A l’occasion de la « Journée internationale des droits des femmes », le 08 mars dernier, la préfecture* a rendu hommage aux nombreux apports et engagements de Paulette Nardal (1896-1985) via la dénomination inaugurale d’une salle (de la préfecture) aux nom et prénom de l’illustre martiniquaise, et via l’apposition d’une plaque et d’un portrait-hommages, respectivement à l’entrée et l’intérieur de ladite salle. Un événement qui s’est déroulé en présence notamment de membres de la famille de cette grande figure de notre Histoire, et de forces vives de l’« Association Paulette Nardal au Panthéon ». A l’issue de cette inauguration nous avons d’ailleurs échangé avec Catherine Marceline, présidente de ladite association : un entretien où primauté est faite à la vérité factuelle, et non à la « sacralité » de certains mythes.

Antilla : Dans votre communication ce jour vous avez fait état d’une occultation faite par Aimé Césaire des indéniables contributions et apports des sœurs Nardal, Paulette et Jane, aux réflexions sur la « conscience noire »* : était-ce dû à de la misogynie de la part d’Aimé Césaire ?

La plaque-hommage.jpg

Catherine Marceline : Oui parce qu’à l’époque les femmes n’étaient pas considérées comme des êtres pensants au sens intellectuel, donc ces grands hommes ne pouvaient concevoir que des femmes puissent être leurs égales intellectuellement : ça c’est établi, des personnes – universitaires, écrivaines etc. – ont fait des travaux d’études à ce sujet. C’était dans son ADN de ne pas reconnaître la contribution d’une femme car c’était une femme. D’ailleurs son propre cheminement avec son épouse (Suzanne Roussi Césaire, ndr) relève de la même chose, et des faits le prouvent. Mais il y a aussi la petite histoire derrière la grande. La petite histoire c’est que Léopold Sédar Senghor était fou amoureux de la benjamine des sœurs Nardal, Andrée, mais qu’il s’est vu opposer un refus de l’épouser par la famille et qu’il n’a jamais ‘’digéré’’ cela. La petite histoire c’est aussi que Léon-Gontran Damas était marié à Isabelle Achille*, la cousine germaine de Paulette Nardal, et que ce mariage ne s’est pas bien terminé.

De gche à dr, Laurence Gola de Monchy, Catherine Marceline, Nathalie Lovy-Bine et Nadia Séraline-Dib

Il y a donc une part intime dans tout cela ?

Oui, une part intime qui fait que c’était compliqué de pouvoir donner une place à cette femme (Paulette Nardal, ndr) – et à travers elle à sa famille – car Léopold Sédar Senghor considérait que c’était Paulette qui avait dit non à son mariage avec Andrée. Et concernant Isabelle Achille (Damas), cela voulait dire qu’on aurait mis à l’honneur une famille qui n’est plus ‘’votre’’ famille. On est donc dans de l’humain. Mais la réalité était que ces hommes considéraient que les femmes n’étaient pas leurs égales sur le plan intellectuel – ce que dit d’ailleurs Maryse Condé dans un article relativement récent – et qu’il y a eu ces histoires familiales, faisant que les relations n’étaient pas forcément au beau fixe.

« Son engagement était multiple et intersectionnel » 

Les engagements féministes de Paulette Nardal n’ont pas dû améliorer son image auprès d’une misogynie probablement très vivace à l’époque en Martinique ?

L’auditoire

Paulette Nardal a eu des engagements très concrets. Par exemple elle a organisé, peu après le droit de vote obtenu par les femmes, des convois de voitures et de bus pour aller chercher des femmes afin qu’elles puissent voter aux élections. Car les femmes n’avaient pas de voiture et ne conduisaient pas à l’époque. Et quand Paulette Nardal organise ces convois, ça dérange ; quand elle prend la défense d’une femme qui, victime de violences conjugales a tué son mari, ça dérange ; quand elle décide de prendre la défense de femmes de ménage qui travaillent dans des familles mais sans situations légalisées, sans droits reconnus et qui sont parfois abusées, ça dérange aussi.

Féminisme, égalité des droits humains, lutte contre les violences faites aux femmes, lutte des classes, etc. L’engagement de Paulette Nardal était-il intersectionnel avant l’usage contemporain de ce mot ?

Absolument. Son engagement était multiple et intersectionnel. Aujourd’hui cette multiplicité est normalisée, mais à l’époque non.

Son intégrité physique, voire sa vie, ont été menacées n’est-ce pas ?

En 1936, à Paris, les sœurs Nardal ont protesté contre l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie de Benito Mussolini. Et oui elles ont été menacées dans le cadre des meetings qu’elles organisaient. A un moment Jane Nardal a voulu rentrer en politique en Martinique, et un cocktail molotov a frappé la maison familiale… . Donc là le père Nardal a dit ‘’maintenant c’est terminé.’’

« Il y a aujourd’hui sept femmes au Panthéon, et 76 hommes » 

Quelle est la genèse de l’Association Paulette Nardal au Panthéon ?

L’association a été créée en 2016 ; nous avons donc fait des démarches auprès du président de la République de l’époque, François Hollande, qui nous a dit y être favorable mais que son mandat se terminant il verrait en cas de nouveau mandat. Comme il n’y pas eu de nouveau mandat nous avons saisi le président Emmanuel Macron durant son premier mandat. Il ne nous a pas répondu directement mais sa ministre de l’époque, Marlène Schiappa, a dit qu’elle y était favorable. Depuis il n’y a pas eu de suites mais nous faisons un travail de réseautage auprès des mairies, des parlementaires ; de plus en plus de salles, comme aujourd’hui à la Préfecture, sont baptisées Paulette Nardal – à la DEAL, au rectorat etc. -, il y a aussi un établissement scolaire de Malakoff en région parisienne, également le lycée de Ducos et une rue de la ville. Et comme d’autres mairies de Martinique se sont positionnées, il y aura de nouvelles inaugurations au nom et prénom de Paulette Nardal (sourire).

Le président de la République, quel qu’il soit, est donc le seul décisionnaire dans ce dossier du Panthéon ?

Absolument. Le président a donc besoin d’avoir du réseautage, que des gens lui en parlent de plus en plus, etc. Je pense vraiment que Paulette Nardal pourra un jour entrer au Panthéon, compte tenu de ses contributions. Les gens qui s’interrogent sur ce point ne connaissent pas son parcours, donc je les invite à consulter le site internet de notre association*, dans lequel nous retraçons toute sa vie et celle de sa famille : là ces personnes comprendront toute la richesse de son parcours, qui mérite parfaitement qu’elle ait une plaque au Panthéon. Car je ne demande pas le déplacement des restes de Paulette Nardal mais l’apposition d’une plaque, comme pour Aimé Césaire. Et pour les personnes qui laissent entendre que comme Joséphine Baker est ‘’déjà’’ au Panthéon là c’est ‘’bon’’ et c’est fini, je rappelle qu’il y a aujourd’hui sept femmes au Panthéon, et 76 hommes, et que compte tenu de son parcours – et non car c’était une femme noire – Paulette Nardal mérite d’être au Panthéon.

Paulette Nardal (Association)

Mais au-delà de ce réseautage, les autorités étatiques ne sont-elles pas en « attente » d’une plus grande reconnaissance, voire une connaissance tout court, des engagements de Paulette Nardal d’abord par les martiniquais.es ?

C’est possible que l’Etat attende qu’on en parle davantage, et que nos parlementaires s’en saisissent. Mais des femmes sont au Panthéon et quasiment personne ne sait qui elles sont, à part Simone Veil et Joséphine Baker. Donc le critère qui serait que l’on sache précisément ce qu’a fait une femme ou un homme avant son entrée au Panthéon, est un critère qui n’existe pas : c’est vraiment la décision personnelle du président de la République, compte tenu des mérites. Et les mérites de Paulette Nardal sont là : ils ont été démontrés, il y a de plus en plus d’écrits, et grâce au travail de notre association depuis 2016 on parle de Paulette Nardal et de ses soeurs, ce qui n’était pas le cas avant. Il faut aussi savoir qu’un fonds important d’archives n’a pas encore été étudié ; ce fond est dans la famille, ‘’branche’’ Achille, et quand la famille souhaitera mettre ces archives à disposition de la collectivité ce sera un très grand pas, car il y a énormément de choses intéressantes dans ces archives.

« Ils ont peut-être l’impression que reconnaître Paulette Nardal c’est casser le mythe Aimé Césaire » 

Vous avez évoqué nos parlementaires : l’Association Paulette Nardal au Panthéon a donc activé ce possible levier d’influence ?

Dès la création de l’association nous avons écrit à tous les parlementaires. Et nous avons eu trois réponses, trois femmes (sourire) : Catherine Conconne et Manuéla Kéclard-Mondésir, qui nous ont reçues respectivement au Sénat et à l’Assemblée nationale, et Josette Manin. Les parlementaires messieurs n’ont jamais daigné répondre, mais ils se sentent peut-être un peu mal à l’aise ; ils ont peut-être l’impression que reconnaître Paulette Nardal c’est casser le mythe Aimé Césaire. Mais nous disons, et avons toujours dit, qu’il ne s’agit pas d’enlever à l’un pour donner à l’autre mais de reconnaître la réalité de la contribution, et de l’antériorité.           

Antériorité quant à cette chronologie factuelle, que vous avez mentionnée dans votre communication ce jour ?     

Absolument. Au moment où Paulette Nardal commence à travailler sur la question de la conscience noire et du mouvement noir, Aimé Césaire n’a que 19 ans.

Propos recueillis par Mike Irasque  

*La préfecture était notamment représentée par sa secrétaire générale : Laurence Gola de Monchy. *Ce dimanche 12 Mars, la chaîne France 5 diffusera dans la soirée un documentaire éloquemment intitulé ‘’Les sœurs Nardal, les oubliées de la Négritude’’. *Achille était le « nom de  jeune fille » de Louise, la mère de Paulette Nardal et de ses six sœurs. *www.paulettenardalaupantheon.com

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