Source l’effervescent

Inès Q, 20 ans, devait partir vivre en Guadeloupe. Mais au bout d’un mois de vie sur l’île, elle a renoncé à ce rêve. Les prix élevés et les conditions climatiques l’ont contraint à retourner dans l’Hexagone le 21 novembre. Des premières revendications jusqu’au début des affrontements avec les forces de l’ordre, elle aura tout vécu sur la situation dégradante de l’île. Retour sur une semaine de chaos. 
Deux véhicules brûlés sur la route "les grands fonds" après les manifestations, le 21 novembre 2021. Photo : Inès Q.

Deux véhicules brûlés sur la route « les grands fonds » après les manifestations, le 21 novembre 2021. Photo : Inès Q.

Une trentaine de manifestants cagoulés ont mis le feu à quatre immeubles de Pointe-à-Pitre et ont pillé quatre bijouteries. Le préfet de la Guadeloupe, Alexandre Rochatte a exprimé son inquiétude. « On est passé d’un mouvement social à autre chose. Maintenant, il y a des violences gratuites de la part des manifestants. »

Malgré les violences grandissantes sur l’île ces derniers jours, les forces de l’ordre ont eu du mal à réagir. Les habitants étaient eux aussi impuissants. Les premières manifestations ont débuté le 15 novembre avant que cela ne dégénère complètement. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin avait déjà évoqué cette hypothèse que « le rétablissement de l’ordre public était préalable à toute discussion.« 

Des conditions de vie sous tension

Confrontée aux violences, Inès n’a pas caché sa déception de rejoindre la Guadeloupe au mauvais moment. « Être là-bas dans ces conditions n’est pas agréable. » La jeune femme devait séjourner pendant un mois sur l’île avec l’optique d’une possible installation. Son retour s’est rapidement écourté jusqu’au 21 novembre. Sur l’île, elle a d’abord été rattrapée par la chaleur. « Il fait trop chaud ici et le coût de la vie est élevé. » Revenue en métropole, elle se prépare actuellement à passer le concours de gendarme adjoint volontaire.

Elle a aperçu les premières manifestations au sein de la ville.  D’abord comme elle le décrit, il y a eu des rassemblements sans débordement au début. « Les manifestants ne criaient pas forcément. Ils étaient parfois en groupe de cinq à dix personnes pour bloquer les routes. Les actes de violences sont apparus après. C’était de la violence purement gratuite », décrit-elle.

Les premiers incendies ont enflammé la ville de Pointe-à-Pitre dans la nuit du 19 au 20 novembre. La sécurité tentait d’éteindre les incendies, en vain. Très souvent, ils étaient pris pour cible par les manifestants. « La police, les gendarmes et les pompiers ont fait l’objet de plusieurs tirs d’armes à feu », a rapporté la préfecture de Guadeloupe dans un communiqué.

Des manifestations contre le pass sanitaire

Une affaire est sans doute à l’origine de cette grande opposition vaccinale chez les Guadeloupéens. Il s’agit de l’affaire dite du chlordécone, qui a déclenché un gros manque de confiance des habitants envers l’État.

Cet épisode a donné lieu à l’empoisonnement d’environ 95 % de la population en Guadeloupe, selon les estimations Les sols ont également été pollués. L’impact s’est étendu sur près de six siècles. Le journal Antilla a même déclaré « que la cartographie de la pollution n’avait pas été réalisée correctement en Guadeloupe ». D’après le journal, en près de  23 ans de « soi-disant efforts de l’Etat », seulement 8 % du sol infecté est cartographié. Il faudrait même indemniser 100 millions aux propriétaires dont les parcelles sont polluées.

Une situation inquiétante sur le plan politique et épidémique

A la suite de ces manifestations, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, avait dénoncé des comportements « intolérables et inacceptables » de la part des manifestants. Les premières tensions se sont aggravées par la suite comme le rapporte encore Inès. « On a vu les premiers barrages mardi. Ils étaient un peu partout sur les grandes routes : comme ‘les grands fonds’, ‘la route de la traversée’. »

« On ne pouvait pas faire plus de 500 mètres sans se retrouver face à des barrages. » – Inès

Les oppositions contre l’obligation vaccinale concernent les personnes de tout âge en Guadeloupe. Ils mettent généralement le feu aux voitures, à des pneus et des poubelles voire des lampadaires. Les jeunes ne sont pas prêts à se laisser injecter une dose du vaccin. D’après les chiffres annoncés par l’ARS, seulement 46,43 % des plus de 18 ans possèdent le pass sanitaire en Guadeloupe. C’est trop peu pour une population recouvrant environ 395 000 habitants.

L’intervention des forces de l’ordre

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé le samedi 20 novembre, un déploiement d’une cinquantaine d’agents du GIGN et du Raid face à ces violences.

Le conflit a commencé à se tendre de plus en plus comme le dit Inès Q : « La police n’a pas fait grand-chose au début pour éviter les émeutes. Mais après, ils ont commencé à sortir avec des voitures blindées car ils se faisaient caillasser par les manifestants. Le GIGN est arrivé un peu plus tard pour rétablir l’ordre sur l’île ». Elle a ajouté qu’une grande partie des habitants ne prenaient pas part aux manifestations.

L’arrivée des pénuries

Les pillages dans les supermarchés du centre-ville ont  instauré un climat de terreur sur l’île, témoigne Inès. « Tout le monde dévalise les grandes surfaces par peur d’être bloqué et de ne pas pouvoir manger. »

« Les magasins sont vides et il n’y a pas de possibilité d’être approvisionné. Il y aussi eu des pénuries d’essence. » – Inès

Dans l’Hexagone, les chaînes de télévision comme LCI redoutent une pénurie généralisée qui toucherait le pays. Les magasins sont pris d’assaut par les acheteurs et les casseurs. Il y a donc un grand manque de rapidité pour réapprovisionner les rayons. Lucien Bellevue, responsable d’une station-service Total, avait exprimé sur TF1 ses interrogations sur l’éventuelle livraison de sa marchandise en essence. « C’est un peu compliqué de faire des livraisons à cause des barrages de plusieurs manifestants. 

Des restrictions ont dû être imposées pour la consommation d’essence. Pour éviter une rupture, les automobilistes ne pouvaient pas prendre au-delà de 20 litres d’essence à la pompe. Cette mesure est intervenue à la suite d’une concertation entre le préfet de la Guadeloupe, Alexandre Rochatte, ainsi queJean-Pierre Frédéric, commandant de la gendarmerie et directeur départemental de la sécurité publique.

Des violences gratuites envers les civils

Inès raconte aussi que durant son séjour en Guadeloupe, elle a vu des manifestants s’en prendre aux civils : « Dès la sortie des restaurants, certaines personnes étaient victimes de plusieurs lancers de projectiles. Il y avait des pierres et des bouteilles qui étaient projetées sur les civils. » Elle ajoute que son jardinier, sorti d’un restaurant, a dû courir très vite jusqu’à sa voiture. Il a alors évité de justesse les projectiles des manifestants.

L’inquiétude est même montée dans les médias locaux. « Tout le monde ne parle que de ça aux informations. Il y a même une chaîne de radio qui annonce en continu les lieux des différents barrages« , explique Inès. Elle ne comprend pas pourquoi l’État reste très passif sur la situation. « Actuellement, je ne sais pas ce que fait l’Etat. Ils essayent de nous tenir informer un maximum. L’objectif est de calmer les populations », pense-t-elle.

Fermeture des établissements scolaires

Le 19 novembre, le rectorat a fait le choix de fermer les écoles par prudence. La situation sociale était trop risquée. « Les événements routiers sont trop dangereux avec les barrages pour les habitants« , a expliqué le rectorat.

Les écoles sont même visées par les manifestants, selon Inès. « Ils n’hésitent pas à verrouiller les établissements comme ils le peuvent. Une amie à moi, qui travaille dans un collège, n’a pas pu s’y rendre le 15 novembre. Ils avaient mis des cadenas sur les portails. Et puis, deux jours plus tard, ils avaient mis de la glu dans les serrures« .

La peur n’a pas pour autant pris le dessus sur les habitants. En revanche, ils limitent leur sortie au strict essentiel. « Les gens n’ont pas spécialement peur là-bas. Ils ne sortent maintenant que pour aller au travail ou faire des courses.

Instauration d’un couvre-feu

Le couvre-feu instauré entre 18 et 5 heures,  jusqu’au 28 novembre, va peut-être se prolonger ou se retirer. Le secrétaire général de la CSTM à l’origine du mouvement, Bertrand Cambusy, s’est réuni avec ses intersyndicaux. A la suite de cette réunion, ils ont retiré les différents barrages sur les routes. « Compte tenu de ce que nous avons constaté tout le long de cette journée, l’intersyndicale a décidé ce soir de lever les barrages. »  

Le couvre-feu commence à agacer la majorité des civils qui n’hésitent pas à faire part de leur ras-le-bol sur la situation actuelle. « Le couvre-feu met en colère tout le monde ! A 18 heures, c’est le moment où les gens sortent et se rejoignent. En Guadeloupe, ils travaillent tôt. Leurs journées débutent vers 6-7 heures avant de finir à 17 heures. Ce couvre-feu est plus que mal accueilli depuis le début.

Les manifestations se sont aussi étendues sur les îles voisines comme la Martinique et la Polynésie française. Le mouvement n’a pour l’instant pas réuni une grande majorité de personnes pour manifester. La Guadeloupe espère quant à elle sortir une bonne fois pour toute de cette crise.

Laura Guigue et Ismaël Ighouess

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