Climatologue et glaciologue français et président d’honneur du collectif Pacte Finance Climat lancé lors du One Planet Summit, Jean Jouzel livre son analyse de la situation actuelle sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, trois ans après l’Accord de Paris.


Les engagements pris lors de l’Accord de Paris en décembre 2015 vont-ils permettre de respecter l’objectif d’une hausse maximale des températures de 2 degrés, voire 1,5 degré ? Il s’agit d’engagements volontaires des pays – tous se sont engagés à quelque chose, certains à pas grand-chose. Et certains ont signé l’Accord de Paris mais ne l’ont toujours pas ratifié (comme la Russie par exemple). Le retrait annoncé des États-Unis, deuxième pays émetteur de gaz à effet de serre, risque de faire boule de neige. Même si les États font bloc derrière l’Accord de Paris, certains risquent de ne pas ratifier ou de ne pas respecter leurs engagements. Mais il y a un autre problème : ces engagements ne sont pas du tout suffisants pour contenir la hausse des températures bien en deçà de 2 degrés voire de 1,5 degrés par rapport à l’époque préindustrielle. Même s’ils étaient respectés, on n’aurait fait qu’un tiers du chemin. Dans le meilleur des cas, nous sommes sur la trajectoire d’un réchauffement compris entre 3 et 3,5 degrés en moyenne d’ici la fin du siècle. Il faudrait que l’ambition de l’Accord de Paris soit relevée et que les engagements en termes de réduction d’émissions soient multipliés par trois par rapport à ceux actuellement inscrits.   A LIRE AUSSI :  « Le niveau des contributions nationales établies avant l’Accord de Paris doit être révisé à la hausse »   Est-ce trop tard ? La communauté scientifique pense qu’il n’est pas trop tard. On est toujours un peu optimistes même si les objectifs s’annoncent extrêmement difficiles à atteindre. Au rythme actuel, il ne nous reste que l’équivalent d’une vingtaine d’années d’émissions de CO2, à peine plus. La neutralité carbone devrait être atteinte à l’échelle planétaire dans la deuxième partie de ce siècle. Cela semble d’autant plus difficile que les démographes nous annoncent qu’il faudra nourrir 10 milliards d’habitants. Or le CO2 est le principal gaz à effet de serre, mais il y a aussi le méthane dont une partie des émissions est liée à l’agriculture et l’alimentation. Il sera difficile d’en diminuer les émissions avec une population qui augmente de 50 %. J’étais optimiste juste après l’Accord de Paris car tous les pays s’étaient engagés à signer ; cela initiait un cercle vertueux. Mais le retrait des États-Unis a été une très mauvaise nouvelle et je crains qu’il ne déclenche un cercle vicieux, que des pays abandonnent ou ne prennent pas au sérieux leurs engagements et qu’aucun pays n’aille au-delà. Je suis pessimiste sur l’objectif de 2 degrés.   La notion de risque climatique est-elle suffisamment intégrée dans les modèles économiques ? Soutenir le développement des énergies renouvelables nécessite beaucoup d’argent. Les économistes estiment que la transition énergétique coûtera extrêmement cher. Mais renoncer à cet investissement est un mauvais calcul d’un point de vue économique et d’un point de vue écologique. Les risques climatiques ne sont pas assez pris en compte, y compris pour le système financier lui-même. Ne rien faire pour lutter contre le réchauffement climatique coûtera plus cher que d’en prendre la mesure. Du point de vue économique, c’est peut-être un bon calcul à court terme, mais à moyen et long terme, c’est un très mauvais pari. Je suis convaincu que les pays qui feront les premiers la transition vers une société sobre en carbone seront économiquement gagnants. Toutefois, la solution ne peut être que globale : on y arrivera que si tous les pays vont dans le même sens.   Quelles sont les solutions à mettre en œuvre ? Aujourd’hui, la seule solution pour contenir le réchauffement serait de générer des émissions négatives, c’est-à-dire de pomper du CO2 de l’atmosphère comme avec la bioénergie associée à la capture et au stockage de carbone (BECCS). L’utilisation de centrales biomasse permettrait de piéger du CO2 et de produire de l’énergie. Le problème est que les surfaces disponibles sont limitées sur la planète. D’autant qu’avec une population qui a toutes les chances d’augmenter de façon importante, il risque d’y avoir une compétition entre leur utilisation pour l’énergie et pour l’alimentation.   A LIRE AUSSI :  Les “émissions négatives” au secours du climat   Les techniques de bio-ingénierie sont-elles pertinentes ? Il existe deux approches : l’une vise à diminuer ou pomper les émissions de gaz à effet de serre, l’autre travaille sur le rayonnement solaire. On aura du mal à échapper au piégeage et au stockage du CO2 si on veut faire des émissions négatives, ou même simplement limiter les émissions. La technique la plus simple est la reforestation. Par contre, les approches qui consistent à essayer de modifier le rayonnement solaire en imitant les volcans, c’est-à-dire en envoyant des aérosols sulfatés dans la basse stratosphère, jouent avec le feu. Ce serait placer une épée de Damoclès sur la tête des jeunes d’aujourd’hui. La seule façon envisageable est de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et de passer à une société sobre en carbone. Malheureusement, on n’en prend pas vraiment le chemin !   A LIRE AUSSI :  La déforestation, un fléau à enrayer   À quoi ressemble une société sobre en carbone ? Contrairement à ce que les gens imaginent, la transition vers une société décarbonée est possible, économiquement viable et synonyme de dynamisme économique. Réussir la transition énergétique au niveau de l’Europe signifie relocaliser des activités et créer six millions d’emplois nets d’ici à 2050 sur le continent, dont 600 000 à 900 000 en France. Bien sûr, cette transition ne peut se faire que s’il y a beaucoup d’inventivité, de recherche, de créativité. Cela devrait être extrêmement attractif pour les jeunes.   Qu’en est-il pour les pays en voie de développement ? C’est évidemment valable pour eux aussi. Il faut absolument que l’Afrique se développe sur une dynamique alliant énergies renouvelables et société bas carbone. Une chose est très claire : si l’Afrique se développe largement sur les combustibles fossiles, on a perdu la bataille contre le réchauffement climatique.   A LIRE AUSSI :  L’économie bleue est devenue une réalité incontournable pour les États africains   Comment expliquer l’inertie face à la nécessité du changement ? Nous répétons le même message depuis une trentaine d’années : le réchauffement climatique est inéluctable si nous conservons un mode de développement basé sur les combustibles fossiles. Nous avons été entendus par les décideurs politiques. Le premier rapport du GIEC est sorti en 1990, la Convention Climat a suivi et les décideurs politiques l’ont signée au Sommet de la Terre de Rio en 1992. La Convention a été enrichie en 2009 puis accompagnée d’objectifs chiffrés en 2015 avec l’Accord de Paris. Le problème est que tous ces textes qui s’appuient sur le diagnostic de la communauté scientifique restent lettres mortes. Il y a un fossé entre l’objectif de l’Accord de Paris et les engagements pris dans le cadre de cet accord. En France, la loi de transition énergétique pour la croissance verte est tout à fait cohérente avec la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle planétaire, mais on est déjà en train de prendre du retard sur sa mise en œuvre. Arriver à zéro carbone en France à l’horizon 2050 n’est pas du tout gagné ! C’est bien beau de l’annoncer, mais cela doit devenir réel.   Quels sont les freins à la mise en œuvre de ces objectifs ? D’abord le fait que les combustibles fossiles sont peu chers. Dans les années 1990, on pensait qu’on allait atteindre un pic pétrolier et que l’épuisement des combustibles fossiles faciliterait la transition. Mais l’exploitation des schistes bitumineux, des pétroles et des gaz non conventionnels a complètement révolutionné ce point de vue. La fin des combustibles fossiles n’est pas pour demain. Si on veut rester en deçà de 2 degrés, il faut laisser l’essentiel de ces combustibles là où ils sont, et n’utiliser que 3 ou 4 % des ressources. Cela veut dire demander aux exploitants, aux lobbys pétrolier et gazier de se faire hara-kiri. Enfin, nous-mêmes, citoyens, ne sommes pas non plus prêts à la sobriété. Par exemple, le tourisme joue actuellement pour 8 % dans les émissions de gaz à effet de serre et ne cesse de croître. Chacun devrait abandonner sa voiture et prendre au maximum les transports en commun – à condition bien sûr que les collectivités assurent leur déploiement. Il y a un égoïsme de chacun d’entre nous. Peu de gens voient l’intérêt de changer : soit ils ne croient pas au réchauffement climatique, soit ils pensent qu’on pourra toujours trouver une solution lorsque le réchauffement sera vraiment là, c’est-à-dire dans 10, 20 ou 30 ans. Mais ils se trompent !

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