Coronavirus : Pourquoi l’Afrique est-elle globalement épargnée par l’épidémie ?

EPIDEMIE Alors que les experts envisageaient un scénario catastrophe, en Afrique, où les systèmes de santé font craindre le pire, la vague épidémique prévue n’est toujours pas arrivée

Manon Aublanc20Minutes.fr
  • Alors que les Etats-Unis (plus de 80.000 décès) et l’Europe (plus de 150.000 décès) ne cessent de voir leurs bilans s’aggraver,
  • en Afrique, les chiffres sont moins importants qu’attendus. A ce jour, le continent comptabilise 69.000 cas de contamination et un peu plus de 2.400 morts.
  • Pourtant au début de l’épidémie, les spécialistes redoutaient un scénario catastrophe en Afrique, où les infrastructures sanitaires sont très limitées et où les pays luttent déjà contre d’autres maladies mortelles.
  • Âge de la population, densité, immunité de la population… Pour de nombreux spécialistes, la faible propagation du virus en Afrique est « multifactoriel ».

Si beaucoup présageaient une catastrophe sanitaire en Afrique en raison de la pandémie mondiale de coronavirus, le séisme attendu n’a finalement pas eu lieu. Bien loin des statistiques européennes, américaines ou chinoises, l’Afrique enregistre, à ce jour, 69.578 cas de contamination et 2.403 morts, selon les derniers chiffres mis à jour quotidiennement par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), le 13 mai 2020.

Aux prémices de l’épidémie, les autorités sanitaires estimaient que la pandémie serait inévitablement dévastatrice pour le continent africain, en raison de systèmes de santé fragile et d’équipements médicaux insuffisants. Si certains pays d’Afrique doivent faire face à de nombreux cas de contamination, comme en Egypte et en Afrique du Sud, pour une grande partie des autres pays, la vague est moins importante que prévu. Comment expliquer la faible propagation du virus sur le deuxième continent le plus peuplé du monde ? 20 Minutes fait le point sur les facteurs étudiés par les spécialistes.

Des mesures préventives efficaces ?

Dès le début de l’épidémie, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a appelé les pays d’Afrique à « faire front commun pour être plus agressifs » dans la lutte contre le virus, avait déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS lors d’une réunion des ministres de la Santé des pays de l’Union africaine (UA) à Addis Abeba le 22 février dernier. Et la plupart des Etats ont pris la menace au sérieux, en instaurant un confinement, en interdisant les rassemblements religieux ou en fermant les frontières. Pour certains spécialistes, ces mesures préventives pourraient jouer un rôle dans la faible progression du virus.

C’est en tout cas ce que pense Glenda Davison, cheffe du département des sciences biomédicales de la Cape Peninsula University of Technology (Afrique du Sud) : « Je crois que l’Afrique du Sud a pris la bonne décision de confinement au début de la pandémie », a-t-elle déclaré dans la revue médicale The Lancet. Un avis partagé par l’épidémiologiste camerounais Yap Boum, qui travaille pour Médecins sans frontières (MSF) : « Il ne faut pas oublier qu’on a eu le temps de voir l’épidémie venir, et que nous avons pris ces mesures très tôt, au moment où l’Europe affrontait de plein fouet la première vague. C’est peut-être cette réponse précoce qui a permis d’éviter que l’hécatombe arrive jusqu’à présent », a-t-il expliqué à France Culture. 

Une population « jeune » ?

Pour les spécialistes, l’un des autres facteurs qui pourrait expliquer la faible propagation du virus en Afrique, c’est la démographie, et en premier lieu, l’âge. Alors que le virus touche principalement les personnes âgées, les formes étant beaucoup plus graves pour les seniors, en Afrique, 60 % de la population est âgée de moins de 25 ans et l’âge médian y est plus de deux fois inférieur (19,7 ans) à celui de l’Europe (42,5 ans). En France, par exemple, 92% des personnes décédées du coronavirus avaient plus de 65 ans, selon les données de Santé Publique France. « Même si la population est plus jeune, ce n’est pas pour autant qu’elle est moins à risque d’une manière générale », nuance tout de même Michèle Legeas, enseignante à l’EHESP, spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires.

En plus du « facteur jeunesse », il y a la densité du continent. Avec près de 45 habitants par kilomètre carré en moyenne, l’Afrique est bien moins peuplé (dans la plupart des régions) que l’Union européenne (121), l’Asie de l’Est (131) ou l’Asie du Sud (380). Si certaines villes affichent des densités records, comme Le Caire (Egypte), Lagos (Nigeria) ou Johannesburg (Afrique du Sud), dans les zones rurales, la très faible densité a considérablement limité les contacts et la transmission du virus.

Les précédentes épidémies « formatrices » ?

Qui de mieux préparé qu’un continent qui a déjà dû faire face à plusieurs épidémies ? Selon plusieurs analystes, les pratiques et les gestes mis en place en Afrique lors des précédentes crises sanitaires, comme Ebola ou la malaria, pourraient contribuer, en partie, à la limitation du virus. Pour Michael Ryan, directeur des programmes d’urgence de l’OMS, la « longue histoire de lutte contre les épidémies » a pu aider l’Afrique dans la lutte contre le Covid-19. « La connaissance des épidémies, comme Ebola, de la gestion des premiers malades ou des gestes barrières, – même si la transmission du nouveau coronavirus ou d’Ebola n’est pas du tout la même –, ça a certainement joué un rôle. La question, c’est, à quel point ? », a expliqué Michèle Legeas à 20 Minutes.

Détection et isolement des malades, hygiène, formation des médecins… De nombreux pays africains ont développé une capacité à gérer les épidémies, notamment en s’appuyant sur les communautés locales, facilitant ainsi la détection des malades même dans les zones les plus reculées : « Il y a toute une nouvelle génération de professionnels africains de la santé qui ont développé une expérience extraordinaire en matière de surveillance à base communautaire », a expliqué Socé Fall, le directeur adjoint de l’OMS pour les interventions d’urgence, à nos confrères du Monde.

Une certaine immunité de la population ?

Dans le flot d’études lancées sur le nouveau coronavirus, des chercheurs ont avancé que la contamination était plus faible dans les pays les plus durement touchés par le paludisme ou la tuberculose. Ils estiment que les traitements antipaludéens à base de chloroquine ou le vaccin BCG pourraient favoriser l’immunité de la population africaine. Mais ces travaux n’en sont qu’à leurs débuts et il s’agit là seulement d’une hypothèse.

D’autres médecins estiment que l’exposition régulière à des virus pourrait avoir renforcé la résistance de la population africaine. « Les populations africaines sont exposées à beaucoup d’agressions de pathogènes divers, qu’ils soient parasitaires, viraux ou bactériens. Aussi est-il possible que le système immunitaire de ces populations soit mieux stimulé que celui de populations moins exposées », a expliqué Elisabeth Carniel, directrice générale du Centre Pasteur du Cameroun, qui travaille sur le sujet, au Monde. Une hypothèse également formulée par l’épidémiologiste camerounais Yap Boum. : « L’Afrique est un continent où la population est constamment agressée par des pathogènes étrangers. Cela provoque une réaction du système immunitaire qui peut-être pourrait occasionner une capacité plus importante à résister au virus ».

Un virus qui pourrait arriver tardivement ?

Si la propagation du virus sur le continent africain semble plus faible qu’en Europe ou qu’aux Etats-Unis, de nombreux spécialistes s’accordent à dire que le nombre de cas est probablement sous-estimé. « Il faut vraiment que les pays essayent de récupérer des données fiables. Est-ce qu’ils ont vraiment moins de cas ? Est-ce qu’ils ne sont pas comptabilisés ? Est-ce qu’on a pas un retard de notifications ? C’est vraiment une interrogation », explique Michèle Legeas. Si le Dr John Nkengasong, chef du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, concède que, faute de tests, les statistiques ne sont pas « parfaites », il écarte l’idée que de nombreux cas passent sous les radars. Les hôpitaux « seraient envahis de malades », ce qui n’est pas le cas, s’est-il réjoui.

Pour d’autres, si les chiffres sont si faibles, c’est que l’épidémie pourrait frapper l’Afrique avec quelques mois de décalage par rapport à l’Europe ou aux Etats-Unis, probablement en juillet a confié l’épidémiologiste sud-africain Salim Abdool Karim à l’AFP. « Le continent pourrait avoir une diffusion plus lente et atteindre un pic d’épidémie bien plus tard », estime Michèle Legeas. Un scénario envisagé également par l’OMS : « Le modèle prévoit un taux de transmission plus lent, un âge plus bas des personnes atteintes de maladies graves et des taux de mortalité plus faibles que ceux observés dans les pays les plus touchés du reste du monde », a expliqué l’organisation dans un communiqué publié début mai. « Le taux de transmission plus faible suggère toutefois une épidémie plus prolongée sur quelques années », est-il ajouté dans le communiqué. Pour Michèle Legeas, une chose est sûre, « si l’épidémie avait été aussi diffusible que chez nous, la mortalité aurait été nettement plus importante

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version