Les gouvernements qui ignorent ou tardent à agir en fonction des avis scientifiques ratent une occasion cruciale de contrôler la pandémie.

Source : Nature
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Un centre de soins Covid à New Delhi. L’Inde enregistre 400 000 cas et plus de 3 500 décès par jour dus à la Covid-19. Crédit : Imtiyaz Khan/Anadolu Agency/Getty

Début mai 2021, le nombre total de décès dus à la Covid-19 au Brésil a dépassé les 400 000. A la même époque en Inde, la pandémie faisait environ 3 500 victimes par jour et avait suscité une réponse mondiale, avec des offres d’oxygène, de ventilateurs, de lits de soins intensifs, etc. Bien que ces deux pays soient séparés par des milliers de kilomètres, les crises qu’ils connaissent sont le résultat de défaillances politiques : leurs dirigeants n’ont pas suivi les conseils des chercheurs ou ont été lents à le faire. Cela a contribué à des pertes de vies humaines inadmissibles.

Le plus grand échec du Brésil est que son président, Jair Bolsonaro, a constamment qualifié à tort la Covid-19 de « petite grippe » et a refusé de suivre les avis scientifiques pour définir sa politique, notamment en imposant le port de masques et en limitant les contacts entre les personnes.

Les dirigeants indiens n’ont pas agi de manière aussi décisive que nécessaire. Ils ont, par exemple, autorisé – et, dans certains cas, encouragé – les grands rassemblements. Une telle situation n’est pas nouvelle. Comme nous l’avons vu sous l’administration de l’ancien président américain Donald Trump, ignorer les preuves de la nécessité de maintenir une distance physique pour lutter contre la Covid-19 a des conséquences catastrophiques. Les États-Unis ont enregistré plus de 570 000 décès dus à cette maladie – ce qui reste le plus grand nombre de décès dus à la Covid-19 dans le monde en valeurs absolues.

Comme le rapporte Nature dans un article de World View, les dirigeants indiens se sont montrés complaisants après que les cas quotidiens de Covid-19 aient atteint un pic de près de 96 000 en septembre, avant de décliner lentement – jusqu’à environ 12 000 au début du mois de mars. Pendant ce temps, les entreprises ont rouvert leurs portes. De grands rassemblements ont suivi, notamment des protestations contre les nouvelles lois agricoles controversées qui ont amené des milliers d’agriculteurs aux frontières de New Delhi. Les rassemblements électoraux et les rassemblements religieux se sont également poursuivis en mars et avril.

Difficultés liées aux données

Et l’Inde a d’autres problèmes. L’un d’eux est qu’il n’est pas facile pour les scientifiques d’accéder aux données pour la recherche Covid-19. Cela les empêche donc de fournir au gouvernement des prévisions précises et des conseils fondés sur des preuves. Même en l’absence de telles données, les chercheurs ont averti le gouvernement en septembre dernier d’être prudent quant à l’assouplissement des restrictions Covid-19 (Lancet 396, 867 ; 2020). Et aussi tard que début avril, ils ont averti qu’une deuxième vague pourrait voir 100 000 cas de Covid-19 par jour à la fin du mois.

Le 29 avril, plus de 700 scientifiques ont écrit au Premier ministre Narendra Modi pour demander un meilleur accès aux données telles que les résultats des tests Covid-19 et les résultats cliniques des patients dans les hôpitaux (voir go.nature.com/3vc1svt), ainsi qu’un programme de surveillance du génome à grande échelle pour identifier les nouveaux variants (voir go.nature.com/3vd7fak). Le lendemain, Krishnaswamy Vijayraghavan, principal conseiller scientifique du gouvernement, a pris acte de ces préoccupations et a précisé les modalités d’accès à ces données pour les chercheurs extérieurs au gouvernement. Cette initiative a été saluée par les signataires de la lettre, mais ils ont déclaré à Nature que certains aspects de l’accès aux données restent flous.

Une lettre de protestation n’aurait pas dû être nécessaire en premier lieu. En s’identifiant, les signataires ont pris un risque : par le passé, le gouvernement Modi n’a pas bien réagi aux chercheurs qui s’organisaient pour remettre en question ses politiques. Il y a deux ans, une lettre de plus de 100 économistes et statisticiens demandant instamment la fin de l’ingérence politique dans les statistiques officielles n’a pas été bien accueillie par les responsables. Cette lettre avait été rédigée à la suite de la démission de hauts fonctionnaires de la Commission nationale des statistiques de l’Inde pour ce qu’ils considéraient comme une ingérence dans le calendrier de publication des données gouvernementales.

Il n’est jamais bon que les communautés de chercheurs aient des relations difficiles avec leurs gouvernements nationaux. Mais cela peut être fatal au milieu d’une pandémie, lorsque les décisions doivent être rapides et fondées sur des preuves. En mettant leurs scientifiques sur la touche, les gouvernements du Brésil et de l’Inde ont laissé passer une occasion cruciale de réduire les pertes humaines.

Pendant une pandémie, nous avons tous besoin que nos gouvernements réussissent. Cependant, il est difficile de prendre rapidement de bonnes décisions, surtout avec des informations incomplètes. C’est pourquoi les données sanitaires doivent être à la fois précises et accessibles aux chercheurs et aux cliniciens. Refuser ou occulter cet accès risque de prolonger la pandémie.

Nature 593 7-8 (2021)

doi: https://doi.org/10.1038/d41586-021-01166-w

Source : Nature, 04-05-2021

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises.

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