Élections municipales : faire un choix conforme aux standards internationaux, par Romain Rambaud

Professeur de droit public, Université Grenoble Alpes, Spécialiste de droit électoral (http://blogdudroitelectoral.fr)

La France n’est pas seule à connaître le dilemme du report ou du maintien d’élections à cause du Covid-19. D’après l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance, 55 États ou territoires ont décidé de reporter des élections, nationales ou locales, contre 21 qui les ont maintenues (au 12 mai). Des bonnes pratiques émergent au niveau international (portées par des organisations telles que l’OSCE, le Conseil de l’Europe, l’IDEA), et il devient possible d’étudier des exemples étrangers, du succès des élections du 15 avril en Corée du Sud (où la participation a été la plus élevée depuis 1992) au fiasco de l’élection présidentielle en Pologne, finalement reportée en catastrophe.

Dans le volet électoral de la gestion de crise, il serait sain que les autorités françaises se soucient de ces standards, afin de rassurer une opinion publique fébrile. La France se distingue, hélas, par le fait qu’elle est un des rares États à avoir connu une élection « coupée en deux ». Dans les autres, l’élection a été soit reportée, soit maintenue, mais l’interruption d’un processus en cours de route est rarissime : le seul autre exemple est semble-t-il l’Iran. Pour autant, il ne faut pas jeter la pierre au Gouvernement. L’un des standards préconisés par le Conseil de l’Europe (communiqué du 29 mars 2020) est de porter une grande attention aux paramètres constitutionnels. Or, le Gouvernement n’avait pas le droit de décider seul d’un report et il aurait fallu une loi, qu’il n’a pas été possible d’obtenir à temps. Quant à passer en force en se prévalant de la théorie des « circonstances exceptionnelles » développée par le juge administratif, ce n’était pas inenvisageable mais le pouvoir exécutif aurait été immanquablement accusé de coup d’État… Précisément ce qu’il ne faut pas faire, en vertu des mêmes standards internationaux.

Désormais, la situation est connue, régie par la loi du 23 mars 2020. Les élections sont acquises dans les communes où une liste a été élue à la majorité absolue le 15 mars. Pour les autres, le deuxième tour devra être organisé soit en juin, soit plus tard si cela est impossible (sans doute à l’automne), mais dans ce dernier cas il faudra refaire les deux tours. Pour éviter un débat mortifère sur les arrière-pensées qui pourraient présider à ce choix, des paramètres objectifs peuvent être dégagés sur la base des normes internationales et du droit comparé. Ils sont de trois ordres : sanitaire, politique, et juridique.

La loi prévoit déjà l’impératif sanitaire. Au plus tard le 23 mai, le Gouvernement devra rendre un rapport au Parlement sur la base d’une analyse du Conseil scientifique. Sans doute ce dernier sera-t-il d’autant plus prudent qu’il a été critiqué pour avoir été précédemment favorable au maintien des élections. De l’exemple de la Corée du Sud, il résulte que l’épidémie doit être sous contrôle : il faudra ici anticiper tant l’état du pays après le déconfinement que le risque de deuxième vague. Le Conseil pourrait réaliser un bilan sanitaire de la journée du 15 mars, afin de déterminer dans quelle mesure la journée de vote a joué un rôle dans la diffusion de l’épidémie. La question se pose de savoir s’il préconisera une adaptation des opérations de vote face au virus, comme le plaident les instances internationales : en Corée, un vote par anticipation a réuni le quart des électeurs, le port du masque était obligatoire et la température était prise à l’entrée du bureau de vote… En Pologne, le pouvoir a prétexté le virus pour imposer un vote par correspondance. Le Conseil de l’Europe envisage même le vote électronique…

S’agissant des considérations politiques, les standards internationaux préconisent une consultation large pour faciliter un consensus politique, favorable à la résolution de crise. L’exemple polonais montre à quel point il est périlleux de vouloir s’émanciper de ce principe de bon sens. L’un des atouts de la France est d’avoir obtenu le consensus parlementaire. C’est la raison pour laquelle il serait contreproductif de revenir sur le compromis cristallisé par la loi du 23 mars 2020, sauf consensus inverse. En outre, l’ensemble des acteurs, politiques comme universitaires, devraient avoir le souci de privilégier les voies de sortie de crise consensuelles à l’embrasement. Enfin, les électeurs devront être placés au centre du processus, comme l’a fait la Corée du Sud qui a multiplié les outils de transparence et de communication, afin de rétablir la confiance.

Enfin viennent les principes fondamentaux du droit des élections. L’égalité des électeurs et des candidats implique de laisser un temps suffisant pour la campagne électorale, tant les sortants auront disposé d’une surexposition par rapport à leurs adversaires. Cette situation est normale dans les circonstances mais devrait faire l’objet d’un rééquilibrage. La sincérité du scrutin implique que les électeurs soient rassurés sur le déroulement des opérations de vote, même si hélas rien ne garantit que la participation sera plus forte demain qu’elle ne le fut en mars. Le principe de stabilité du droit électoral, enfin, est fondamental en droit européen même s’il n’a été reconnu que récemment dans le droit électoral français : si celui-ci doit être apprécié avec souplesse en temps de crise, il reste qu’il ne saurait être question de modifier trop substantiellement les règles du jeu juste avant l’élection. La création d’un vote exclusivement par semi-correspondance en Pologne, quelques jours avant le scrutin (le vote de la loi devait avoir lieu le jeudi 7 pour une élection initialement prévue le 10 mai), constitue un contre-exemple désastreux. Dès lors, si par pure précaution le législateur français envisageait des dispositifs innovants (vote anticipé, envoi des enveloppes électorales au domicile des électeurs, créneaux horaires…), il serait indispensable de laisser assez de temps aux administrations et aux électeurs pour s’en emparer.

 

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