Mai 1944, camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, Osweicim, Pologne | Yad Vashem ARCHIVES / AFP

Repéré par Nina Pareja 


Jo-Ann Owusu, jeune historienne britannique aborde pour la première fois ce sujet dans le magazine History Today.

Les règles sont un sujet encore tabou qui a peu de place dans les livres d’histoire. Pourtant, elles disent beaucoup d’une vie de femme à une période donnée. Elles sont souvent vues comme un «problème médical à surmonter plutôt qu’un événement naturel et une partie de la vie», explique l’historienne. Quand les règles sont abordées dans l’histoire médicale, elles le sont sous l’angle reproductif: les stérilisations forcées, les effets du stress sur le système reproductif, l’aménorrhée (l’absence de règles) dû au choc de l’incarcération.

Comme le souligne Jo-Ann Owusu, «après la déportation dans les camps, à cause de la malnutrition et du choc, un nombre important de femmes victimes de l’Holocauste n’eurent plus leurs règles». Beaucoup prirent peur: resteraient-elles infertiles à la sortie des camps? Pouvaient-elles envisager un futur -hors des camps- avec enfants? Jo-Ann Owusu cite le témoignage de la Française Charlotte Delbo, survivante d’Auschwitz:

«C’est très frustrant de ne pas passer par ces périodes de règles… On commence à se sentir plus vieille. Timidement, la grande Irène avait demandé: “Et si elles ne reviennent jamais?” En entendant ces mots, un frisson d’horreur nous parcourut toutes. Les catholiques firent un signe de croix, d’autres récitèrent la Chema, tout le monde tenta d’exorciser cette malédiction à laquelle les Allemands nous avaient condamnées: l’infertilité. Comment dormir après cela?»

En plus de cela, Jo-Ann Owusu évoque le sentiment de perte d’identité féminine: entre la perte de poids, la tonte de leur cheveux et l’absence de règles, par quoi se sentir encore femme? Beaucoup souffrait également de cette «errance identitaire».

Morceaux de chiffons

Pour celles qui conservaient leurs règles, il fallait également affronter les conditions d’hygiène atroces des camps. Cacher ses règles était rendu complexe par la réalité des camps. Comment faire sans chiffons et sans se laver? Jo-Ann Owusu évoque alors le témoignage de Trude Levi, une infirmière juive hongroise de 20 ans: «Nous n’avions pas d’eau pour nous laver, nous n’avions pas de sous-vêtements. Nous ne pouvions aller nulle part. Tout se collait à nous, et pour moi, c’était l’une des choses les plus déshumanisantes que j’ai vécue.»

À l’humiliation de ne pouvoir se nettoyer et d’être marquée par les traces des sang s’ajoutait le combat pour trouver de petits morceaux de chiffons ou de papier pour stopper l’écoulement. Certaines racontent avoir déchiré les sous-vêtements qui leur avaient été donnés pour en faire plusieurs morceaux de chiffons en les conservant comme une denrée rare sous le matelas. En effet, il était à craindre de se les faire voler. Mais ils étaient aussi empruntés, donnés, transmis ou échangés. Jo-Ann Owusu revient sur le témoignage d’une femme, Elizabeth Feldman dont la sœur avait toujours ses règles dans les camps. Pour éviter certaines opérations médicales, elle montrait les sous-vêtements tachés de sa soeur au médecin qui refusait alors de l’opérer.

Jo-Ann Owusu raconte aussi l’histoire de deux jeunes femmes différentes qui purent échapper à un viol «grâce à» leurs règles, les soldats allemands, manifestement écœurés par la vue du sang menstruel.

Parfois, les règles provoquaient également des élans de solidarité et de sororité entre les femmes. Plusieurs témoignent de la solidarité des adultes avec de jeunes adolescentes, parfois orphelines, qui éprouvaient leurs premières règles dans les camps.

À la Libération, beaucoup de femmes qui souffraient d’aménorrhée vécurent le retour de leurs règles comme une célébration, un symbole de leur liberté, de leur identité de femme retrouvrée. Pour Jo-Ann Owusu, «il est maintenant nécessaire de reconnaître les règles comme une expérience valable et significative dans le vécu des survivantes de l’Holocauste

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