariat avec l’Inrap. Il est destiné à l’accompagnement pédagogique de l’Archéocapsule «Archéologie de l’esclavage colonial» une exposition-dossier conçue et produite par l’Inrap.

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