TRIBUNE De nouveaux outils de plus en plus fiables, tels que les systèmes d’alerte précoce, permettent de mieux anticiper les catastrophes naturelles et de s’y préparer. À condition de pouvoir en faire bénéficier les pays les moins avancés.


Illustration : Le 16 mars 2015, à Port Vila, la capitale du Vanuatu, après le passage dévastateur du cyclone Pam. (Photo DAVE HUNT / POOL / AFP)


Des canicules estivales en Europe aux récentes inondations à Niamey ou dans le sud-est de la France, en passant par les cyclones du Pacifique (comme Harold en avril 2020), les catastrophes naturelles liées au climat ont occupé une place tristement importante dans le monde de 2020. D’autant que leur impact est décuplé à cause de la crise sanitaire liée au Covid-19. Alors que l’année n’est pas encore finie, le coût des dommages occasionnés sur six mois est d’ores et déjà estimé à 75 milliards de dollars. Un chiffre qui pourrait même exploser à la fin de l’année à l’occasion d’un épisode La Niña prévu par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). En effet, ce type d’épisode engendre généralement des événements extrêmes dans plusieurs régions du monde.   Des catastrophes naturelles liées au climat de plus en plus fréquentes et intenses À l’échelle mondiale, le nombre de ces événements a ainsi été multiplié par trois durant les 35 dernières années avec des coûts croissants. Les projections actuelles des modèles climatiques portant sur la fin du XXIe siècle ne permettent certes pas de tirer des conclusions pour tous les types de périls, mais des tendances à leur intensification émergent bien dans plusieurs régions du monde. C’est le cas des pluies intenses et des inondations en Afrique de l’Ouest ou en Europe. Sans stratégie d’adaptation dédiée, les pertes moyennes annuelles dues aux inondations sur le Vieux Continent pourraient ainsi passer de 1,6 milliard d’euros par an actuellement à 5,5 milliards dans un scénario « + 3 degrés ».   A LIRE AUSSI :  « Le niveau des contributions nationales établies avant l’Accord de Paris doit être révisé à la hausse »   Après avoir souligné en 2019 dans son rapport annuel « State of Climate Services » l’importance que les prévisions météorologiques et saisonnières peuvent avoir pour l’agriculture dans le monde, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) a choisi de se focaliser, dans l’édition 2020, sur le rôle des systèmes de prévisions dans la réduction du risque de catastrophe. Ce faisant, elle souligne la situation particulière des pays les moins avancés (PMA).   Une détection favorisée par les systèmes d’alerte précoce Paradoxalement, dans de nombreux cas, ces catastrophes sont prévisibles et même prévues de manière assez fiable. Les différents modèles météorologiques et sectoriels, comme ceux portant sur les inondations, se sont suffisamment développés dans les dernières années à la faveur des avancées de la recherche et de l’augmentation des capacités informatiques pour atteindre une précision satisfaisante. Météo France estime ainsi que ses prévisions des types de temps pour les 24 heures à venir sont justes dans 90 % des cas. De même, le risque d’inondations en Afrique de l’Ouest pour la saison 2020 avait été clairement souligné par le forum PRESASS. Le risque d’inondation à Niamey, fin août, avait été repéré plusieurs jours en amont par plusieurs systèmes d’alerte. Il existe de fait une variété importante d’outils d’alerte précoce – payants ou pas – qui permettent de signaler l’imminence de différents périls comme les cyclones, les inondations, les feux, etc. Leur portée temporelle peut varier et aller de quelques heures pour un événement spécifique à une prévision plus générale, sur les mois à venir, permettant ainsi d’anticiper si la saison va être plutôt intense en termes de cyclones, normale ou plutôt calme. Pour les PMA et les petits États insulaires, ces systèmes sont reconnus comme des outils prioritaires d’adaptation au changement climatique dans 88 % des contributions déterminées nationales, ces feuilles de route déposées par chaque pays signataire de l’Accord de Paris en 2015.   Un monde inégalement couvert par les systèmes d’alerte précoce Le rapport 2020 de l’OMM souligne cependant les disparités géographiques dans la couverture des pays par des systèmes d’alerte multirisques. Ainsi si 50 % des pays européens indiquent avoir un tel système en état de marche (32 % n’ayant pas répondu), ce nombre chute à 30 % en Afrique (18 % sans réponse) et 23 % pour l’ensemble des PMA. Les capacités d’acquisition de données météorologiques, nécessaires au bon fonctionnement des systèmes d’alerte précoce, sont beaucoup plus faibles dans les PMA, notamment en Afrique, que dans le reste du monde. En 2019, seules 26 % des stations météorologiques de surface du programme Global Climate Observing System y fournissaient automatiquement, et de manière régulière, les données – comme c’est attendu – contre environ 80 % en Europe. Ces difficultés d’entretien des équipements existants sont principalement dues à leur coût de maintenance élevé et, plus minoritairement, au manque de capacité pour les réparer. Or cette absence de données empêche ainsi de connaître précisément l’aléa : dans les Caraïbes, par exemple, l’absence de cartes des risques d’inondation cohérentes à l’échelle nationale entrave les planificateurs des catastrophes et de l’espace pour prendre des décisions stratégiques importantes.   Carences sur la diffusion des alertes et dans la réactivité Mais l’acquisition de données n’explique pas tout. Comme le souligne le rapport 2020 de l’OMM, l’analyse détaillée des capacités d’alerte précoce des PMA révèle notamment des carences dans la diffusion des alertes et dans la réaction à celles-ci, pas assez anticipée : seuls 20 % de ces pays sont considérés comme ayant acquis une véritable capacité de préparation aux catastrophes. Ainsi, être capable de prévoir correctement l’aléa n’est qu’une partie du problème : il faut, par la suite, transformer l’information en action de manière efficace. Par exemple, anticipant l’arrivée du cyclone Irma en 2017, les autorités dominicaines ont pu mettre à l’abri 3 000 personnes, dans des structures dédiées. Cette action, qui paraît simple à mettre en place, nécessite au moins d’avoir défini au préalable des mécanismes décisionnels et d’avoir identifié, voire construit des abris en nombre suffisant. À titre de référence, disposer de suffisamment d’abris fut un défi de taille pour le Vanuatu face au cyclone Pam qui a dévasté la région en 2015. Illustrant l’importance de la préparation et de la réactivité dans ce type de crise, une étude récente sur les Caraïbes révèle que les tempêtes ayant lieu le lundi ont un impact plus négatif sur les populations et même sur l’économie en général comparées aux tempêtes survenant d’autres jours de la semaine. C’est peut-être dû à une moindre diffusion de l’information et des risques par les autorités le week-end, lorsque l’alerte est donnée, ainsi qu’à un moindre niveau de prise de conscience des utilisateurs.   Les financements ciblent moins la diffusion, la préparation et la réaction Le moindre développement des capacités de diffusion, de préparation et de réaction à ces alertes peut s’expliquer en partie par leur manque de prise en compte dans les projets des bailleurs internationaux. Se concentrant sur l’Afrique de l’Ouest, le rapport de l’OMM recense actuellement près de 2 milliards de dollars consacrés à des projets de soutien aux services météorologiques et hydrologiques. Or seuls 28 % d’entre eux disposent d’une composante « préparation et réaction ». De même, aux Philippines, 16 % seulement de l’aide humanitaire internationale a été affectée aux efforts de prévention et de préparation aux catastrophes. La plupart des financements sont liés à des événements majeurs. Il est nécessaire pour les bailleurs de réorienter une partie de leurs financements actuels en valorisant une intervention plus ambitieuse axée sur la prévention des catastrophes. Il est également recommandé de flécher ce type d’appuis en se focalisant sur les pays les plus à risques (PMA notamment) auprès desquels les enjeux préalablement décrits sont les plus criants.   Débloquer les fonds… avant même la catastrophe Les bailleurs doivent, d’autre part, mettre en place des mécanismes de financement plus agiles pour répondre plus rapidement, voire en amont, aux catastrophes. La création d’une ligne budgétaire dite de contingence, non fléchée et disponible immédiatement dès l’occurrence d’une catastrophe, constitue une bonne pratique. Car la difficulté à mobiliser rapidement des fonds entrave la mise en place d’actions post-catastrophe : le temps que la catastrophe soit reconnue comme telle et que les fonds soient débloqués, envoyés sur le terrain et dépensés, leur utilisation a déjà beaucoup perdu de sa pertinence. Le mécanisme de Forecast Based Financing (FbF) vise à combler cette lacune : il prévoit de déclencher le décaissement des fonds avant même la catastrophe, lorsque celle-ci apparaît imminente et que certains indicateurs (pluie à venir dans les 72 heures, par exemple) dépassent des seuils de probabilité définis auparavant entre experts, autorités locales et société civile. Ces fonds peuvent être, par exemple, déboursés directement au profit des personnes à risque des zones cibles. Au Bangladesh, où ce système a été mis en place en 2019, le coût moyen des inondations a diminué de 30 % pour les zones où le mécanisme FbF a été appliqué.   Des partenariats public-privé pour assurer des recettes stables Certes, nombre de ces initiatives de développement de systèmes d’alerte précoce dans les pays du Sud sont actuellement soutenues par les bailleurs bi et multilatéraux (AFD, Banque africaine de développement, Banque mondiale, DFID, USAID…). Mais il est nécessaire de penser leur pérennité dans un temps long et de prendre en compte le besoin de nouvelles recettes pour couvrir les coûts d’entretien de ces infrastructures. On estime aujourd’hui que 500 millions de dollars par an sont à collecter pour assurer une bonne maintenance des équipements en Afrique subsaharienne. Parmi les options possibles pour y parvenir, il s’agirait de créer des partenariats public-privé entre les services météorologiques nationaux et certains acteurs privés (agrobusiness, aviation, tourisme) afin de générer des services ad hoc payants pour ces entités (prévisions de certaines variables spécifiques et avec une précision accrue) et ainsi de bénéficier de recettes stables. Parallèlement, il est fondamental que le monde académique travaille sur l’impact socio-économique de ces systèmes d’information afin de pouvoir justifier de l’importance de lignes budgétaires dédiées. Ce n’est qu’en pensant les services météorologiques sur le long terme en tenant compte de leur stabilité budgétaire que ceux-ci pourront mener à bien leur mission.

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